<392>a toujours été jusqu'à présent ce qu'est la ville de Paris, un assemblage de palais et de masures, de magnificence et de misères, de beautés admirables et de défauts dégoûtants. Il n'y a qu'une ville nouvelle qui puisse être régulière.

V. M. daigne me mander qu'elle daigne voyager avec mes faibles ouvrages. Je voudrais bien être à leur place, malgré mes quatre vingt-deux ans. Je suis obligé de vous dire que plusieurs de ces enfants, qu'on baptise de mon nom, ne sont pas de moi. Je sais que vous avez une édition de Lausanne en quarante-deux volumes, entreprise par deux magistrats et deux prêtres qui ne m'ont jamais consulté. Si par hasard le vingt-troisième volume tombait sous votre main, vous y verriez une trentaine de petites pièces de vers tout à fait dignes du cocher de Vertamont.a On n'est pas obligé d'avoir autant de goût à Lausanne qu'à Potsdam.

Ce qui est de moi ne mérite guère plus vos regards. La manie des éditeurs m'a enseveli dans des monceaux de papier. Ces gens-là se ruinent par excès de zèle. Je leur ai écrit cent fois qu'on ne va pas à la postérité avec un si lourd bagage. Ils n'en ont tenu compte; ils ont défiguré vos lettres et les miennes, qui ont couru dans le monde. Me voilà en in-folio, rongé des rats et des vers comme un Père de l'Église.

V. M. verra donc mes éternelles querelles avec les Larcher, et frère Nonotte, et frère Fréron, et frère Paulian, ces illustres ex-jésuites. Ces belles disputes doivent étrangement ennuyer le vainqueur de tant de nations et l'historien de sa patrie. Les jésuites m'ont déclaré la guerre dans le temps même que vos frères les rois de France et d'Espagne les punissaient. C'étaient des soldats dispersés après leur défaite, qui volaient un pauvre passant pour avoir de quoi vivre.


a Le cocher de M. de Verlamont, mort en 1724, se nommait Estienne; c'était un chansonnier du Pont-neuf, très-célèbre alors. Voltaire le cite assez fréquemment. Voyez ses Œuvres, édit. Beuchot. t. II, p. 323, 329 et 344, et t. XI. p. 8.