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28. AU MÊME.

Berlin, 9 décembre 1738.



Mon cher Camas,

J'espère bien que vous aurez pris pour un badinage les reproches que je vous ai faits touchant votre silence. Je m'en suis pourtant bien trouvé, puisqu'ils m'ont valu une belle et bonne lettre de votre part. Je comprends très-bien que l'endroit où vous vous êtes trouvé n'était guère propre pour la correspondance, et que votre silence avait cent mille raisons, dont la disette des nouvelles était la moindre. Je me trouve à Berlin depuis trois jours. La ville a considérablement augmenté à raison des masses de pierres; quant à la société et au beau monde, je le passe sous silence. Qu'il vous suffise de savoir que l'absence de M. et de madame de Camas est une brèche qu'on s'est aussi peu avisé de réparer que celle de Belgrad avant cette campagne. J'entends tous les jours parler des plaisirs de Berlin; mais, autant que j'ai pu y comprendre, il en sera comme de la lance de Patrocle;a vous savez qu'elle avait le don de blesser et de guérir, ce qui veut dire, pour quitter la métaphore, c'est qu'il n'y a qu'à connaître les plaisirs de Berlin pour en perdre le goût.

J'ai eu mes espions en campagne pour savoir la réponse que le Salomon de Cirey a faite aux reines de Saba du Nord.b J'ai appris que c'était un raisonnement fort didactique sur la manière de réprimer et de vaincre ses passions. C'est à savoir si cela a été du goût de nos héroïnes beaux esprits; c'est à vous d'en juger. La plus grande nouvelle que je puisse vous apprendre, c'est que le Roi sera ici demain à midi; selon mon thermomètre, le temps sera clair et serein, pourvu que jusqu'au départ la pièce soit de la même trame. Mon cher Camas, vous et votre juif, vous êtes plus heureux, dans vos occupations


a Ou plutôt d'Achille. Voyez t. VI, p. 81.

b Madame de Wr... et madame de Brandt. Voyez ci-dessus, p. 163 et 165.