<110> à faire bonne chère. Toutes les sociétés n'auront donc pas les mêmes lois, mais aucune société ne sera sans lois. Voilà donc certainement le bien de la société établi par tous les hommes, depuis Pékin jusqu'en Irlande, comme la règle immuable de la vertu; ce qui sera utile à la société sera donc bon par tout pays. Cette seule idée concilie tout d'un coup toutes les contradictions qui paraissent dans la morale des hommes. Le vol était permis à Lacédémone; mais pourquoi? Parce que les biens y étaient communs, et que voler un avare qui gardait pour lui seul ce que la loi donnait au public était servir la société.

Il y a, dit-on, des sauvages qui mangent des hommes, et qui croient bien faire. Je réponds que ces sauvages ont la même idée que nous du juste et de l'injuste. Ils font la guerre, comme nous, par fureur et par passion; on voit partout commettre les mêmes crimes; manger ses ennemis n'est qu'une cérémonie de plus. Le mal n'est pas de les mettre à la broche, le mal est de les tuer; et j'ose assurer qu'il n'y a point de sauvage qui croie bien faire en égorgeant son ami. J'ai vu quatre sauvages de la Louisiane qu'on amena en France en 1723. Il y avait parmi eux une femme d'une humeur fort douce. Je lui demandai, par interprète, si elle avait mangé quelquefois de la chair de ses ennemis, et si elle y avait pris goût; elle me répondit que oui. Je lui demandai si elle aurait volontiers tué ou fait tuer un de ses compatriotes pour le manger; elle me répondit en frémissant, et avec une horreur visible pour ce crime. Parmi les voyageurs, je défie le plus déterminé menteur d'oser dire qu'il y ait une peuplade, une famille où il soit permis de manquer à sa parole. Je suis bien fondé à croire que, Dieu ayant créé certains animaux pour paître en commun, d'autres pour ne se voir que deux à deux, très-rarement, les araignées pour faire des toiles, chaque espèce a les instruments nécessaires pour les ouvrages qu'elle doit faire. L'homme a reçu tout ce qu'il faut pour vivre en société, de même qu'il a