<227>

132. DE M. JORDAN.

Berlin, 12 mai 1742.



Sire,

J'ai séquestré mon Apollon,
Adieu j'ai dit aux neuf pucelles,
J'ai quitté le sacré vallon,
Pour vous débiter des nouvelles.

V. M. doit avoir reçu deux ou trois de mes lettres remplies de nouvelles de politique, de littérature et de ville. La précédente roulait sur le plaisir; mais, à parler naturellement, ce n'est qu'afin d'en entendre parler V. M.

C'est l'esprit qui nous fait connaître
Ce que plaisirs ont de plus séduisant.
Vous en avez infiniment;
Qui pourrait mieux que vous nous en parler en maître?

On dit ici que Brühl, de la cour de Saxe, est entièrement disgracié, que le prince de Weissenfels en est l'unique cause, qu'il a représenté au Roi que l'armée saxonne manquait de tout.

Oui, le bonheur de Brühl nous est vanté partout,
Car il a tout le bien qu'en ce monde il désire;
Les Saxons cependant n'ont rien, manquent de tout :
Ah! le beau champ pour la satire!

On ajoute que Rutowski a eu le même sort, qu'il a quitté l'armée. Voilà des discours que je ne garantis point, et qu'on débite ici d'un air mystérieux.

Il fait fort mauvais temps à Berlin. Le vent du nord semble avoir pris à tâche de nous faire donner tous au diable, et le soleil est allé je ne sais où; s'il paraît, ce n'est qu'en rechignant. Je soupçonne qu'il paraît dans son beau à Chrudim, parce que V. M. y est, et que le soleil connaît le dévouement que vous avez pour lui.