<380> pour l'Œdipe, nous l'avons entendu deux fois. Ce comédien est très-habile; il a un bel organe, il se présente avec dignité, il a le geste noble, et il est impossible d'avoir plus d'attention pour la pantomime qu'il en a. Mais vous dirai-je naïvement l'impression qu'il a faite sur moi? Je le voudrais un peu moins outré, et alors je le croirais parfait.

L'année passée, j'ai entendu Aufresne; peut-être lui faudrait-il un peu du feu que l'autre a de trop. Je ne consulte en ceci que la nature, et non ce qui peut être en usage en France. Cependant je n'ai pu retenir mes larmes ni dans Œdipe, ni dans Zaïre; c'est qu'il y a des morceaux si touchants dans la dernière, et de si terribles dans la première, qu'on s'attendrit dans l'une, et qu'on frémit dans l'autre. Quel bonheur pour le Patriarche de Ferney d'avoir produit ces chefs-d'œuvre, et d'avoir formé celui dont l'organe les rend si supérieurement sur la scène!

Il y a eu beaucoup de spectateurs à ces représentations : ma sœur Amélie, la princesse Ferdinand, la landgrave de Hesse, et la princesse de Würtemberg, votre voisine, qui est venue ici de Montbelliard pour entendre Le Kain. Ma nièce de Montbelliard m'a dit qu'elle pourrait bien entreprendre un jour le voyage de Ferney pour voir l'auteur dont les ouvrages font les délices de l'Europe. Je l'ai fort encouragée à satisfaire cette digne curiosité. Oh! que les belles-lettres sont utiles à la société! Elles délassent de l'ouvrage de la journée, elles dissipent agréablement les vapeurs politiques qui entêtent, elles adoucissent l'esprit, elles amusent jusqu'aux femmes, elles consolent les affligés, et sont enfin l'unique plaisir qui reste à ceux que l'âge a courbés sous son faix, et qui se trouvent heureux d'avoir contracté ce goût dès leur jeunesse.a

Nos Allemands ont l'ambition de jouir à leur tour des avantages


a Voyez t. VIII, p. 156; t. IX, p. 204 et 205; t. X, p. 69; t. XIII, p. 142 et 143; t. XIV, p. 98 et 99; t. XVI, p. 226; et t. XVII, p. 308.