<164> toutes les âmes des princes. - C'est bien pour son corps, repartit le Portugais, car une espèce de bonze exécrable qu'il y a chez nous a voulu le faire assassiner. - Et n'a-t-il pas fait empaler ces bonzes? dis-je avec émotion. - On n'empale pas ainsi des ecclésiastiques, repartit-il; tout ce que mon maître a pu faire est de les exiler; le grand lama les a pris sous sa protection, il les a recueillis ici, et il les récompense des parricides qu'ils ont voulu commettre à Lisbonne.a - En vérité, tout est incompréhensible dans votre Europe, monsieur le Portugais, lui dis-je; j'ai lu tout aujourd'hui un livre de votre morale, qui m'a ravi en admiration; ce sont vos bonzes qui la prêchent, votre grand lama est la vive source dont elle découle. Comment, étant l'image de toute vertu, peut-il se déclarer ainsi le protecteur d'un crime abominable? - Ne parlez pas si haut, dit le Portugais; il y a ici certaine inquisition qui pourrait vous faire rôtir à petit feu pour les paroles indiscrètes qui vous sont échappées; si vous voulez parler du grand lama, que ce soit dans un endroit sûr, où personne ne nous puisse trahir. Cela me fit ressouvenir de l'aventure de mon bouc de Constantinople, et je le suivis. Tu vois, sublime empereur, ce que j'ai déjà risqué pour ton service : j'ai pensé être lapidé pour un bouc, et brûlé pour avoir dit que le grand lama protége des scélérats. Ah! que cette Europe est un étrange pays! et que je regrette les douces mœurs dont on jouit, à l'ombre de ton sceptre, dans les heureuses contrées qui m'ont vu naître sous ta domination!

LETTRE TROISIÈME.

Dès que je fus entré chez mon Portugais, et que, après avoir bien fermé, il crut que nous étions en sûreté, il me dit : Je vois bien que


a Voyez t. IV, p. 254.