39. A LA MÊME.

Leipzig, 25 janvier 1763.



Madame,

Mon existence, à laquelle vous daignez vous intéresser, vous vaut, madame, un ami qui vous est tout dévoué, et qui serait bien tenté<243> de mettre à la tête de tous ses titres les bontés que vous avez pour lui, comme celui qui lui est le plus honorable. Je n'ai que de nouveaux sujets de reconnaissance envers vous, mon adorable duchesse, et envers le Duc votre époux. Si tout le monde vous ressemblait, la société serait trop heureuse; elle ne serait qu'un commerce mutuel de bienfaits, de services rendus et reconnus avec gratitude; ce serait l'âge d'or chanté par les poëtes. Vous me faites goûter, ma chère duchesse, les félicités de cet heureux siècle. Je crois m'y trouver quand je ne pense qu'à vous, qu'à vos nobles procédés, et à ce fonds si pur de vertu qui me rend votre enthousiaste.

Je ne connais point le livre dont vous daignez, madame, me parler. Pour moi, je regarde la superstition comme une ancienne maladie des âmes faibles, causée par la crainte et l'ignorance, et je ne vois dans cet excès d'ambition qui pousse au despotisme qu'un désir effréné d'orgueil et de puissance. Si l'on considère le gouvernement despotique relativement aux sujets du tyran, je ne vois cependant pas qu'on puisse en tout comparer ce culte politique qu'ils rendent à leur despote au culte superstitieux des peuples. Le propre de la superstition est de pousser l'homme au fanatisme, et le propre d'une sujétion dure est de révolter le cœur contre l'oppresseur de la liberté. Aussi n'est-il pas ordinaire que les superstitieux changent l'objet de leur adoration, au lieu qu'on voit que les nations opprimées détrônent ou conspirent contre leurs tyrans. La raison en est que la superstition est volontaire, et que tout esclavage est forcé. Le seul point de réunion qui se rencontre en ce parallèle, c'est le principe, c'est la peur des châtiments, qui est commune à l'esclave et au superstitieux. Ah! ma chère duchesse, que vous allez vous moquer de moi! Vous me parlez d'une nouvelle brochure, et ma lettre vous fait presque un livre sur le même sujet. Mais vous êtes si bonne! Je deviens votre enfant gâté, et moi, étourdi de cinquante et un ans, je m'échappe, je fais des étourderies, et j'abuse de votre indulgence<244> extrême. Punissez-moi, et prescrivez les bornes que vous jugerez convenables à mes indiscrétions. Ce sera une obligation de plus que je vous aurai d'avoir été réformé et corrigé par ma chère duchesse.

J'ai ici deux neveux244-a auxquels je serais bien aise de faire faire connaissance avec mes respectables amis. Si vous ne le désapprouvez pas, ils passeront de leur cousine de Weimar, qu'ils iront voir, chez vous. Puissent-ils profiter de votre exemple et de tout ce qui vous met, madame, dans mon esprit, à cent piques au-dessus de toutes les impératrices de l'univers!

Daignez me conserver ces sentiments de bonté dont je suis si jaloux, en vous assurant, madame, que je ne perdrai aucune occasion en ma vie pour vous prouver la haute estime et la tendre amitié avec laquelle je suis,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.


244-a Le Prince de Prusse et son frère, le prince Henri. Voyez t. VII, p. 46 et 47.