163. DE M. JORDAN.

Berlin, 8 septembre 1742.



Sire,

D'Argens et moi avons entendu déclamer à Francheville le premier chant et une partie du second sur la Guerre de Silésie. Je puis assurer à V. M. qu'il y a plusieurs endroits dont Voltaire même tirerait vanité. Ce qui nous divertit, c'est l'enthousiasme avec lequel il les récite : cela m'engage à faire ces quatre vers.

L'autre jour, j'entendis Damon
Déclamer ses beaux vers d'une façon étrange.
S'il fait, dis-je, des vers comme en ferait un ange,
Il les récite en vrai démon.

On se dit à l'oreille qu'il y a des régiments qui ont reçu ordre de marcher. Je ne saurais me l'imaginer. Peut-être est-ce uniquement parce que je suis partisan de la paix? Qui ne le serait pas?

J'aurai l'honneur de faire ma cour à V. M. à Potsdam, suivant l'ordre qu'elle m'a fait la grâce de me donner. Je m'en fais un plaisir d'avance, puisqu'on assure que les eaux d'Aix et les bains ont produit sur la précieuse santé de V. M. des effets merveilleux.

<268>Tous les ministres étrangers ont été, il y a deux jours, voir la maison royale d'Oranienbourg. Le lord Hyndford, à ce qu'on m'a dit, n'a pu assez admirer la beauté de la situation du château, et le malheur de la destruction du jardin l'a affligé. Les spéculatifs font de grands raisonnements sur l'union qui semble régner entre les ministres des différentes cours respectives.

On a gravé à Paris le dernier portrait que Pesne a fait de V. M.; je n'y ai pu découvrir que peu de ressemblance. Il y a au-dessous ces quatre vers, faits par le chevalier de Neuville :

S'il fut par sa naissance au trône destiné,
Les droits de ses vertus sont-ils moins légitimes?
Héros dans ses actions, héros dans ses maximes.
Il est roi philosophe et soldat couronné.

J'ai l'honneur d'être, etc.