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369. AU MÊME.a

Camp près de Wilsdruf, 17 novembre 1759.

Grand merci de la tragédie de Socrate;b elle devrait confondre le fanatisme absurde, vice dominant à présent en France, et qui, ne pouvant exercer sa fureur ambitieuse sur des sujets de politique, s'acharne sur les livres et sur les apôtres du bon sens.

Les frocards, les mitrés, les chapeaux d'écarlate
Lisent en frémissant le drame de Socrate;
L'atrabilaire amas de docteurs, de cagots,
De la raison humaine implacables bourreaux,
En pâlissant de rage, en bouffissant leur rate,
D'absurdes zélateurs vont soulever les flots.
Si des Athéniens vous empruntez le dos
Pour porter à ceux-ci quelques bons coups de patte,
Les contre-coups sont tous sentis par vos bigots.

Déjà leur cabale est accrue
Du concours imposant des Mélites nouveaux,
Pédantesques tyrans, la honte des barreaux.
On s'empresse, on opine, et la troupe incongrue.
En vous épargnant la ciguë,
Pour mieux honorer vos travaux,
Elève des bûchers, entasse des fagots.

Le brasier étincelle, et déjà part la flamme
Qu'allume la main de l'infâme
Pour consumer ce bel esprit,
Ce brillant précepteur d'un peuple qu'il éclaire;
Mais au lieu de griller Voltaire,
Ils ne pourront rôtir que son malin écrit.


a La plus grande partie de cette lettre, tirée de l'édition de Kehl, se trouve déjà, avec quelques corrections, dans notre t. XII, p. 127-131. De plus, nous en avons donné une copie, prise sur l'autographe, dans notre t. XIII, p. 195-200.

b Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. VI, p. 483-534.