<112> pensant moins à l'intérêt qu'à la satisfaction d'être utile et de perfectionner son métier. On le trouvait sans cesse à son atelier, doux, affable, supportant les importunités, ne marquant pas même la moindre impatience ni la plus légère inquiétude quand de nouveaux fâcheux arrivaient à la file pour l'interrompre et pour presser son ouvrage, en cela bien différent de certains seigneurs qui brusquent tous ceux qui les abordent, qui commencent par refuser avant que de donner aux gens le temps d'expliquer ce qu'ils demandent, et qui ne savent bien de leur langue que le mot de non, distinctement articulé, parce qu'ils le prononcent sans cesse.

L'atelier du sieur Reinhart était une école de mœurs; il y tenait un ordre admirable; jamais ses élèves n'osaient jurer ou prononcer des paroles indécentes. Il leur disait souvent : Si vous vous appliquez à votre ouvrage, vous n'aurez pas d'autres idées. Aussi leur enseignait-il de bonne foi ce qu'il avait perfectionné avec tant de peine, de temps et de travail; il se piquait d'être utile après sa mort et de revivre en ceux qu'il avait formés. De son atelier sont sortis une foule d'habiles ouvriers, aujourd'hui établis dans tout ce pays; bien loin d'en être jaloux, il les encourageait, et s'applaudissait d'avoir si bien réussi. Cette vertu si simple dans un siècle corrompu est bien rare; d'autres artistes sont envieux de leurs découvertes ou de leurs secrets : un médecin qui croit avoir trouvé un remède nouveau le dérobe à la connaissance du monde, il en est envieux, et veut qu'il soit enseveli avec lui; bien des grands capitaines craignent de former des généraux qui, un jour, pourraient devenir leurs rivaux de gloire; il est ordinaire que des ministres cachent le secret des affaires à tous leurs commis, et qu'ils en demeurent les seuls dépositaires, par l'appréhension qu'ils ont d'élever des émules en le communiquant à ceux en qui ils placeraient leur confiance; aussi à leur mort tout est-il en désordre et en confusion, et il arrive quelquefois que le secret se