<22>Enfin je me fais une véritable joie de voir l'homme du monde entier que j'aime et que j'estime le plus.

Pardonnez mes lapsus calami et mes autres fautes. Je ne suis pas encore dans une assiette tranquille; il me faut expédier mon voyage, après quoi j'espère trouver du temps pour moi.

Adieu, charmant, divin Voltaire; n'oubliez pas les pauvres mortels de Berlin qui vont faire diligence pour joindre dans peu les dieux de Cirey. Vale.

134. AU MÊME.

Berlin, 5 août 1740.

Mon cher Voltaire, j'ai reçu trois de vos lettres dans un jour de trouble, de cérémonie et d'ennui. Je vous en suis infiniment obligé. Tout ce que je puis vous répondre à présent, c'est que je remets le Machiavel à votre disposition, et je ne doute point que vous n'en usiez de façon que je n'aie pas lieu de me repentir de la confiance que je mets en vous. Je me repose entièrement sur mon cher éditeur.

J'écrirai à madame du Châtelet en conséquence de ce que vous désirez. A vous parler franchement touchant son voyage, c'est Voltaire, c'est vous, c'est mon ami que je désire de voir; et la divine Émilie, avec toute sa divinité, n'est que l'accessoire d'Apollon newtonianisé.

Je ne puis vous dire encore si je voyagerai ou si je ne voyagerai pas. Apprenez, mon cher Voltaire, que le roi de Prusse est une girouette de politique; il me faut l'impulsion de certains vents favorables pour voyager ou pour diriger mes voyages. Enfin je me confirme dans les sentiments qu'un roi est mille fois plus malheureux