<101> heureux de suivre le conseil de Candide, et de vous borner à cultiver votre jardin. Il n'est pas donné à tout le monde d'en faire autant. Il faut que le bœuf trace un sillon, que le rossignol chante, que le dauphin nage, et que je fasse la guerre.

Plus je fais ce métier, et plus je me persuade que la fortune y a la plus grande part. Je ne crois pas que je le ferai longtemps : ma santé baisse à vue d'œil, et je pourrais bien aller bientôt entretenir Virgile de la Henriade, et descendre dans ce pays où nos chagrins, nos plaisirs et nos espérances ne nous suivent plus, où votre beau génie et celui d'un goujat sont réduits à la même valeur, où enfin on se retrouve dans l'état qui précéda la naissance.

Peut-être dans peu vous pourrez vous amuser à faire mon épitaphe. Vous direz que j'aimai les bons vers, et que j'en fis de mauvais; que je ne fus pas assez stupide pour ne pas estimer vos talents; enfin vous rendrez de moi le compte que Babouc rendit de Paris au génie Ituriel.a

Voici une grande lettre pour la position où je me trouve. Je la trouve un peu trop noire; cependant elle partira telle qu'elle est; elle ne sera point interceptée en chemin, et demeurera dans le profond oubli où je la condamne.

Adieu; vivez heureux, et dites un petit bénédicité en faveur des pauvres philosophes qui sont en purgatoire.


a Le monde comme il va, vision de Babouc. Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXIII. p. 26 : « Si tout n'est pas bien, tout est passable. »