<53> vue! Des cadavres d'une quantité de femmes égorgées, dont le sang inondait le plancher du cabinet! Ces objets affreux l'effrayent et la consternent; une sombre et noire mélancolie remplit son âme de douleur. Le bandeau de l'illusion se déchire; à l'ivresse des plaisirs trompeurs succède le remords, le repentir et l'abattement. Dans le moment où elle se croit perdue, le ciel lui darde un rayon de la grâce versatile et trois rayons de la grâce concomitante, que son repentir avait mérités. Dès lors elle aperçoit ses crimes dans toute leur horreur. Moment terrible, qui lui montre ce Dieu jaloux armé du foudre et prêt à l'en frapper! Sans mouvement et presque sans vie, elle laisse tomber sa clef. Mais que faire? Il faut la ramasser; elle la trouve toute tachée de sang. C'est ce sang innocent répandu depuis le juste Abel jusqu'au grand prêtre Joïada;a il crie au ciel vengeance, il demande qu'Adonaï, longtemps sourd aux gémissements du peu de justes qui restent en Israël, leur envoie celui qui fait l'espérance des nations, et qui devait terrasser l'ancien ennemi de Dieu et du genre humain. Cette jeune épouse était dans un état affreux; son âme était bouleversée par l'impression de ces cadavres sanglants, par le regret de ses crimes, par le pouvoir de la grâce efficace et par l'aversion qu'elle conçoit pour Barbe-bleue. Tout éplorée, elle sort de ce séjour d'horreur. Elle veut essuyer le sang qui tachait cette clef fatale; elle l'essaye différentes fois, mais elle n'y peut réussir; tant les taches de nos péchés sont ineffaçables, tant il en coûte pour épurer ce que le crime a souillé!

Cependant Barbe-bleue, qui était en voyage, reçoit la nouvelle que ses affaires sont terminées à son avantage, car les affaires du diable vont vite. Le mal est aisé, le bien difficile. Il revient à son palais, et redemande d'abord à son épouse la clef du terrible cabinet. Moment de terreur pour la pauvre femme, qui lui représente les


a Peut-être l'Auteur a-t-il voulu dire « jusqu'au fils du grand prêtre Joïada. » Voyez II Chroniques, chap. XXIV, versets 20 et 21.