<94>Il y a encore un autre malheur : c'est que V. M. peint si bien les nobles friponneries des politiques, les soins intéressés des courtisans, etc., qu'elle finira par se défier de l'affection des hommes de toute espèce, et qu'elle croira qu'il est démontré en morale qu'on n'aime point un roi pour lui-même. Sire, que je prenne la liberté de faire aussi ma démonstration. N'est-il pas vrai qu'on ne peut pas s'empêcher d'aimer pour lui-même un homme d'un esprit supérieur, qui a bien des talents, et qui joint à tous ces talents-là celui de plaire? Or, s'il arrive que par malheur ce génie supérieur soit roi, son état en doit-il empirer? et l'aimerait-on moins parce qu'il porte une couronne? Pour moi, je sens que la couronne ne me refroidit point du tout. Je suis, etc.

174. A VOLTAIRE.

Berlin. 8 janvier 1742.

Mon cher Voltaire, je vous dois deux lettres, à mon grand regret, et je me trouve si occupé par les grandes affaires que les philosophes appellent des billevesées, que je ne puis encore penser à mon plaisir, le seul solide bien de la vie. Je m'imagine que Dieu a créé les ânes, les colonnes doriques, et nous autres rois, pour porter les fardeaux de ce monde, où tant d'autres êtres sont faits pour jouir des biens qu'il produit.

A présent me voilà à argumenter avec une vingtaine de Machiavels plus ou moins dangereux. L'aimable Poésie attend à la porte, sans avoir d'audience. L'un me parle de limites, l'autre, de droits; un autre encore, d'indemnisation; celui-ci, d'auxiliaires, de contrats de