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III. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LE COMTE DE SECKENDORFF. (6 AVRIL 1732 - AVRIL 1733.)[Titelblatt]

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1. DE M. DE SECKENDORFF.

6 avril 1732.



Monseigneur

Un véritable et très-zélé serviteur de Votre Altesse Royale a tant à cœur l'harmonie heureusement rétablie dans la famille royale, qu'il ne peut pas s'empêcher d'avertir V. A. R. que tous nos soins doivent aller à la conserver; et comme on craint que, pendant son séjour à Cüstrin, on n'aura pas pu se dispenser à faire quelques dettes, il sera absolument nécessaire de les payer sans que cela vienne encore à la connaissance du Roi, qui pourra croire, s'il le saura, qu'on avait mal employé l'argent. On commence donc de faire tenir à V. A. R. cinq cents ducats pour s'en servir à payer les dettes. Mais comme on sera surpris si les dettes se payent tout d'un coup, il sera de la prudence d'en payer une partie tous les mois, et de faire accroire aussi à ses amis les plus intimes que ce payement se faisait de l'argent qu'elle ménageait de ce que le Roi donne pour son entretien par mois, et des revenus du régiment. L'homme en question est instruit de remettre cette somme entre les mains propres de V. A. R.; pour cet effet, il faut quelle lui dise de revenir, et qu'elle lui donne réponse à la lettre qu'il lui a apportée. Il mettra le paquet sur la table, et s'en ira dans le moment, après avoir reçu sa lettre de V. A. R., afin que personne ne puisse avoir le moindre soupçon. Si la manière dont on lait tenir à V. A. cette petite remise a son approbation, on se servira toujours de ce canal, point du tout pour fournir à des dépenses inutiles, qu'on sait que V. A. R. est incapable de faire, mais pour empêcher que le Roi ne change sa bonne opinion de la conduite de V. A. R., si par<28> hasard on découvrira que le ménage n'est pas encore en tel ordre que S. M. voudra. On espère que V. A. R. cassera ce billet, et, pour en être plus assuré, on prie qu'elle ait la grâce d'en rendre quelques morceaux déchirés à celui qui lui donnera l'argent en question. On doit aussi avertir qu'on a envie de la surprendre dans son quartier pour voir comme l'économie va. La politique veut qu'on ne s'éloigne pas beaucoup de la ville, etc.

2. A M. DE SECKENDORFF.

Je vous suis mille fois obligé de la lettre que vous avez la bonté de m'écrire. J'ai d'abord dit que l'on devait agrandir la table demain, pour que l'envoyé de l'Empereur fût bien reçu. Le livre28-a que vous avez eu la bonté de m'écrire est charmant, et je vous envoie dans un couvert la chanson28-a que vous m'avez demandée. Je vous ai au reste mille obligations des soins que vous vous donnez, et vous pouvez bien croire que, quoique je ne suis de beaucoup de paroles, je n'en suis pas néanmoins avec beaucoup de considération, d'affection et d'estime,



Mon cher général,

Votre très-parfait ami et serviteur
Frederic.

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3. AU MÊME.

Ruppin, 9 juillet 1732.



Mon très-cher comte,

Je vous envoie ci-joint quelques lettres que j'ai écrites au maréchal Harrach, au comte Daun et au colonel Baloies pour les prier de me permettre d'accorder avec quelques grands hommes qu'ils ont dans leurs régiments, et qui, à ce qu'on m'a dit, étaient intentionnés d'entrer en notre service. Je vous prie d'avoir la bonté de les faire rendre à leurs adresses et de me croire à jamais,



Mon très-cher général,

Votre très-affectionné, parfait ami et serviteur.
Frederic.

4. AU MÊME.

Ruppin, 15 juillet 1732.



Mon très-cher général,

Je vous suis infiniment obligé de l'incluse que vous avez eu la bonté de m'envoyer; vous pouvez être persuadé qu'elle m'a fait un plaisir infini, et je vous prie d'en marquer ma parfaite reconnaissance à M. le prince de Savoie. Le Roi est revenu de Magdehourg, satisfait autant que l'on peut l'être des régiments qu'il a passés en revue. Il m'a écrit, et ajouté dans la lettre, ich sollte machen, dass mein Regiment kein Salat-Regiment wäre und sollte mit der Compagnie gut Exempel geben. Je crois que je fais de ma part ce que je puis; mais<30> je lui ai écrit que l'on ne faisait pas bien des recrues sans argent, et que je prie de me donner les deux mille cent vingt-cinq thalers que je vous devais pour les recrues de l'année passée. Voilà tout ce qu'il y a de nouveau. J'espère d'avoir le plaisir de vous revoir bientôt, mon cher général, et de vous assurer de vive voix de la parfaite estime avec laquelle je suis

Votre parfait ami et serviteur,
Frederic.

