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159. AU MÊME.

Wittenberg, 24 novembre 1760.a

Vous me croyez, mon cher marquis, l'esprit beaucoup plus libre que je ne l'ai. Je suis ici accablé d'affaires, et la fin de ma campagne n'est pas une chose aussi facile à amener que vous l'imaginez. Ce seront mes succès ou mes pertes qui décideront des contributions de Berlin. Si je suis heureux, Berlin ne payera pas le sou; si la fortune m'est contraire comme par le passé, nous aviserons au parti qu'il faudra prendre pour soulager le peuple. Voilà tout ce que je puis vous dire. Quelques couleurs que vous donniez aux attentats de nos ennemis et aux calamités de la patrie, ne pensez pas que je ne voie clair à travers les nuages dont vous croyez couvrir des infortunes qui sont réelles et accablantes. La fin de mes jours est empoisonnée, et mon couchant aussi funeste que l'a été mon aurore. Ni les succès des Anglais, ni les avantages du prince Ferdinand ne peuvent contrebalancer les affreuses situations où j'ai été cette année; ce serait à recommencer, l'année qui vient. Quoi que je puisse faire, je prévois, vu le nombre de mes ennemis, que, si je résiste d'un côté, je succomberai de l'autre; je n'ai ni secours, ni diversion, ni paix, ni rien au monde à espérer. Vous m'avouerez donc qu'un homme sage, après avoir lutté un certain temps contre le malheur, ne doit point s'opiniâtrer contre son étoile, et qu'il est pour des hommes courageux des moyens de sortir de peine plus courts et plus glorieux. Je renvoie le pauvre Gotzkowsky à peu près comme il est venu; je ne puis rien décider qu'entre ci et quinze jours. Il faut auparavant finir la


a Cette date est fausse, car le 24 novembre le Roi ne se trouvait pas à Wittenberg, et M. Gotzkowsky ne se rendit au quartier général de Meissen que le 28. Peut-être cette lettre a-t-elle été écrite à Meissen, le 1er ou le 2 décembre suivant. Voyez Geschichte eines patriotischen Kaufmanns, p. 84, et la lettre du marquis d'Argens, du 28 novembre 1760.