<4>Oui, déjà Virgile et le Tasse,
Surpris de tes puissants progrès,
Poliment te cèdent la place
Qu'ils pensaient tenir pour jamais.

J'ai tout reçu, mon cher Algarotti, depuis la poésie divine du cygne de Padoue jusqu'aux ouvrages estimables du sublime Candide.a Heureux sont les hommes qui peuvent jouir de la compagnie des gens d'esprit! Plus heureux sont les princes qui peuvent les posséder! Un prince qui ne voudrait avoir que de semblables sujets serait réduit à n'avoir pas un empire fort peuplé; je préférerais cependant son indigence à la richesse des autres, et je me trouverais principalement agréablement flatté, si je pouvais compter que

Tu décoreras ces climats
De ta lyre et de ton compas.b
Plus que Maron, par ton génie,
Tu pourrais voir couler ta vie
Chez ceux qui marchent sur les pas Et d'Auguste, et de Mécénas.

Passez-moi cette comparaison, et souvenez-vous qu'il faut donner quelque chose à la tyrannie de la rime.

J'espère que ma première lettre vous sera parvenue. J'aurai bientôt achevé la Réfutation de Machiavel; je ne fais à présent que revoir l'ouvrage et corriger quelques négligences de style et quelques fautes contre la pureté de la langue qui peuvent m'être échappées dans le feu de la composition. Je vous adresserai l'ouvrage dès qu'il sera


a C'est lord Baltimore que Frédéric désigne ainsi. Voyez t. XIV, p. vI, et 81-87. Le lecteur remarquera que le Candide de Voltaire ne parut qu'en 1759.

b Voltaire dit dans son Épître à M. le comte Algarotti, 1735 :
     

Vous allez donc aussi, sous le ciel des frimas.
Porter, en grelottant, la lyre et le compas.

Il ajoute en note : « M. Algarotti faisait très-bien des vers en sa langue, et avait quelques connaissances en mathématiques. » Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIII, p. 118.