<400>Vous voulez savoir de quoi nous nous sommes entretenus en voyageant en Silésie; vous saurez donc que vous m'avez récité Mérope et Mahomet, et que, lorsque les cahots de la voiture étaient trop violents, j'ai appris par cœur les morceaux qui m'ont le plus frappé. C'est ainsi que je me suis occupé en route, en m'écriant parfois : Que béni soit cet heureux génie qui, présent ou absent, me cause toujours un égal plaisir!

Il y a longtemps que j'ai lu et relu vos œuvres. Les pièces polémiques qui s'y trouvent peuvent avoir été nécessaires dans les temps qu'elles ont été écrites; mais les Desfontaines, les Fréron, les Paulian, les La Beaumelle, n'empêcheront jamais que la Henriade, Œdipe, Brutus, Zaïre, Alzire, Mérope, Sémiramis, le Duc de Foix, Oreste, Mahomet, n'aillent grandement à la postérité, et qu'on ne les mette au nombre des ouvrages classiques dont Athènes, Rome, Florence et Paris ont embelli la littérature. C'est une vérité dont tous les connaisseurs conviennent, et non pas un compliment que je vous fais.

Le vieux Pöllnitz a voulu payer généreusement son passage à Caron; il a fait quelques friponneries le jour même de son décès, pour qu'on dise qu'il est mort comme il a vécu; il n'est regretté que de ses créanciers. Mais mylord Marischal, plus âgé que l'autre, a l'esprit aussi présent que dans sa jeunesse; il a de la gaîté et de l'enjouement, et jouit d'une estime universelle. Tel, dit Le Kain, est le Patriarche de Ferney : j'ajoute qu'il sera immortel comme ses ouvrages. Qu'il terrasse l'hydre du fanatisme, qu'il protége l'innocence opprimée, qu'il soit encore longtemps l'ornement du siècle et une source de contentement pour ceux qui lisent ses ouvrages! Vale.a


a Cet alinéa est tiré des Œuvres posthumes, t. IX, p. 298 et 299.