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LE PALLADION, POËME GRAVE.[Titelblatt]

<178><179>

AVERTISSEMENT.

Le marquis de Valori fait le nœud de tout le poëme; on suppose que le ciel l'a doué de cette rare faveur, que sa présence rend l'armée prussienne invincible. Les saints, qui se fourrent partout, révèlent ce secret au prince Charles de Lorraine; celui-ci tente le projet d'enlever le marquis; après quelques inutiles essais, Franquini, au lieu du marquis, enlève son secrétaire Darget, personnage qui joue son rôle comme un autre dans ce poëme. Les Prussiens, que Valori et la Discorde irritent, pour tirer vengeance de ce prétendu affront, livrent une sanglante bataille aux Autrichiens, où les saints, comme de raison, vont se mêler. Les Prussiens sont victorieux; le fruit qu'ils remportent de cette journée est l'échange de Darget contre un général des Autrichiens, fait prisonnier dans cette bataille. Le prince Charles renonce au projet d'enlever Valori, la rancune cesse, et ensuite l'harmonie se rétablit.

Si quelque lecteur malin ne trouve pas ce sujet assez héroïque pour l'épopée, nous le renvoyons au fameux poëme de la Guerre des rats, au Lutrin ou bien à Vert-vert; et en cas<180> que tous ces ouvrages immortels ne puissent ramener son sentiment, l'auteur prendra le parti de s'en consoler, assuré que la postérité ne pourra cesser d'admirer un ouvrage où elle trouvera fondus ensemble tous les poëmes épiques qui ont été faits depuis Noé jusqu'à nos jours. Pour donner plus de poids à l'ouvrage, on ne manquera pas de faire imprimer à la tête les lettres les plus exagérées de flatterie qu'on aura écrites à l'auteur sur ce sujet, et M. Euler,180-a qui a perdu un œil en calculant, perdra l'autre en résolvant l'important problème du nombre innombrable d'éclats de rire que le monde fera à la lecture de ce grave ouvrage.

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LE PALLADION, POËME GRAVE.

CHANT Ier.

Je ne suis né pour chanter des héros;
Un flageolet me tient lieu de trompette.
Pégase court et par monts et par vaux
Quand sur sa croupe il porte un vrai poëte;
Quand je le monte, il semble une mazette,
Le plus rétif de tous les animaux.
Je veux pourtant chanter de ma voix rauque
Ce Valori, ce fameux champion
Qui, par l'effet de son destin baroque,
Des Prussiens fut le palladion,
Et pour lequel se fit mainte blessure.
Quand les hussards, fins et rusés matois,
<182>De l'enlever essayant l'aventure,
Autour du camp venaient en tapinois.
O vous, divin et très-bavard Homère!182-a
Des rimailleurs et l'oracle et le père,
Qu'ont adoré tous vos commentateurs,
Gens ennuyeux, comme vous radoteurs,
Trompez pour moi le vigilant Cerbère,
Échappez-vous de ses sombres cachots;
Inspirez-moi des chants toujours nouveaux,
Qu'à l'Hélicon votre flambeau m'éclaire.
Par vous d'Achille on connaît la colère;
Mais cet Achille, encor qu'un grand héros,
Qui pourfendit et tua ses rivaux,
Ensanglantant du Xanthe l'onde claire,
N'est dans le fond qu'un héros en chimère.
Bien autre était le vaillant Valori,
Dans les combats par son père aguerri,
Dont je vous fais l'histoire véritable;
C'est un héros au-dessus de la Fable.
O protectrice aimable de Berlin!
Je vous implore, immortelle Hédewige,
Pour un rebelle élève de Calvin.
Que vos attraits, par un nouveau prodige,
En inspirant votre dévot cousin,
Jettent sur lui rien qu'un regard bénin.
Au paradis dites un patenôtre,
Favorisez ce poëme badin;
L'ouvrage alors sera censé le vôtre,
Si l'assistez de votre appui divin.
<183>Le bon Charlot,183-a chassé de Silésie,
Avait mené ses fiers Autrichiens
Dans un bon camp où, regorgeant de biens,
Ils menaient tous une joyeuse vie,
Comme prélats dans leur grasse abbaye.
Au bord de l'Elbe ils faisaient leur séjour;
Le mal était que l'armée ennemie
Avait sitôt l'autrichienne suivie,
Qu'on entendait, si l'on n'était bien sourd,
Du camp lorrain le prussien tambour.
Dans ce camp fort, le valeureux Lorraine
Sur l'ennemi vainement se déchaîne;
Il voit souvent ses partis écloppés,
Tout balafrés, s'enfuyant hors d'haleine,
Et dans les champs leurs membres dissipés.
« Hélas! dit-il, s'appuyant sur Rosière,
Qui ressemblait à l'homicide Mars,
A quel saint dois-je adresser ma prière?
Qui diable peut rassembler nos fuyards?
Si tant de fois j'ai tenté les hasards,
Je n'en puis mais, beaucoup je m'en chagrine,
Si nous voyons que l'aigle des Césars
Sous tant de coups menace enfin ruine. »
« Prince, lui dit prudemment son ami,
Quittez, quittez la tristesse et l'ennui;
Au noir chagrin ne soyez pas en proie :
Qui pleura hier rit peut-être aujourd'hui.