5. AU MÊME.

Ruppin, 17 juillet 1732.



Mon très-cher général,

J'ai écrit au Roi que je vous devais encore les deux mille cent vingt-cinq écus pour les recrues, dont il m'a dit en avoir payé six cents; il reste donc encore mille cinq cent vingt-cinq écus, qu'il vous payera au premier jour. Le Roi va à Prague; je ne serai pas du voyage. A dire le vrai, je ne suis pas chagriné de ne pas l'être, car cela donnerait infailliblement sujet à noise. Cependant j'aurais beaucoup souhaité voir l'Empereur, l'Impératrice et M. le prince, pour qui j'ai une estime toute particulière. Je vous prie, monsieur, de l'en assurer, en vous assurant que je serai toujours avec beaucoup de considération,



Monsieur mon très-cher général,

etc.
Frederic.

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6. AU MÊME.

Berlin, 26 décembre 1732.



Mon très-cher ami,

Je ne saurai jamais assez vous remercier, mon très-cher général, des peines que vous vous êtes données pour moi dans tant de différentes occasions qui se sont présentées. Je vous prie instamment de vouloir bien témoigner à S. M. I. l'obligation et la reconnaissance que j'ai envers elle de toutes les bontés qu'elle m'a témoignées. Principalement, je ne saurai jamais trouver de termes assez vifs pour marquer le plaisir particulier que j'ai eu du relâchement du pauvre Duhan; c'est une action qui était vraiment digne de la magnanimité et de la générosité de l'Empereur. Je prends tout le bien que l'on fait à ce pauvre malheureux comme si l'on me le faisait, et je puis vous assurer, monsieur, que je me ferai une loi d'en témoigner dans toutes les occasions, et autant que mon devoir le permet, l'attachement et la haute vénération que j'ai pour la personne de l'Empereur, et cela, plus par rapport à ses éminentes qualités que par égard à la hauteur de son rang. Mais, monsieur, il nous reste encore une partie à soulager; ma chère sœur de Baireuth, qui est dans une très-triste situation, me ronge le cœur et l'âme. Pour l'amour de Dieu, s'il y avait moyen d'améliorer son sort auprès du Roi! Elle a des promesses très-avantageuses de sa propre main, mais tout reste là. Du reste, je vous supplie de croire que je ne cesserai jamais de reconnaître en particulier les bons offices que vous me rendez, monsieur, et que, dans toute occasion, je me ferai une vive joie de vous témoigner comme je suis avec une parfaite et sincère estime,



Monsieur mon très-cher général,

Votre très-affectionné, très-fidèle ami et serviteur,
Frederic.

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7. AU MÊME.

Janvier 1733.

Je viens du Roi, qui, dans ce moment, me vient de dire que je devais me préparer pour le voyage de Brunswic; et comme j'apprends qu'on ne veut point bonifier mes dépenses, j'avoue que je me trouve fort embarrassé, me trouvant à sec. Je vous avoue ici franchement, mon cher ami, que vous me tireriez fort d'affaire en voulant me prêter quelque somme. Je sais que je vous dois à présent près de mille écus, et je vous assure que dès que je serai marié, je songerai aux moyens de me racquitter, en vous conservant toutes les obligations que je vous en dois.

Frederic.

8. DE M. DE SECKENDORFF.

Berlin, janvier 1733.



Monseigneur

Un ami m'avertit que la dernière remise a été employée pour contenter les créanciers. J'envoie donc un autre secours plus fort pour secourir aux besoins qu'on pourrait avoir pour le voyage prochain. On le fera adresser au maître de poste de Fehrbellin, où V. A. R., s'il lui plaît, ... un exprès, sous prétexte d'avoir la petite boîte avec du tabac d'Espagne, arrivée de Berlin, marquée S. A. R. Selon ses ordres, j'ai écrit au prince Eugène ce qu'elle a souhaité pour les six hommes de Pomorre. Je suis au désespoir que le Roi m'a pris mon écuyer pour le donner à V. A. R., puisque j'apprends que V. A. R. a actuellement un autre engagé, et que je suis en peine qu'elle pourra croire que c'était à ma recommandation que le Roi lui donne le mien, etc.

