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II. ODE SUR L'OUBLI.

Fatal ennemi des études,
Par qui mon savoir est détruit,
Qui de mes travaux les plus rudes
Dérobes le pénible fruit,
Oubli, rival de ma mémoire,
Ne t'oppose plus à ma gloire,
Respecte mes intentions;
Je veux que la raison m'éclaire,
Que des vertus la loi sévère
Guide toutes mes actions.

L'exemple des héros de Grèce,
Immortalisés par Rollin,
Porte mon cœur à la sagesse
Dont leur caractère est empreint.
Leur valeur et leur grandeur d'âme
Nourrit en moi la même flamme
Dont brûlait jadis leur ardeur;
J'imite le juste Aristide;
Tandis que Socrate me guide,
Alexandre anime mon cœur.
<5>Quand j'étudie, et que j'espère
Avoir gravé dans mon esprit
Ce que la paix, ce que la guerre
De plus remarquable produit,
Je cherche en vain dans ma mémoire,
Je ne retrouve plus l'histoire
Que je savais ce même instant;
Et, tel qu'un sillon peu durable
Qui se voit tracé sur le sable
Est effacé du moindre vent,

Tu fais périr sans différence
Le scélérat, l'homme de bien,
Et le mérite et la puissance
Contre toi ne servent de rien.
Ah! que notre grandeur est vaine!
Voyez, on méconnaît Eugène :
Il vient de subir le trépas;
Son monument, ses funérailles
Et tant de fameuses batailles
De l'oubli ne le sauvent pas.

L'amant se plaint que sa maîtresse
Le quitte avec légèreté,
Et qu'Alcidon, qu'elle caresse,
A triomphé de sa fierté.
C'est toi qui causes ce parjure;
Il en gémit, il en murmure,
Et pour mieux se venger de toi,
Il termine sa longue absence,
Chasse l'oubli par sa présence,
Et remet Chloris sous sa loi.
<6>Mais si tu causes des alarmes,
Tu nous délivres de nos maux,
Car nos chagrins, que tu désarmes,
Cèdent la place au doux repos;
Et c'est cette aimable magie
Qui nous fait ton apologie.
Nous sommes nés pour les malheurs;
Sans toi s'accroîtraient nos misères,
Et les matrones, plus sévères,
N'auraient pas de consolateurs.

Ce 22 janvier 1737, à Remusberg.

Frederic.