<184>Que les plaisirs, les festins et la joie
Fassent cesser la douleur qui vous noie.
Vous éprouvez le destin des combats;
Si m'en croyez, faisons un bon repas.
Demain, s'il plaît à l'aveugle fortune,
Sur l'ennemi versant notre rancune,
A notre tour nous ferons grand fracas. »
Il dit; d'abord la table fut couverte
De mets exquis; on en mangea sans perte.
Trente laquais à la démarche alerte
Volaient sans fin de la table au buffet.
Du vin du Cap à longs traits on buvait;
L'âpre Pontac, le pétillant Champagne,
Différemment les verres colorait,
Et le filet des langues déliait.
Le Saint-Ignon, qui battait la campagne,
Dans son harnois très-fort se démenait.
Le bon Charlot en perdit la tristesse,
Et sur son front la brillante allégresse
Tout doucement sa douleur effaçait.
Déjà chacun parlait de sa maîtresse.
Se déridant, le bon Charlot riait;
Toujours buvant, bientôt plus ne savait,
Plein des vapeurs d'une bruyante ivresse,
Ce que sa langue, allant toujours, disait;
Il clignotait de sa faible paupière,
Ne voyait plus, tout avec lui tournait.
Il veut marcher, il retourne en arrière,
Moitié tombant et moitié chancelant,
De ses deux bras dans l'air se débattant;
<185>On le ramène, et, selon sa coutume,
Le fait coucher dans un bon lit de plume.
Son confesseur à propos arriva,
De ses deux doigts allongés le signa,
Brailla latin, marmotta quelque psaume,
En s'adressant à saint Pierre ou Jérôme;
Ce qui d'abord au bon Charlot donna
D'un doux sommeil le plus parfait symptôme,
Car pour dormir remède sûr, dit-on,
C'est d'écouter un onctueux sermon.
Depuis trente ans eût-on une insomnie,
D'abord bâillez, l'âme est appesantie;
Ouvrant la bouche et baissant le menton,
Fermant les yeux, tombez en léthargie.
Déjà la nuit a de son voile obscur
Couvert le ciel et toute la nature,
Et des hiboux, oiseaux de triste augure,
Retentissait le cri amer et dur,
Quand tout à coup sur la tente du prince,
D'un vol plus leste et prompt que l'épervier,
Vient de l'Olympe un farfadet tout mince;
C'était, dit-on, un saint de son métier,
Qui, plus, était le saint de la province.
Tout doucement il s'approche de lui,
Dit à Charlot : « Si je viens aujourd'hui,
C'est que je veux vous porter mon appui.
Népomucène était mon nom de guerre,
Qu'on me donna lorsque je fus sur terre;
On m'y traita, comme savez, fort mal.
Je confessais, et mon devoir austère
<186>Sur certain point m'obligeait au mystère,
Lorsque mon roi, mon prince très-brutal,
Voulant savoir ce que je devais taire,
Me fit couper, dans ce séjour fatal,
La langue, afin d'assouvir sa colère,
De ce malheur je sus bien me moquer;
Et, pour un saint, plus ou moins d'une langue,
C'est moins que rien; on bavarde, on harangue,
Sans langue enfin on peut bien s'expliquer.
Vous le savez, la gente britannique
Très-clairement ce phénomène explique.186-18
Mais revenons à l'important sujet
Qui de là-haut m'a fait mettre en voyage.
Du paradis je partis comme un trait
Lorsque je vis faiblir votre courage,
Que mon héros si fort se lamentait.
Quoi! mon héros, disais-je, est catholique,
Et nous verrons un maudit hérétique
Barbarement le prendre en son lacet?
Car, quoique saint, eh! Dieu me le pardonne,
Je hais ces gens qui ne vont point au prône;
Ce sont coquins, sacriléges, félons,
Qui, brocardant et les saints et la messe,
Nous affublant de mauvaises raisons,
De nos autels ont éclairci la presse.
Je veux punir ces infâmes vauriens,
Et protéger votre race orthodoxe,
Mes chers Hongrois, mes chers Autrichiens.
Or, écoutez, ce n'est point paradoxe :
<187>Si vous voulez dompter les Prussiens,
Bien vous gardez de déployer la force;
Trop mal souvent vous en êtes trouvés;
De la valeur appréhendez l'amorce.
Si mes conseils en ce jour vous suivez,
Un autre tour il vous convient de prendre;
C'est un secret que je vais vous apprendre.
Comme jadis était dans Ilion
Cette immortelle égide de Minerve,
Enchantement qui de tout mal préserve,
Le Prussien a son palladion.
Sainte Hédewige et sainte Geneviève
Leur ont donné certain marquis français;
Au gros marquis tiennent tous leurs succès.
Tant que du camp l'ennemi ne l'enlève,
Le Prussien sera toujours heureux;
Si quelque jour le hussard vous le happe,
A tous vos coups nul Prussien n'échappe :
Enlevez donc ce Valori fameux. »
Il dit; et puis, sans nulle autre étiquette,
Monsieur le saint remonte sa chouette,
Et prend son vol au benoît paradis.
