<182> que, pour le faire connaître plus distinctement, il eût fallu que la cour de Vienne eût nommé le diable.

Le roi de Prusse, ayant tiré un si grand avantage des secours qu'il avait reçus de l'enfer, songea à s'attacher pour toujours le magicien qui les lui avait procurés; et comme il savait que les philosophes aiment les pays où ils jouissent de ce qu'ils appellent une tranquillité honnête, il assura ce méchant homme que s'il voulait s'attacher à lui, pourvu qu'il respectât les lois divines et humaines, qu'il conservât pour les princes, même pour ceux qui sont ses ennemis, le respect qui est dû aux têtes couronnées, il ne serait jamais brûlé comme le sont les juifs en Portugal et en Espagne, ni mis à l'inquisition comme le fut Galilée en Italie, quand même il soutiendrait que les papes ont fait danser quelquefois devant eux des filles toutes nues, pour égayer Leur mélancolique Sainteté.3


3 Note de l'Éditeur. Voici ce que dit un témoin oculaire de ces divertissements pontificaux; il était maître de cérémonies du pape Alexandre VI. « Le dernier dimanche du mois d'octobre, cinquante honnêtes femmes qu'on appelle courtisanes soupèrent avec le duc de Valentinois dans son appartement, qui était dans le palais apostolique. Après le repas, elles chantèrent et dansèrent, d'abord habillées, ensuite toutes nues, avec les domestiques et les convives du duc. On mit plusieurs chandeliers à terre avec de grands flambeaux, et l'on plaça devant les chandeliers des châtaignes que ces courtisanes nues ramassaient, passant entre les chandeliers, marchant sur les mains et sur les pieds. Le pape, le duc et Lucrèce sa sœur étaient présents, et regardaient cette fête. Enfin, on exposa des étoffes de soie, des chaussures précieuses et plusieurs autres présents pour ceux qui connaîtraient le plus de ces honnêtes courtisanes; elles le furent à l'aspect de tous ceux qui étaient présents, et qui, juges des attaques amoureuses, distribuèrent le prix à ceux qui s'étaient le plus distingués dans ces combats. » J'adoucis les expressions latines; les voici en original : « Dominica ultima mensis Octobris in sero fecerunt coenam cum duce Valentinensi, in camera sua in palatio apostolico, quinquaginta meretrices honestae, cortegianae nuncupatae, quae post coenam chorearunt cum servitoribus et aliis ibidem existentibus, primo in vestibus suis, deinde nudae. Post coenam posita fuerunt candelabra communia mensae cum candelis ardentibus, et projectae ante candelabra per terrant castaneae, quas meretrices ipsae super manibus et pedibus nudae candelabra pertranseuntes colligebant, papa, duce et Lucretia sorore sua praesentibus et aspicientibus. Tandem exposita dona ultimo, diploïdes de serico, paria caligarum, bireta et alia, pro illis qui plures dictas meretrices carnaliter agnoscerent; quae fuerunt ibidem in aula publice carnaliter tractatae arbitrio praesentium, et dona distributa victoribus. » Specimen historiae arcanae sive anecdotae de vita Alexandri VI papae, seu excerpta ex diario Johannis Burchardi Argentinensis, capellae Alexandri VI papae clerici ceremoniarum magistri [edente G. G. L. (Leibnitio), Hanoverae, 1696, in-4], pag. 77.
     Quelque forte que paraisse cette partie de plaisir pour le vicaire de la Divinité sur terre, tous les gens qui réfléchissent penseront qu'un pontife qui fait danser des filles nues est bien moins dangereux pour le genre humain et pour toutes les différentes sociétés civiles qu'un pape qui protége les assassins des rois, qui trouve mauvais qu'un prince veuille punir ses meurtriers, qui insulte un sénat respectable, connive avec les rebelles, et les favorise contre leur légitime souverain; qui, bien loin de gémir d'une guerre qui fait répandre tant de sang en Europe, la fomente, l'entretient, insulte les princes qui sont séparés de sa communion, les aigrit contre le catholicisme, et donne à des généraux chrétiens, pour faire la guerre à d'autres chrétiens, les mêmes marques de distinction et de religion qui sont réservées à ceux qui font la guerre au Turc. Un seul pontife de cette espèce nuit plus à l'humanité que tous les papes qui ont vécu et qui pourront vivre dans les siècles futurs, quand ils feraient danser deux fois par jour des courtisanes nues, ramassant des châtaignes et marchant sur les pieds et sur les mains. Le Saint-Esprit devait bien être étonné de voir son organe et la bouche par laquelle il parle, avec quinquaginta meretrices honestae.