<256>

Suivait ce goût sage et solide;
Par malheur, il est suranné.

Vous dirai-je encore un mot sur la tragédie? Les grandes passions me plaisent sur le théâtre; je sens une satisfaction secrète lorsque l'auteur trouve moyen de remuer et de transporter mon âme par la force de son éloquence. Mais ma délicatesse souffre lorsque les passions héroïques sortent de la vraisemblance; les machines sont trop outrées dans un spectacle; au lieu d'émouvoir, elles deviennent puériles. S'il fallait opter, j'aimerais mieux dans la tragédie moins d'élévation et plus de naturel.

Le sublime outré donne dans l'extravagance. Charles XII a été le seul homme de tout ce siècle qui eût ce caractère théâtral; mais, pour le bonheur du genre humain, les Charles XII sont rares. Il y a une Mariane de Tristan qui commence par ce vers :

Fantôme injurieux qui troubles mon repos ....

Ce n'est pas certainement comme nous parlons; apparemment que c'est le langage des habitants de la lune. Ce que je dis des vers doit s'entendre également de l'action : pour qu'une tragédie me plaise, il faut que les personnages ne montrent les passions que telles qu'elles sont dans les hommes vifs et dans les hommes vindicatifs; il ne faut dépeindre les hommes ni comme des démons ni comme des anges, car ils ne sont ni l'un ni l'autre, mais puiser leurs traits dans la nature.

Pardon, mon cher Voltaire, de cette discussion; je vous parle comme faisait la servante de Molière, je vous rends compte des impressions que les choses font sur mon âme ignorante.

J'ai trouvé, dans le volume que je viens de recevoir, l'Éloge que vous faites des officiers qui ont péri dans cette guerre,a ce qui est


a Eloge funèbre des officiers qui sont morts dans la guerre de 1741. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXIX, p. 27-47.