Le bon Charlot en est tout ébahi;
Il ne sait plus ou s'il rêve, ou s'il veille.
« Ah! saint Joseph, dit-il, quelle merveille!
N'en doutons point, tout va nous réussir;
Le ciel s'en mêle, il va nous secourir,
Et l'on verra bientôt changer les choses. »
Déjà l'Aurore au visage vermeil,
Vers l'orient, de ses beaux doigts de roses,
<188>Avait ouvert les portes du soleil,
Et les oiseaux, par leur tendre ramage,
Et les clairons, et le bruit du tambour,
Et le soldat buvant, faisant tapage,
Tout annonçait l'aube d'un heureux jour,
Quand le Lorrain, essuyant sa paupière,
Dit : Qu'à l'instant on appelle Rosière.
Rosière arrive, et le héros lui dit :
« Dans un moment je vais quitter le lit.
Courez, volez; par votre voix sonore,
Avertissez du retour de l'aurore
Tous nos héros; que sans perte de temps
Dans cette tente ils aient à se rendre;
Et lorsque tous ici seront présents,
Bientôt sauront ce qu'il faut leur apprendre. »
Il part; dans peu arrivent ces guerriers,
Sur des coursiers tant superbes que fiers.
Ne pensez pas que j'aie la folie,
Ami lecteur, de vous historier
De leurs chevaux la généalogie.
Podarge188-a à tous eût-il donné la vie,
Le dire ici serait vous ennuyer.
Vint le premier Wallis, chargé d'années;
Du vieux Nestor il eut les destinées,
Grand babillard, peu d'accord, dur, aider.
Vint après lui ce Lobkowitz farouche,
Le fou Spada, le sage d'Aremberg;
Waldeck, ayant le blasphème à la bouche,
Le suit, jurant et le ciel, et l'enfer.
<189>Puis vient, riant d'un rire âpre et amer,
Stein, qui passait pour Momus de l'armée;
Saint-Ignon suit, tout dérangé d'hier;
Puis des Saxons la troupe parfumée,
Gens doucereux, et qui, peur d'accident,
Jusqu'à mordieu! disent tout poliment.189-a
Ce chevalier189-19 pincé, droit comme un cierge,
Parmi ceux-là paraît avec éclat.
Et le dernier, ce fut vous, Kolowrat;
Aux pieds des saints, aux autels de la Vierge,
Vous ignorez si vous êtes soldat.
Seul après tous arriva ce béat.
Au beau milieu de la troupe guerrière
Parut Charlot; il était comme un dieu;
Odeur de saint se sentait en ce lieu;
Sa face était brillante de lumière.
Le pot en tête et la dague au côté,
Et s'appuyant sur sa longue rapière,
Il leur parla d'un ton de majesté :
« Mes chers amis, las de nous laisser battre,
A notre tour faisons le diable à quatre;
Car plus longtemps ne convient de souffrir
Les Prussiens chez nous, dans la Bohême.
Oui, j'ai trouvé, la nuit, un stratagème
Pour les chasser, même sans coup férir;
La nuit, un saint me l'a dit à moi-même. »
A ce discours, tout le monde se tut;
<190>Mais tout à coup il s'élève un murmure,
Et Lobkowitz, voulant parler, dit : Chut!
Le bruit s'accroît, on parle sans mesure,
Tel qu'on entend quand, vers la Saint-Michel,
Le lourd Pierrot va troubler les abeilles.
En bourdonnant, l'essaim sort des corbeilles,
Et dans l'instant il obscurcit le ciel;
Pour l'apaiser en vain l'on se tourmente,
Il perd lui seul sa fureur insolente,
Et doucement rentre en sa ruche à miel.
Ces indiscrets alors ainsi parlèrent,
Et Lobkowitz contre eux très-fort fâchèrent.
Mais à la fois tous lassés de parler
Font succéder à cette irrévérence
Un très-profond et sévère silence,
Si grand, que tous ils purent écouter
Une souris dans la tente trotter.
Lors Lobkowitz leur dit : « Ayez donc honte;
Le bon Charlot vous fait un si bon conte! »
Mais tous les chefs criaient à se crever :
Qu'il dise donc ce qu'il a pu rêver!
Le bon Charlot, reprenant la parole, Dit :
« Ne prenez ce discours pour frivole;
Faut enlever du camp des ennemis
Ce Valori, ce badaud de Paris.
Le gros marquis les rend seul invincibles;
Quand l'aurons pris, ces ennemis terribles
Dans un moment seront tous déconfits;
Nous serons chats, ils seront nos souris. »
D'hier au soir le prince est encore ivre,
<191>Dit Saint-Ignon; et le brutal Waldeck
Répond : « Soit dit sans manquer de respect,
Avec vous tous j'aurais honte de vivre,
Si je tenais propos aussi suspect.
Ce sont, ma foi, des contes de grand'mères;
Eh! que m'importe et saints et sorcières?
Notre destin dépend de notre bras.
Qui sans frémir affronte le trépas
A son parti donnera la victoire.
