<84> j'ai un goût déterminé pour vos ouvrages; il y aurait plus que de la cruauté à me les refuser.

Il me semble que la dépravation du goût n'est pas si générale en France que vous le croyez. Les Français connaissent encore un Apollon à Cirey, des Fontenelle, des Crébillon, des Rollin pour la clarté et la beauté du style historique; des d'Olivet pour les traductions; des Bernard et des Gresset, dont les muses naturelles et polies peuvent très-bien remplacer les Chaulieu et les La Fare.

Si Gresset pèche quelquefois contre l'exactitude, il est excusable par le feu qui l'emporte; plein de ses pensées, il néglige les mots. Que la nature fait peu d'ouvrages accomplis! et qu'on voit peu de Voltaires! J'ai pensé oublier M. de Réaumur, qui, en qualité de physicien, est en grande réputation chez vous.a Voilà ce qui me paraît la quintessence de vos grands hommes. Les autres auteurs ne me paraissent pas fort dignes d'attention. Les belles-lettres ne sont plus récompensées comme elles l'étaient du temps de Louis le Grand. Ce prince, quoique peu instruit, se faisait une affaire sérieuse de protéger ceux dont il attendait son immortalité. Il aimait la gloire, et c'est à cette noble passion que la France est redevable de son Académie et des arts qui y fleurissent encore.

Quant à la métaphysique, je ne crois pas qu'elle fasse jamais fortune ailleurs qu'en Angleterre. Vous avez vos bigots, nous avons les nôtres. L'Allemagne ne manque ni de superstitieux, ni de fanatiques entêtés de leurs préjugés et malfaisants au dernier point, et qui sont d'autant plus incorrigibles, que leur stupide ignorance leur interdit l'usage du raisonnement. Il est certain qu'on a lieu d'être prudent dans la compagnie de pareils sujets. Un homme qui passe pour n'avoir point de religion, fût-il le plus honnête homme du monde, est généralement décrié. La religion est l'idole des peuples; ils adorent tout


a Chez nous. (Variante des Œuvres posthumes, t. VIII. p. 284.) Voyez t. I, p. XLIII, et t. XI, p. 33.