<253> sentent, madame, votre admirable caractère est connu d'eux; je les en ai vus reconnaissants, et persuadés qu'il n'y avait d'autres bornes aux faveurs que vous répandez sur eux que les limites dans lesquelles la fortune vous a circonscrite. Quelle comparaison odieuse pour les Saxons! Ces misérables, abîmés par six années de guerre, ont reçu, avant encore la signature des préliminaires, de nouveaux projets d'impositions. En vérité, ceux qui exercent une telle dureté ne méritent pas d'être heureux. On attend le retour de la cour à Dresde comme la grêle qui abîmera le peu de blé que la stérilité a épargné, comme une tempête, comme la peste, qui frappe également les grands et le peuple, qui ravage et extermine tout. Si Brühl savait à quel point il est en horreur, je crois qu'il prendrait la vie en haine et son poste en aversion. Le public, à la longue, est juste; il apprécie chacun selon son mérite. Il fait quelquefois des jugements précipités; mais le temps le ramène toujours à la vérité.

Daignez, ma chère, mon adorable duchesse, me conserver vos bontés et votre précieuse amitié. Vous me tiendrez lieu et du public, et de tout l'univers. Je dirai comme Cicéron :

Les dieux sont pour César, mais Caton suit Pompée.a

Vous vous moquerez, madame, de César, de Caton, de Pompée et de moi, et vous aurez raison. Qu'y a-t-il besoin de citer, de me comparer à Caton? Belle comparaison! Enfin je crois entendre que vous dites tout cela, et que madame Buchwaldb y ajoute : Il est malheureux en comparaisons. Caton était un stoïque forcené, et vous, la plus aimable des femmes. Qu'il s'aille promener avec son Caton, et


a Ce vers n'est pas de Cicéron; c'est une imitation d'un vers de Lucain. Voyez t. XV, p. 150.

b Julienne-Françoise de Buchwald, née de Neuenstein, grande gouvernante de la duchesse Louise-Dorothée, naquit le 7 octobre 1707, et mourut le 19 décembre 1789. Charles de Dalberg a fait son éloge dans un petit ouvrage intitulé : Madame de Buchwald. Seconde édition. Erfurt, 1787, vingt-quatre pages in-8.