Venez, amis; que, nous comblant de gloire,
Le Prussien terrassé sous nos pas
Dans tous les temps transmette à la mémoire
Tout ce qu'a fait Waldeck dans les combats. »
Le Kolowrat, à ce discours profane,
En marmottant faisait signes de croix,
En implorant le souverain des rois;
Et, redressant ses deux oreilles d'âne,
Dit : « Que la foudre extermine à jamais
Ce prince impie, accablé de forfaits!
Waldeck, au ciel moins d'étoiles ne brillent
Qu'en cent façons saints et saintes fourmillent.
Aux papegauts, qui sont gens vrais croyants,
Ils font l'honneur de se rendre visibles;
Aux scélérats, à tous les mécréants,
Qui, comme vous, ont des cœurs insensibles,
Il n'est échu que d'éternels tourments. »
« Ah! ventrebleu! dit Waldeck en furie,
Onc ne me fit affront aussi sanglant;
Oui, fussiez-vous propre fils de Marie,
Ce fer serait lavé dans votre sang. »
<192>Très-prudemment d'Aremberg les sépare :
« D'un si beau sang, princes, soyez avares;
S'il doit couler, ce n'est pas dans le camp.
Le sort pour vous tous deux qui se prépare
Est, leur dit-il, plus illustre et plus grand.
Ce médecin qui de chez nous ne bouge
Dans un moment à tous deux donnera
De l'ellébore ou de la poudre rouge,
Et le courroux bientôt s'apaisera. »
C'est sur ce ton que d'Aremberg parla.
Par ses propos, l'extravagant Spada
Les fit tous deux en même temps sourire.
Mais, cher lecteur, comment puis-je décrire
Comme le sang de Waldeck s'apaisa?
Comme la mer, après un long orage,
Brise ses flots sur le prochain rivage,
Ainsi Waldeck longtemps après gronda.
Le vieux Wallis, chargé de son grand âge,
Leur dit : « Jadis on était bien plus sage;
Quand de mon temps un conseil se tenait
Auprès d'Eugène, aucun ne remuait.
On écoutait dans un profond silence
Quand Starhemberg, qui longuement parlait,
A tout propos crachait une sentence.
J'ai même vu le conseil qui durait
Depuis l'aurore à l'autre matinée. »
- On y dormait? lui répliqua Spada.
- « Non, point du tout. Ce conseil s'assembla
Pour disposer de la grande journée
Où l'on battit nos gens près d'Almanza,192-a
<193>Répond Wallis; on n'était point volage.
Jeunes héros, suivez l'ancien usage.
Le bon Charlot, qui nous a rassemblés
Pour haranguer dans un conseil de guerre,
Ne prétend point que l'ordre en soit troublé. »
Eh! qu'en dirait la Reine et l'Angleterre?
Le duc saxon193-a civilement répond,
Tirant le pied, faisant la révérence :
« Oui, bon seigneur, vous avez grand' raison.
Enlevons donc l'ambassadeur de France,
Aux Prussiens imprimons cet affront;
Car, en effet, avec notre canaille,
L'enlèvement vaut mieux que la bataille.
Et quant à moi, disciple de Luther,193-a
Je suis Charlot, fût-ce même en enfer;
Tous nos Saxons sont vos auxiliaires.
Que vos saints donc mènent nos gens de guerre. »
« Ah! jour de Dieu! dit le fougueux Waldeck,
L'œil enflammé, sans pudeur, sans respect,
Prince saxon, vous parlez comme un lâche.
Dans les repas vous faites le bravache,
Et, comme on sait, ne manquez par le bec;
Mais lorsqu'il faut payer de sa personne,
Vous évitez, prince, de ferrailler;
Les Prussiens vous font toujours plier.
Eh! quelle est donc cette affreuse Gorgone
Qui fait, Saxons, que votre cœur frissonne?
Que dira-t-on de nous dans l'univers,
<194>Quand on saura que ces grands capitaines,
Et ces soldats qui remplissent ces plaines,
Assez nombreux pour dompter les enfers,
Se sont laissé blouser par certains rêves,
Qu'un farfadet renverse leurs esprits,
Et, n'employant la force ni le glaive
Pour terrasser leurs vaillants ennemis,
N'ont rien osé que par ruse et finesse,
Lâches secours dont s'arme la faiblesse,
Pour enlever un gros marquis français?
Ce bel exploit, si digne de mémoire,
Chez nos neveux vous comblera de gloire;
Le monde entier vous lâchera ses traits.
Dieu sait comment, pour plaisanter et rire,
Sur nos héros s'égaiera la satire.
Au moins, messieurs, ne le trouvez mauvais
Si le public sans pardon vous déchire :
C'est en deux mots ce que je dois vous dire. »
Très-brusquement reprit le duc lorrain :
« Vous ne savez, Waldeck, ce que vous dites,
Quoique d'ailleurs vous ayez vos mérites;
Ce soir, plutôt que le jour de demain
Le Valori sera sur nos limites.
La nuit, ainsi me l'ordonna le saint;
Sa volonté, qui fut toujours parfaite,
Ainsi qu'aux cieux, dans notre camp soit faite! »
Tous les héros dirent : « Il a raison.
La question an est toute décidée;
Le quomodo reste encore en idée.
