261. DE VOLTAIRE.

Paris, 8 mai 1750.

Oui, grand homme, je vous le dis,
Il faut que je me renouvelle.
J'irai dans votre paradis
Du feu qui m'embrasait jadis
Ressusciter quelque étincelle,

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Et dans votre flamme immortelle
Tremper mes ressorts engourdis.
Votre bonté, votre éloquence,
Vos vers coulant avec aisance,
De jour en jour plus arrondis,
Sont ma fontaine de Jouvence.

Mais il ne faut pas tromper son héros. Vous verrez, Sire, un malingre, un mélancolique, à qui V. M. fera beaucoup de plaisir, et qui ne vous en fera guère; mon imagination jouira de la vôtre. Ayez la bonté de vous attendre à tout donner sans rien recevoir. Je suis réellement dans un très-triste état; d'Arnaud peut vous en avoir rendu compte. Mais enfin vous savez que j'aime cent fois mieux mourir auprès de vous qu'ailleurs. Il y a encore une autre difficulté; je vais parler, non pas au roi, mais à l'homme qui entre dans le détail des misères humaines. Je suis riche, et même très-riche pour un homme de lettres. J'ai ce qu'on appelle à Paris monté une maison où je vis en philosophe avec ma famille et mes amis. Voilà ma situation; malgré cela, il m'est impossible de faire actuellement une dépense extraordinaire : premièrement, parce qu'il m'en a beaucoup coûté pour établir mon petit ménage; en second lieu, parce que les affaires de madame du Châtelet, mêlées avec ma fortune, m'ont coûté encore davantage. Mettez, je vous en prie, selon votre coutume philosophique, la Majesté à part, et souffrez que je vous dise que je ne veux pas vous être à charge. Je ne peux ni avoir un bon carrosse de voyage, ni partir avec les secours nécessaires à un malade, ni pourvoir à mon ménage pendant mon absence, etc., à moins de quatre mille écus d'Allemagne. Si Mettra, un des marchands correspondants de Berlin, veut me les avancer, je lui ferai une obligation, et le rembourserai sur la partie de mon bien la plus claire qu'on liquide actuellement. Cela est peut-être ridicule à proposer; mais je peux assurer V. M. que cet arrangement ne me gênera point. Vous n'auriez, <281>Sire, quà faire dire un mot à Berlin au correspondant de Mettra ou de quelque autre banquier résidant à Paris; cela serait fait à la réception de la lettre, et quatre jours après je partirais. Mon corps aurait beau souffrir, mon âme le ferait bien aller; et cette âme, qui est à vous, serait heureuse. Je vous ai parlé naïvement, et je supplie le philosophe de dire au monarque qu'il ne s'en fâche pas. En un mot, je suis prêt; et, si vous daignez m'aimer, je quitte tout, je pars, et je voudrais partir pour passer ma vie à vos pieds.