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9. A M. DE SECKENDORFF.

Ruppin, 11 avril 1733.



Mon très-cher général,

Comme je sais que je puis m'adresser naturellement à vous, mon très-cher ami, en cas de nécessité, il faut que je vous avoue franchement que j'y suis réduit de nouveau. Je suis fort lâché d'être obligé de vous incommoder pour cette raison; mais j'aime encore mieux me fier à vous, vous connaissant de mes plus fidèles amis, qu'à aucun autre. Vous pouvez compter que, dès que je serai en état, je tâcherai de rembourser le tout, et de vous témoigner, mon très-cher général, comme je suis, etc.

Frederic.

10. DE M. DE SECKENDORFF.

Berlin, 15 avril 1733.



Monseigneur

Votre Altesse Royale ne se trompe point quand elle prend confiance en moi dans les nécessités où elle se trouve en être réduite. Un petit secours arrivera par la poste ordinaire. Mes finances, ayant été épuisées par le laquais que j'ai l'ait tenir au Margrave pour la Margrave, n'ont pas pu fournir à présent davantage. Pour le remboursement, rien ne presse, parce que le prêteur ne demande qu'une reconnaissance proportionnée au propre intérêt de la maison. Je serai d'une dévotion éternelle, etc.

Seckendorff.

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11. DU MÊME.

Berlin, 13 (sic) avril 1733.



Monseigneur

Je ne manquerai pas de faire un fidèle rapport à S. M. I. des sentiments de reconnaissance que V. A. R. marque dans sa gracieuse lettre pour l'attention que S. M. I. a depuis quelque temps sur tout ce qui a eu rapport au contentement de V. A. R. L'union et la parfaite intelligence entre les maisons d'Autriche et de Brandebourg ont procuré depuis plus de dix ans des avantages réciproques, que S. M. I. verra avec plaisir que V. A. R. continue dans ses principes salutaires pour le bien public; et comme S. M. le Roi son père a donné depuis quelques années des marques réelles de son amitié pour l'Empereur, ainsi S. M. I. sera charmée d'apprendre que V. A. R. veut entrer dans les mêmes vues. Elle peut être assurée que l'Empereur, à son tour, ne manquera pas de l'aire à V. A. R. l'estime que S. M. a conçue des mérites personnels de V. A. R. Le plaisir que S. M. I. a fait à V. A. R. par rapport au sieur Duhan sera accompli dorénavant dans des occasions plus réelles, où S. M. I. voudra témoigner à V. A. R. combien il lui tient au cœur de lui prouver ses sentiments. La somme que V. A. R. dit me devoir est déjà acquittée, je crois qu'elle devinera facilement par qui; on n'a en vue que l'union de la famille royale pour prévenir tout nouvel éclat. Comme V. A. R. me marque le besoin qu'elle a à l'heure qu'il est, je lui fournis le reste de mon présent dédommagement. Je ferai tout au monde pour la consolation de la digne Princesse royale; même je m'adresserai à S. M. l'Impératrice pour voir si Ton ne pourra trouver quelques mille florins par an, jusqu'à ce que le bon Dieu voudra changer en mieux le sort de V. A. R. Le sieur Duhan sera le premier soin ici. S. A. R. le duc de Wolfenbüttel a ordonné déjà ici à son résident de lui payer cent écus par an, et de continuer le voyage jusqu'à Blankenbourg, où il sera conseiller et<35> bibliothécaire, avec un gage proportionné. L'Empereur lui donnera une pension de quatre cents écus. Contents ceux qui ont le bonheur d'être estimés de V. A. R.; ils ne seront jamais négligés de la cour impériale, puisqu'on y sait déjà que V. A. R. aime les gens de mérite. J'espère que V. A. R. brûlera la ci-jointe, parce qu'il faut éviter aux malveillants tout prétexte d'interpréter en mal les intentions les plus pures et les plus nettes.

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28-a Les mots livre et chanson désignent les cinq cents ducats et la quittance dont il est fait mention dans la lettre précédente.