Comment s'y prendre, et de quelle façon? »
<195>Waldeck leur dit : « Mon âme magnanime
S'offre à vos vœux pour cet exploit sublime.
Si vous voulez, j'enlève dès ce jour,
De cette armée et fière, et triomphante,
Au beau milieu de son camp, de sa tente,
Le Valori, même au bruit du tambour. »
- « Vous surpassez, dit Charlot, mon attente,
Généreux prince, en qui l'ardeur brillante
Vient d'effacer les héros d'alentour. »
Alors ces chefs, du ton de gens habiles,
Sur tous ces points faisant les difficiles,
De leurs raisons fortement entêtés,
Se hérissant de cent difficultés,
Dans tous les lieux voyant tomber la foudre,
Sentaient le mal sans pouvoir le résoudre.
Mais le Lorrain, en ressources fécond,
Leur dit : « Venez, prenons la gent hongroise.
Deux cents hussards tout au plus suffiront;
Ils perceront, à l'honneur de Thérèse,
Et Valori du camp enlèveront. »
- « Je n'entends rien à tout votre colloque,
Répond Waldeck; je crois que l'on se moque.
J'ai commandé de gros corps à la fois;
Deux cents hussards n'est pas assez pour moi,
Pour Saint-André ce serait un emploi. »
- « Non pas, seigneur, daignez me faire grâce,
Dit Saint-André; c'est à vous, Nadasdy,
Chef des Hongrois; signalez votre audace. »
En retroussant sa barbe noire et grasse,
L'Hongrois lui dit : « Je laisse ce parti,
<196>Sans l'envier, au jeune Dessewffy. »
Charles, voyant que tous prennent le large,
En rejetant leur emploi sur autrui,
Leur dit : « Je veux qu'on finisse aujourd'hui;
A Dessewffy je commets cette charge.
Qu'il aille donc préparer le combat;
Tous nos héros dans l'instant vont le suivre. »
Le Saint-Ignon, de la veille encore ivre,
Lui dit : « Charlot, le pain fait le soldat;
Le ventre vide, on fait fort mal la guerre.
Prince, mangeons; ainsi le veut Homère. »196-a
Fallut manger, tout le monde avait faim;
Et, les morceaux entassés dans la bouche,
Demi-mâchés, se heurtant en chemin,
Le corps gonflé, l'estomac plein de vin,
La troupe part engager l'escarmouche.
Deux cents hussards, renforcés de Tartares,
Sur des coursiers plus vites que les vents,
Partent du camp au bruit de cent fanfares.
Ami lecteur, veux savoir quelles gens
Lors combattaient sous des noms si barbares?
Communément on les nommait uhlans;
On les disait grands dévoreurs d'enfants.
Ils sont tous forts, terribles à la vue,
La tête chauve, et l'œil plein de fureur,
Le nez camard, bras et poitrine nue,
Gens faits exprès pour inspirer l'horreur,
Portant en main leur lance à pointe aiguë,
Et remplissant les airs de leur clameur.
<197>Des Prussiens bientôt la garde alerte,
Toujours au guet, les découvrit de loin,
Foulant aux pieds l'herbe encor fraîche et verte.
Au général on députe sans perte,
Pour les secours dont on avait besoin.
Il vient, il voit la campagne couverte
D'Autrichiens; un des Hongrois déserte :
« Ce jour sans coups ne se passera point;
Le duc lorrain veut prendre la licence
D'escamoter par un sien partisan
Je ne sais quel ambassadeur de France,
Qu'on nous a dit gîter dans votre camp. »
Il dit, et part; le prince, dans l'instant,
Par le hussard averti de la chose,
Aux ennemis un gros des siens oppose,
De ses dragons, de ses chevau-légers.
Parmi ceux-là se distingue la bande
Que l'intrépide et preux Chasot197-a commande,
Tous vieux soldats, dans les combats experts,
Qui, débandés, voltigeant dans la plaine,
Se ralliant plus prompts que les éclairs,
Tous réunis, suivent leur capitaine,
Sur l'ennemi, qui parfois les attend,
Viennent tomber impétueusement,
Et par leurs coups portent la mort certaine.
Les deux partis s'approchent lentement;
Tout ce que peut et l'adresse et la ruse,
L'invention et les subtilités,
Se pratiquait alors des deux côtés.
<198>Le Prussien voit que l'Hongrois l'amuse,
Et l'Hongrois voit ses desseins éventés.
Sur le talus d'une double colline,
Le camp du Roi sur la plaine domine.
Tels que l'on voit les dangereux lions
Couchés dans leur redoutable repaire,
Telles étaient ces fortes légions,
Qui suspendaient leur ardeur sanguinaire,
Et, dans leur camp se tenant en repos,
Voyaient sans trouble approcher leurs rivaux.
Leur droite était sur très-haute montagne;
L'autre aile allait, traversant la campagne,
Du bord de l'Elbe assurer son appui;
Et dans ce camp d'accès inabordables,
Plein de soldats aux Lorrains formidables,
Le Prussien ne craignait rien pour lui.
Mais Dessewffy voltigeait dans la plaine,
Tout alentour découvrait le terrain,
Et, se flattant d'une espérance vaine,
Formait encor quelque nouveau dessein.
