65. DU MARQUIS D'ARGENS.

Le 4 (sic) août 1759.



Sire,

Il ne vous arrive que ce qui est arrivé à César, à Turenne, et plusieurs fois au grand Condé. Si vous prenez sur vous de vous posséder, de soigner votre santé, et de faire usage des ressources que vos lumières vous fourniront, tout sera bientôt réparé. Je meurs de douleur de ne pas être auprès de vous pour pouvoir vous dire sans cesse ce que j'ai l'honneur de vous écrire. Au nom de votre peuple, au nom de votre gloire, qui sera à jamais immortelle malgré les événements fâcheux qui peuvent vous arriver, ne vous livrez point à des mouvements qui, en altérant votre santé, sont plus nuisibles à votre peuple que la perte de plusieurs batailles. Songez que Louis XIV a éprouvé les plus grands revers, et qu'il passe pour plus grand d'avoir su les soutenir que pour avoir conquis nombre de provinces. Quel est votre but? De défendre votre État; et, si vous venez à manquera cet État, il est perdu à jamais et sans ressource. La paix faite dans<90> certaines occasions n'est ni honteuse, ni préjudiciable. Quel est le prince, le héros qui n'ait pas été forcé de céder quelquefois au torrent des événements? Enfin, Sire, je vous adore, vous le savez. Si vous périssez, votre peuple vous accusera éternellement de son malheur; si vous vivez, de quelque façon que les choses tournent, il vous adorera, car vous seul pouvez le sauver du malheur où il tomberait en vous perdant. Excusez, Sire, la liberté que je prends; mais elle est pardonnable dans un homme qui, s'il avait cent vies au lieu d'une, les donnerait avec plaisir pour vous voir heureux. J'ai l'honneur, etc.