<75>Voilà, monseigneur, ce que je pense du mont Rémus; je suis destiné à avoir en tout des opinions fort différentes des moines. Vos deux antiquaires à capuchon, soi-disant envoyés par le pape pour voir si le frère de Romulus a fondé votre palais, devaient bien faire un saint de ce Rémus, n'en pouvant faire le fondateur de votre palais; mais apparemment que Rémus aurait été aussi étonné de se voir en paradis qu'en Prusse.

On attend avec impatience, dans le petit paradis de Cirey, deux choses qui seront bien rares en France : le portrait d'un prince tel que vous, et M. de Keyserlingk, que V. A. R. honore du nom de son ami intime.

Louis XIV disait un jour à un homme qui avait rendu de grands services au roi d'Espagne Charles II, et qui avait eu sa familiarité : Le roi d'Espagne vous aimait donc beaucoup? - Ah! Sire, répondit le pauvre courtisan, est-ce que vous autres rois vous aimez quelque chose?

Vous voulez donc, monseigneur, avoir toutes les vertus qu'on leur souhaite si inutilement, et dont on les a toujours loués si mal à propos; ce n'est donc pas assez d'être supérieur aux hommes par l'esprit comme par le rang, vous l'êtes encore par le cœur. Vous, prince et ami! Voilà deux grands titres réunis qu'on a crus jusqu'ici incompatibles.

Cependant j'avais toujours osé penser que c'était aux princes à sentir l'amitié pure, car d'ordinaire les particuliers qui prétendent être amis sont rivaux. On a toujours quelque chose à se disputer : de la gloire, des places, des femmes, et surtout des faveurs de vous autres maîtres de la terre, qu'on se dispute encore plus que celles des femmes, qui vous valent pourtant bien.

Mais il me semble qu'un prince, et surtout un prince tel que vous, n'a rien à disputer, n'a point de rival à craindre, et peut aimer sans embarras et tout à son aise. Heureux, monseigneur, qui peut