<110>ment la préférence, et n'avaient point honte de confesser qu'ils lui étaient inférieurs. Si j'étais ici dans un auditoire inconnu, on aurait peine à me croire. Des émules, des compétiteurs applaudir à celui qui concourt avec eux au même prix! Cela est étonnant, cela est inouï, cela tient du miracle. Mais vous, messieurs, mais ce peuple nombreux qui m'entend, et au défaut de cette ville même, ces voûtes, ces murailles, toutes muettes qu'elles sont, me serviront de témoins, et attesteront le point de gloire où arriva notre célèbre Matthieu Reinhart.

Il y a une distance immense à remplir d'une naissance obscure et ignorée à un nom connu et célèbre; la difficulté augmente encore lorsqu'on se trouve engagé dans sa jeunesse, par un concours de circonstances fâcheuses, mais pressantes, dans une carrière ingrate et stérile; se faire jour à travers tant de ténèbres est le fruit d'un esprit actif, appliqué, infatigable, et d'une industrie bien supérieure. Il faut du singulier pour se faire connaître, et un mérite bien au-dessus du vulgaire; mais quand on est connu, d'arracher des applaudissements dont le genre humain est si avare, surtout de réunir toutes les voix en sa faveur, cela tient du prodige, et suppose le consentement unanime de tous les hommes. Car représentez-vous, messieurs, quelle multitude il faut subjuguer, et de quoi est composée, non pas la population d'une province entière, mais simplement celle d'une cité bien habitée; vous y trouverez autant de variété dans les caractères et dans la façon de penser que la nature en a mis dans les physionomies. Les uns, trop frivoles, passent à travers la vie comme dans un songe, sans connaître ni réfléchir; les autres, avec des facultés bornées, ne pensent que d'après les impressions que des âmes plus fortes leur donnent. Ici, ce sont des esprits faciles qui changent d'opinions en changeant de société; là, des opiniâtres que rien ne convainc ni ne persuade. Vous voyez, d'un côté, des personnes dédaigneuses qui