<102> sans emploi, par son mérite, et grand, sans fortune, par sa vertu. Qu'on encense ces idoles qui ne se nourrissent que de louanges; que des langues mercenaires se frayent par la bassesse le chemin de la fortune; que l'on consacre les noms dignes d'oubli des grands de la terre, parce qu'ils sont grands : pour moi, je me borne à donner des éloges dus aux qualités du cœur, à celles du citoyen, à l'amour des devoirs, et à la vie d'un chrétien. Loin de cette chaire ces trompeuses adresses de l'imposture qui empruntent toutes sortes de couleurs pour déguiser la vérité, parce qu'on n'ose la faire paraître! Loin de moi ces tours étudiés qui servent de masque pour cacher des difformités que l'on craint de découvrir! Je n'ai point à parler d'un homme qui n'a cru être dans le monde que pour en jouir, qui négligea ses devoirs par paresse, ses amis par insensibilité, sa patrie par attachement pour soi-même; mais d'un citoyen dont l'âme toujours égale a marché sans vaciller dans le chemin de la vertu. C'est un hommage pur et exempt de flatterie et d'artifice que je dois rendre à la mémoire de Messire Jacques-Matthieu Reinhart, maître cordonnier de cette ville.

Écartez, messieurs, d'ici ces préjugés frivoles et si injustes, ces en fants de la mollesse et de l'orgueil, ces préventions de noblesse, de rang et de grandeur, qui font dédaigner tout ce qui n'est pas illustre aux regards du monde, et qui font mépriser tous ceux dont l'extraction n'est pas marquée par des noms fameux et par une suite de grands hommes; souvenez-vous que la vertu habite moins dans les palais des grands que dans les cabanes des pauvres; que votre raison l'emporte sur les illusions de la coutume; et que votre esprit docile et sage juge plus par les choses que par les noms.

Il est inutile que je fouille dans les chroniques stériles et poudreuses pour vous apprendre quels étaient la famille et les ancêtresa de Matthieu Reinhart; il suffit que vous sachiez qu'il était né de parents honnêtes qui, trouvant en lui un naturel heureux, le cultivèrent avec


a Quelle était la famille et les ancêtres, etc. L. c., p. 5.