Chasot s'avance, et l'autre, qui le guette,
Sur son cheval faisant la pirouette,
Donnant des deux, vient au-devant de lui.
« Je suis, dit-il, le vaillant Dessewffy;
Dans mon pays j'ai plus de deux cents vaches,
Aux ennemis j'ai pris chevaux, panaches.
Quel est ton nom? » - « Je m'appelle Chasot,
Dit l'autre, et suis le plus vaillant des hommes.
Mon père a plus de cent boisseaux de pommes;
Je suis Normand et du pays de Caux.
<199>Celui des deux aura tout l'avantage,
Qui marquera le plus constant courage;
Nous combattons aux yeux de l'univers. »
L'Hongrois lui tire un coup de carabine;
La balle siffle et vole dans les airs.
Chasot lui dit : Tu hâtes ta ruine;
En même temps le frappe sur l'échiné;
Mais le coup manque, et tombe du revers.
L'Hongrois se tourne, et de son cimeterre
Décharge un coup dessus son adversaire;
Chasot le pare, il atteint son cheval,
Qui, trébuchant, se laisse choir à terre.
Chasot tomba comme un coup de tonnerre.
D'abord l'Hongrois veut saisir son rival;
Le brave Ruesch199-a le voit, et le repousse.
Au preux Chasot il n'arriva de mal,
Si ce ne fut d'estropier son pouce.
Il se relève et monte un polonais.
En attendant, le vigilant Hongrois
Détache, et fait, par une marche adroite,
Du Prussien tourner le camp à droite.
En même temps, pour cacher ses projets,
Il escarmouche, harcèle à sa manière,
Pour que son monde, arrivant par derrière,
Puisse saisir le gros marquis français.
De ce côté, selon les conjectures,
Les Prussiens avaient pris leurs mesures.
Le bon Charlot et ses Autrichiens
Examinaient par de longues lunettes
<200>Tout le combat de ces braves athlètes,
Croyant charger Valori de liens.
De tous côtés alors les Prussiens
Fondent serrés sur l'ennemi, qui plie.
L'Hongrois le voit, il court, il parle, il crie :
Hussards, à moi! qu'ici l'on se rallie!
Ce n'était plus qu'une confusion;
Des Prussiens la redoutable épée
Du sang uhlan était toute trempée.
Très-grande en fut alors l'effusion,
Et dans l'horreur qu'offrit cette déroute,
On ne voyait toutes parts sur la route
Que bras coupés, que morts et que mourants;
Pour échapper à l'ardente poursuite,
Chacun hâtait sa course dans sa fuite.
Muse, dis-moi comment en ces moments
Chasot brilla, faisant voler des têtes,
De maints uhlans faisant de vrais squelettes,
Et des hussards, devant lui s'échappant,
Fendant les uns, les autres transperçant,
Et, maniant sa flamberge tranchante,
Mettait en fuite, et donnait l'épouvante
Aux ennemis effarés et tremblants.
Tel Jupiter est peint armé du foudre,
Et tel Chasot réduit l'uhlan en poudre.
Le bon Charlot, ses princes, ses héros,
A fuir aussi durent bien se résoudre,
Voyant sur eux fondre leurs fiers rivaux.
Comme l'on voit le lièvre de son gîte,
Tout effaré, se lever au plus vite,
<201>Quand il entend des lévriers jappants;
A toutes jambes il court à travers champs,
Les chiens légers, après lui s'allongeant,
Avidement courent à sa poursuite;
S'il peut gagner un bosquet dans sa fuite,
Il est sauvé; les chiens, le poursuivant,
Pour le lancer en vain perdent leur temps :
Tels, échappés de la main homicide
Du fier Chasot, plus redouté qu'Alcide,
Tremblants d'effroi, les uhlans, les hussards,
Rentrés au camp, maudissaient les hasards.

<202>

CHANT II.

O mes amis! craignons tous de médire;
C'est un poison mortel que la satire.
Qui brocarda sans remords son prochain
Eut sa revanche, et, dès le lendemain,
Mordu d'autrui, ne pensa plus à rire.
Bien pis encor font de certains auteurs
Dont les bons mots, avoués au Parnasse,
Ont entrepris, libres dans leur audace,
Des thèmes faits pour des profanateurs.
Me garderai de pareille aventure;
Pour plaisanter s'offrent tant de sujets!
Et les dévots, oiseaux de triste augure,
De tout côté me lanceraient leurs traits.
Notre guide est la loi de la nature;
Belle, sans fard, aussi simple que pure,
Elle bannit la superstition;
Mais elle apprend ce qu'à l'Être suprême
On doit de culte et d'adoration,
Tant par amour de lui que de soi-même.
Mais dans le monde il est certaines gens,
Des songe-creux, des fous visionnaires,
<203>Qui vont braillant, et, du haut de leurs chaires,
Se font des dieux selon leurs caractères,
Toujours cruels et toujours punissants,
Et qui, damnant tous les mortels charmants,
Les font griller par d'éternels tourments,
De tous les sots forment une cohorte,
Gens bien choisis, tous élus, tous chéris,
Et pour lesquels saint Pierre ouvre la porte,
Et les admet au benoît paradis.
