<293>Je vous mande que j'ai fait des vers, mais que je les veux corriger avant que de vous les envoyer. Vous vous attendiez peut-être à recevoir des nouvelles d'un genre tout différent; mais voilà comme est fait le monde, il s'y passe souvent le contraire de ce que l'on imagine. Faites mes compliments à l'aimable témoin goutteux et au perfide Duhan : dites à l'un et à l'autre que je les aime bien.

Je suis ici parmi toutes les contre-gardes, enveloppes, ravelins et avant-fossés de l'univers. J'ai beaucoup d'occupations, de soucis et d'inquiétudes; mais je ne me plaindrai de rien, pourvu que je puisse bien servir la patrie, et lui être aussi utile que j'en ai la volonté.

Adieu, cher Jordan; je vous souhaite tous les biens imaginables, et principalement la santé, sans laquelle il ne nous est pas possible de prendre part à quoi que ce soit. Aimez-moi toujours, et n'oubliez pas les amis absents.

192. DE M. JORDAN.

Berlin. 24 avril 1745.



Sire,

Mon mal augmente d'une façon à me faire croire que je n'ai plus lieu d'espérer ma guérison. Je sens bien, dans la situation où je me trouve, la nécessité d'une religion éclairée et réfléchie. Sans elle, nous sommes les êtres de l'univers les plus à plaindre. V. M. voudra bien, après ma mort, me rendre la justice que, si j'ai combattu la superstition avec acharnement, j'ai toujours soutenu les intérêts de la religion chrétienne, quoique fort éloigné des idées des théologiens. Comme on ne connaît la nécessité de la valeur que dans le péril, on ne peut connaître l'avantage consolant qu'on retire de la religion