<265>déterminée de ce qui est louable; on peut donner dans des travers étranges en s'y trompant.

Faites du bien aux hommes, et vous en serez béni : voilà la vraie gloire. Sans doute que tout ce qu'on dira de nous après notre mort pourra nous être aussi indifférent que tout ce qui s'est dit à la construction de la tour de Babel; cela n'empêche pas que, accoutumés à exister, nous ne soyons sensibles au jugement de la postérité. Les rois doivent l'être plus que les particuliers, puisque c'est le seul tribunal qu'ils aient à redouter.

Pour peu qu'on soit né sensible, on prétend à l'estime de ses compatriotes; on veut briller par quelque chose, on ne veut pas être confondu dans la foule qui végète. Cet instinct est une suite des ingrédients dont la nature s'est servie pour nous pétrir; j'en ai ma part. Cependant je vous assure qu'il ne m'est jamais venu dans l'esprit de me comparer avec mes confrères, ni avec Mustapha, ni avec aucun autre; ce serait une vanité puérile et bourgeoise; je ne m'embarrasse que de mes affaires. Souvent, pour m'humilier, je me mets en parallèle avec le to kalon, avec l'archétype des stoïciens; et je confesse alors avec Memnona que des êtres fragiles comme nous ne sont pas formés pour atteindre à la perfection.

Si l'on voulait recueillir tous les préjugés qui gouvernent le monde, le catalogue remplirait un gros in-folio. Contentons-nous de combattre ceux qui nuisent à la société, et ne détruisons pas les erreurs utiles autant qu'agréables.

Cependant, quelque goût que je confesse d'avoir pour la gloire, je ne me flatte pas que les princes aient le plus de part à la réputation; je crois, au contraire, que les grands auteurs qui savent joindre l'utile à l'agréable, instruire en amusant,b jouiront d'une gloire plus


a Memnon, ou la sagesse humaine, 1750. Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXIII, p. 160.

b Horace, Art poétique, v. 343; voyez aussi t. XXI, p. 353 de notre édition.