Amis, comment souffrir de tels affronts?
C'est au bon sens faire lourde avanie
Que de damner la bonne compagnie;
De ces fous-là, qui jugent sans raison,
Les gens d'esprit enfin se vengeront.
Mon cher lecteur, si hardiment je grimpe
Jusqu'au sommet de l'éclatant Olympe,
Ne pense point que ce soit les vrais cieux
Dont j'ose ici te faire la peinture;
Plus librement je puis parler de ceux
Qu'ont fabriqués l'erreur et l'imposture,
Et l'intérêt de quelques songe-creux;
Bref, en un mot, je ne parle que d'eux.
Le bruit que fait la gente furibonde
Qui rampe ici sur la face du monde,
Ses démêlés, ses débats, ses excès,
Ses intérêts, ses guerres, ses procès,
Tout ce qu'on fait d'heureux ou de funeste,
Tout fut prévu, réglé par les arrêts
Qu'en prononça toute la cour céleste.
Or, écoutez : ces peuples d'ennemis
Qui se battaient comme des Amadis
<204>Dans un recoin de notre petit globe,
Qui de l'Olympe aux regards se dérobe,
Fixaient sur eux les saints du paradis.
On n'y parlait presque plus d'autre chose;
Et chaque saint ayant pris fait et cause,
Les uns disaient : Sommes Autrichiens;
D'autres ligués : Nous sommes Prussiens.
Ce que de saints avait produit la France
Étaient de droit zélés pour l'alliance;
Mais tous les saints à Vienne, à Brünn fêtés
Pour le Lorrain étaient tous bien portés.
Ceux-là portaient, dessous leur auréole,
Cocarde verte, affiche du parti;
Des rubans verts chamarraient leur étole.
Le monde au ciel était bien perverti.
Au bon vieux temps, chacun, suivant la règle,
Dévotement chantait alleluia;
On eût fessé quiconque eût fait l'espiègle,
Ou de chanter un moment s'ennuya;
C'était alors une vraie monarchie.
En vieillissant, le bon Père éternel
Laissait aller la police du ciel;
Il s'en fit lors une hiérarchie.
Le paradis était comme une cour,
Il y régnait l'intrigue et la cabale;
Aux chastes sœurs les saints faisaient l'amour,
Tout présentait des objets de scandale.
On y voyait la discorde infernale;
C'était alors un dangereux séjour.
Dans le déclin de l'éternel vieux père,
On se sauvait par compère et commère;
<205>L'un, en léguant son bien par testament
A des frapparts d'un très-riche couvent,
L'autre, en payant, escamotait son âme
Aux durs tourments de l'éternelle flamme.
Chacun avait étudié comment
Tromper du ciel la fureur vengeresse,
Malgré l'horreur de sa scélératesse.
Lorsque la Mort, s'approchant à tâtons,
Par le collet saisit le misérable,
En se vouant soudain à son patron,
Et se signant, on déroute le diable.
On fait des vœux aux saints de grand renom,
On se confesse à quelque jésuite,
Et l'on reçoit, avec de l'eau bénite,
Un passe-port signé pour le Cocyte,
Avec la messe et l'extrême-onction.
Alors le saint auquel le mort se voue,
Pour soutenir sa réputation,
Au paradis le protége et l'avoue;
Et chaque saint ayant eu, de tout temps,
Dans notre monde un nombre de clients,
Jugez combien le ciel en ses murailles
Avait alors rassemblé de canailles.
Quant aux grands saints, c'étaient tous imposteurs
Qui, se forgeant eux-mêmes des oracles,
En vrais fripons opéraient des miracles
Dont on croyait les cieux mêmes auteurs;
Et la très-sainte et ridicule Église
Dévotement, par bref, les canonise;
Et les voilà comme saints reconnus.
Telle était donc alors la cour céleste :
<206>Un composé de comiques abus,
Pour le bon sens nourriture indigeste,
Auxquels, ma foi, le monde ne croit plus.
Imaginez un amas de chanoines,
Prêtres, curés, mille sortes de moines,
Tous ensemble pêle-mêle entassés;
Imaginez, si vous pouvez, des anges,
Des chérubins, vers le haut bout placés,
Des séraphins, des trônes, des archanges,
Pour bien chanter de bonne heure châtrés;
Imaginez au milieu d'eux que brille
Du vieux papa la céleste famille :
Près de sa dextre on voit, avec son fils,
Une beauté, reine du paradis,
Beauté faisant enfants en son jeune âge,
Et conservant toujours son pucelage.
O mes amis! ah! que c'est bien dommage
Qu'on ait perdu dans nos jours tant maudits
De ces temps-là l'antique et bon usage!
On voit encor dans ce brillant taudis
Les quatre grands et les petits prophètes,
Quelques Hébreux, rasibus circoncis,
Resplendissants comme on voit les planètes.
Ah! vous voilà, cher Luther, et Calvin,
Au paradis, en chausses et pourpoint!
Tant mieux pour nous que là sont hérétiques :
Y sont encor bien d'autres schismatiques,
Qu'y place au moins la superstition.
