<222>proviste, et me rend la lettre dont vous avez eu, madame, la bonté de le charger. Je vous rends grâce de la manière affectueuse dont vous daignez faire des vœux pour le bien des conjonctures et pour ce qui me regarde. Je vous assure, madame, que, sans vous le dire à vous-même, je vous ai souhaité et vous souhaite tous les jours de ma vie le bonheur que méritent votre vertu distinguée et vos grandes qualités. Ce sont des sentiments qui me resteront pour la vie, parce qu'il m'est impossible d'estimer les personnes ou de donner mon cœur à demi. Vous pouvez juger par conséquent que j'aurais tout fait de moi-même pour contribuer à ce qui vous peut être utile et agréable; mais, comme cette matière me paraît trop délicate pour être confiée au papier, j'en charge votre émissaire, qui, sous votre bon plaisir, pourra vous rapporter verbalement ce qui concerne cet article.

Je suis ici, depuis quatre semaines, dans le pays latin. J'ai, pour m'amuser, passé en revue tous les professeurs de cette université;a j'en ai trouvé trois ou quatre remplis de mérite et de belles connaissances, entre autres, un professeur de grec qui m'a semblé avoir plus de jugement et de goût qu'il n'est commun d'en rencontrer dans les savants de notre nation. Mais, dans la foule, j'en ai déterré un qui n'aurait pas échappé à Molière, s'il avait vécu de son temps. Cet homme admirableb m'a dit avec une gravité magistrale qu'il avait accouché de soixante volumes in-folio, et qu'il en avait publié deux tous les trois mois. Je lui dis : « Mais, monsieur, vous possédez donc la science universelle? - Aussi fais-je, repartit-il. - Mais, monsieur, tous les trois mois deux volumes in-folio! Y pensez-vous bien? Je n'aurais pas le temps de les écrire; et comment donc avez-vous pu »


a Gellert, Gottsched, Ernesti, Reiske, Winkler et Ludovici. Voyez Helden-, Staats- und Lebensgeschichte Friedrichs des Andern. Frankfurt und Leipzig, 1762, t. VI, p. 595 et 596.

b Frédéric parle ici de Gottsched, à qui il avait adressé une Épître en 1757. Voyez t. XII, p. 93. Voyez aussi t. X, p. 158.