<119>Le cœur est la source d'où découlent tous les biens; c'est le premier ressort des vertus morales et des qualités civiles. Matthieu Reinhart l'avait si pur et si exempt d'artifice! Il était doux, officieux envers tout le monde, compatible envers ses voisins, humain et charitable envers ses inférieurs. Il est commun à des gens de son état d'avoir des démêlés avec leurs proches, des querelles avec ceux qui exercent la même profession, ou des procès pour des fonds ou pour d'autres objets de litige. Mais il avait une si grande aversion pour tout ce qui pouvait troubler le repos de son âme, surtout pour la chicane, qu'il éluda autant qu'il était en lui ce qui pouvait donner lieu aux contestations et aux procès; plutôt que d'être traduit en justice, il cédait à ceux qui formaient des prétentions à sa charge, et il disait que c'était beaucoup gagner que de savoir céder à propos. Des procédés aussi généreux, ce noble désintéressement, lui attiraient la considération de toute la ville. On l'aurait ruiné sans doute en ne formant que des prétentions contre lui. Ses voisins le ménageaient par délicatesse, et l'on craignait avec raison de ruiner sa petite fortune en exigeant de lui des biens injustement possédés, qu'il aurait sacrifiés à son repos. Cependant cette vie exemplaire ne le garantit pas contre les effets de l'envie, qui sont des médisances et souvent des calomnies atroces. Je ne dois rien dissimuler, car je n'ai qu'à publier des louanges. Cet homme de bien passait sa vie dans son atelier, comme nous l'avons dit, sans cesse attaché à son ouvrage pénible et fatigant; c'était une nécessité pour lui de réparer ses forces. Il avait l'estomac mauvais, et s'en plaignait souvent; cela l'obligeait à boire quelques bouteilles de vin par jour, pour se fortifier, selon le conseil de saint Paul à Timothée :a Use d'un peu de vin pour fortifier ton estomac. Souvent, vers le soir, ses genoux défaillants lui refusaient leur secours, et comme il était tombé quelquefois par exténuation,


a Ire Épître, chap. V, v. 23.