22. DE M. JORDAN.

Berlin, 14 décembre 1740.



Sire,

Tout le monde est ici dans l'attente de l'événement, dont la plupart ne peuvent déterminer ni la raison ni le but. Je suis charmé de voir une partie des États de Votre Majesté dans le pyrrhonisme; c'est un mal qui est devenu épidémique. Ceux qui, semblables aux théologiens, se croient en droit de certitude, prétendent que V. M. est attendue avec une impatience religieuse par les protestants, que les catholiques espèrent de se voir délivrés d'une infinité d'impôts qui déchirent cruellement le beau sein de leur Église. Vous ne pouvez que réussir dans votre courageux et stoïque dessein, puisque la religion et l'intérêt trouvent également leur compte à se ranger sous vos étendards.

Wallis, qui commande, à ce qu'on dit, a fait punir un Silésien comme calomniateur; il annonçait l'arrivée prochaine d'un nouveau Messie. J'ambitionne ce genre de martyre.

Les critiques croient la démarche présente directement opposée aux maximes renfermées dans le dernier chapitre de l'Antimachiavel.

<82>Le mot de manifeste termine à présent presque toutes les conversations; on veut qu'il en paraisse un aujourd'hui, qui ne doit être que la préface d'une ample déduction à laquelle un jurisconsulte travaille. On court chez les libraires, comme on s'empresse à voir un phénomène céleste qu'on aurait annoncé. Voilà le début de ma gazette, qui ne peut être placée aux pieds sacrés de V. M. que deux fois la semaine, vu l'arrangement des postes.

Je passerai la matinée de vendredi en prières et en oraisons; les astronomes prétendent que Mars entrera ce jour-là dans la constellation de la double Aigle.

J'ai l'honneur d'être avec un très-profond respect, etc.