<220> Reine sa fille. Elle en a été bien étonnée. Ce ne sont pas là des vers de roi, ce sont des vers du roi des poëtes. Voilà comment il en faut faire. Une douzaine de vers dans ce goût marquent plus de génie et font plus de réputation que cent mille vers médiocres. D'ailleurs, je n'en laisse point tirer de copie, et jamais aucun des vers que vous m'avez daigné envoyer n'a couru; mais ceux-ci mériteraient d'être sus par cœur.

Voilà donc des pièces de comparaison que vous vous êtes laites vous-même. Voilà votre poids du sanctuaire. Pesez à ce poids tous les vers que vous ferez, et surtout avant que d'en envoyer à nos ministres; et soyez bien sûr, Sire, qu'ils ne s'intéressent pas tant à ce petit avantage, aux charmes de ce talent, et à votre personne, que moi, et que je me connais mieux en vers qu'eux.

Quand vous avez fait un morceau aussi parfait que celui que je viens de vous citer, ne sentez-vous pas, Sire, dans le fond de votre cœur, combien cet art des vers est difficile? Je vous en crois convaincu; mais si vous ne l'étiez pas, je vous prierais de relire votre lettre à Darget, que je renvoie à V. M. soulignée et chargée de notes. Ne croyez pas que j'aie tout remarqué. Dites-vous à vous-même tout ce que je ne vous dis point. Examinez ce que j'ose vous dire, et puis, Sire, si vous l'osez, accusez-moi d'en user avec trop de douceur.

Pourquoi vous parlé-je aujourd'hui si franchement? pourquoi vous fais-je des critiques si détaillées? pourquoi dorénavant vous traiterai-je durement (si cela ne déplaît pas à la Majesté)? C'est que vous en êtes digne; c'est que vous faites en effet des choses excellentes, je ne dis pas excellentes pour un homme de votre rang, qu'on loue d'ordinaire comme on loue les enfants; je dis excellentes pour le meilleur de nos académiciens. Vous avez un prodigieux génie, et ce génie est cultivé. Mais si, dans l'heureux loisir que vous vous êtes procuré avec tant de gloire, vous continuez à vous occuper des belles-lettres; si cette passion des grandes âmes vous dure, comme je l'es-