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18. A LA MARQUISE DU CHATELET.

Berlin, 18 mars 1740.



Madame,

Les ouvrages d'une dame qui réunit un esprit mâle et profond à la délicatesse et au goût qui est le partage de son sexe ne sauraient que m'être bien agréables; ce ne sera plus de Wolff, mais ce sera de la bouche de Minerve que je recevrai mes instructions. Il est à croire, madame, que vous rendrez wolffiens ceux qui liront votre ouvrage. L'esprit est facile à convaincre lorsque le cœur est touché. Je vous réponds de ma conviction; il ne dépend à présent que de vous de l'entreprendre en m'envoyant cet abrégé précieux. Il fallait à notre didactique et pesant philosophe allemand le secours d'un génie vif et éclairé comme le vôtre pour abréger l'ennui de ses répétitions et pour rendre agréable son extrême sécheresse; son or, passé par votre creuset, n'en deviendra que plus pur.

La Réfutation de Machiavel, dont votre indulgence m'applaudit, aurait peut-être mieux réussi, si j'avais eu tout le loisir nécessaire; mais il y a quatre mois que je suis ici, c'est-à-dire, dans l'endroit du monde le plus tumultueux et le moins propre à ce recueillement d'esprit que demandent des ouvrages réfléchis. J'ai fait une trêve avec Voltaire, le priant de m'accorder quelques semaines de délai, après quoi je lui ai promis d'être impitoyable à l'égard des fautes qui me sont échappées dans la composition de cet ouvrage.

Césarion convalescent vous marque lui-même, par la lettre ci-jointe, combien il est sensible à votre souvenir. Nous parlons de Cirey comme les Juifs de Jérusalem. En effet, votre maison mérite bien autant d'être appelée un temple que cet édifice superbe construit par Salomon, à la différence près que souvent la superstition et l'ignorance habitaient les sacrés portiques et le sanctuaire de ces