187. AU MÊME.

Potsdam, 7 août 1742.

Mon cher Voltaire, vous me dites poétiquement de si belles choses, que, si je m'en croyais, la tête me tournerait. Je vous prie, trêve de héros, d'héroïsme, et de tous ces grands mots qui ne sont plus propres, depuis la paix, qu'à remplir d'un galimatias pompeux quelques pages de romans, ou quelques hémistiches de vers tragiques.

Vos vers légers, mélodieux,
Par un élégant badinage
Amuseront et plairont mieux
Que par l'encens et par l'hommage,
Qui, vous soit dit, est un langage
Bon pour faire bâiller les dieux.

Ces traits brillants de votre imagination ne sont jamais plus charmants que sur le badinage. Il n'est pas donné à tout le monde de faire rire l'esprit; il faut bien de l'enjouement naturel pour le communiquer aux autres.

Ce n'est ni Dieu ni le diable, mais bien un misérable commis du bureau de la poste de Bruxelles qui a ouvert et copié votre lettre; il l'a envoyée à Paris et partout. Je crois que le vieux Nestor n'est pas tout à fait blanc de cette affaire.

Je vous prie, mon cher Voltaire, de restituer une syllabe au village<121> de Chotusitz, que vous lui avez si inhumainement ravie; et, puisqu'il vous faut des champs de bataille qui riment à quelque chose, j'ose vous faire remarquer que Chotusitz rime assez bien à Mollwitz. Me voilà quitte de la rime et de la raison.

Vous vous formalisez de ce que je vous crois de la passion pour la marquise du Châtelet; je pensais mériter des remercîments de votre part, de ce que je présumais si bien de vous. La marquise est belle, aimable; vous êtes sensible, elle a un cœur; vous avez des sentiments, elle n'est pas de marbre; vous habitez ensemble depuis dix années. Voudriez-vous me faire croire que pendant tout ce temps-là vous n'avez parlé que de philosophie à la plus aimable femme de France? Ne vous en déplaise, mon cher ami, vous auriez joué un bien pauvre personnage. Je n'imaginais pas que les plaisirs fussent exilés du temple de la Vertu, que vous habitez.

Quoi qu'il en soit, vous m'avez promis de me sacrifier quelques-uns de vos jours; ce qui me suffit. Plus je croirai que cette absence de la marquise vous coûte d'efforts, plus je vous en aurai de reconnaissance. Gardez-vous bien de me détromper.

J'entends déjà cent belles choses,
Toutes nouvellement écloses,
Et des bons mots sur tous sujets.
Juvénal lancera vos traits,
L'aimable Anacréon vous ceindra de ses roses,
Horace fera vos portraits,
Le bon, le simple La Fontaine
Fera tout naturellement
Quelque conte badin, sans gêne,
Que nous écouterons voluptueusement.
Ami, votre discernement
Mêlera ses préceptes graves,
Et mettra de justes entraves
A notre feu trop petillant.
Pour soutenir notre enjouement,

<122>

Et tout l'essor de la saillie,
Le vin d'Aï, nectar charmant,
Pourra vous servir d'ambroisie;
Et dans cette bachique orgie,
L'on saura fuir également
L'assoupissante léthargie,
Et le fougueux emportement.

Adieu, cher Voltaire; soyez juste envers vos amis. Sacrifiez aux autels de madame du Châtelet; mais, dans le commerce des dieux, n'oubliez pas les hommes qui vous estiment, et donnez-leur quelques-uns de vos moments.