35. AU COMTE ALGAROTTI.

Potsdam, 18 juillet 1742.

Cygne harmonieux, tant ultramontain qu'à Padoue, vous avez malheureusement deviné trop juste : la prévôté de Soest était donnée, il y a trois semaines, au jeune comte de Finck; ainsi elle n'est plus à donner actuellement. Vous manderez donc à votre Italien qu'il daignera attendre à une autre fois. Je crois qu'un certain autre Italien de Dresde ne sera pas non plus trop content de moi. Mais il y a des cas, dans le monde, où il est bien difficile de satisfaire un chacun; et souvent ceux qui se plaignent, à le bien examiner, ont à se reprocher eux-mêmes la raison de leur mécontentement.

Vous faites les plus belles inscriptions du monde; mais il leur faudrait et d'autres sujets, et d'autres palais pour les faire briller. Une paix salutaire à l'Europe, et dont l'époque prévenait de trois semaines en vitesse celle que mes alliés auraient faite, ne peut manquer de faire fleurir les arts et les sciences. Je crois que je ne puis mieux employer mon temps qu'en leur consacrant mes veilles. Il faut que mes occupations de la paix soient aussi utiles à l'État que l'ont pu être mes soins à la guerre. En un mot, c'est une saison différente de la vie politique. La paix, qui produit tout, est semblable au printemps, et la guerre, qui détruit, est semblable à l'automne, où les moissons et les vendanges se font.

<57>J'aurais répondu à votre lettre précédente, si j'en avais eu le temps. Mes occupations, après une assez longue absence, se sont beaucoup accrues, et, pour n'avoir pas fait d'affaires de longtemps, il en a fallu faire beaucoup à la fois. J'attends tout ce qu'il y a de bon en fait de chanteurs d'Italie; enfin j'aurai les meilleurs chapons harmonieux de l'Allemagne. Nos danseurs sont presque tous arrivés. Le théâtre sera achevé au mois de novembre, et, l'année qui vient, les comédiens arriveront. Les académiciens les suivront, comme de raison. La folie marche avant la sagesse; et des nez armés de lunettes et des mains chargées de compas, ne marchant qu'à pas graves, doivent arriver plus tard que des cabrioleurs français qui sautent avec des tambourins. Je vous souhaite santé, vie et contentement, et que, dans quelque sphère que vous gravitiez, vous n'oubliiez point ceux qui vous ont admiré lorsqu'ils ont vécu avec vous, et qui, dans vos lettres, célèbrent la commémoration de votre aimable compagnie. Adieu.

Federic.

P. S. Il y a une danseuse57-a ici dont la touchante beauté doit surpasser de cent piques les charmes de la Campioli; c'est la Vénus de Médicis en comparaison de la Diane d'Éphèse.


57-a Mademoiselle Roland. Voyez t. XV, p. 219 et 220, et t. XVII, p. 260, 276 et 277.