Là j'aperçois le grand saint de la Mecque;
On va donc là sur son opinion?
Tandis que vous, Horace et Cicéron,
<207>Virgile, Homère, et Socrate, et Sénèque,
Vous grillez tous à l'éternel charbon.
Mais c'est l'enfer, c'est l'empire du diable
Qu'on nous assure être le mieux peuplé;
Ce que la terre a vu de plus aimable
Doit pour jamais être là-bas brûlé.
Là s'engloutit le monde et la nature,
La respectable et sage antiquité,
Et notre race, et la race future;
Car les dévots, par imbécillité,
A l'infernale et sombre majesté
Ont assigné la pauvre humanité.
Par cette loi tant injuste et tant dure,
Rien ne resta pour la Divinité;
Si bien on fit, que Dieu créa le monde,
Non pas pour lui, mais pour l'esprit immonde.
Mais laissons là ces stériles docteurs,
Et leur système, et leur fou de partage;
Et revenons, après ce verbiage,
A notre objet. Oui, mes chers auditeurs.
Dans cette cour que je viens de dépeindre,
Cour où les saints excitaient des rumeurs,
Le roi des cieux, rêvant, se mit à craindre
Quelques complots, quelques traits de noirceur.
Ce n'aurait point été chose nouvelle :
Un jour, un ange, appelé Lucifer,
Qui dans les cieux avait fait le rebelle,
Fut relégué dans le fond de l'enfer.
Tout ce qui fut peut arriver encore;
Pourquoi c'est bien, lorsque rien on n'ignore,
Voyant le mal tout doucement venir,
<208>De l'étouffer sans le laisser grandir.
Le roi des cieux ainsi, plein de prudence,
Prévint le mal; l'archange Michaël,
Ce courrier des choses d'importance,
Fut député vers le peuple éternel,
Pour l'amener d'abord à l'audience.
Les cordons bleus s'approchent le plus près
De ce grand roi, qui, mettant sa couronne,
Et s'apprêtant à lancer ses décrets,
Va se placer sur son immense trône.
Ce trône est fait d'argent, d'or et d'airain;
Et Belzébuth, à la forge infernale,
Le travailla de sa griffe au burin.
Il y grava l'aventure fatale
De sa révolte et de sa triste fin,
Par son exemple et son cruel destin
Avertissant tous les saints à cabale
De réprimer tout penser trop mutin.
Dans cette cour, tout comme dans une autre,
Légers y sont messieurs les courtisans;
Le saint nouveau, le martyr et l'apôtre
Y font aussi les fiers, les suffisants.
Le trône était négligé de ces gens;
Tous ces faquins de moines et de prêtres
Au paradis faisaient les petits-maîtres,
Disaient : « Ce trône est l'œuvre des méchants;
A l'hiéroglyphe on ne peut rien connaître.
Que des reliefs aillent donc se repaître
Nos songe-creux, nos docteurs, nos pédants. »
Mais cependant le divin interprète,
Tout boursouflé, sonnait de la trompette.
<209>C'est là des cieux l'immortelle étiquette
Pour annoncer que le Roi veut parler,
Et que chacun des saints doit écouter.
« Je crois, messieurs, leur dit le bon vieux père,
Quand vous aurez appris la grande affaire
Dont il s'agit, que n'aurai pas besoin
De réveiller votre illustre courage;
Car vous n'avez jamais, ou peu du moins,
Ouï tenir tel important langage.
Quand je voudrais même la supprimer,
La chose, hélas! parle assez d'elle-même,
Et semble à tous ici vous reprocher
De vos devoirs la négligence extrême .... »
Là, le bon père, hésitant, bégayant,
Sent sa mémoire et sa langue égarée.
Saint Augustin, de loin l'apercevant,
Lui dit : « Grand roi de la voûte éthérée,
S'il me souvient du temps antérieur,
Lorsque autrefois j'étais encor rhéteur,
Avant d'avoir ma métropolitaine,
Ce discours-là je savais tout par cœur;
Il n'est de vous, ma foi, mon cher seigneur,
Et vous l'avez pillé dans Démosthène.
Ce n'est, mon roi, ni bienséant, ni beau,
De nous donner du vieux pour du nouveau. »
Le bon papa, surpris de ce reproche,
Lui dit : « Hélas! si mon discours s'accroche,
Ce n'est ma faute; enfin, l'âge vieillit,
Et je n'ai point, dans ce besoin extrême,
Le beau puîné de l'essence suprême,
Mon fils cadet, le gentil Saint-Esprit.
<210>En pareil cas, il me souffle à l'oreille.
Il est allé, selon ce qu'on m'a dit,
Pour assister, et pour faire merveille,
Au Vatican, dans la pompe et le bruit,
Sa Sainteté, qui, dans sa grande église,
Dans ce moment nouveau saint canonise,
Un saint que tous vous ne connaissez pas,
Qu'on a tiré squelette de sa tombe.
Cet anonyme, après un long trépas,
Doit recevoir, hors de la catacombe,
Un bel étui, puis le baptisera.
Bientôt après, des miracles fera;
Et son idole, ayant partout sa niche,
A l'entour d'elle à deux genoux verra
Le scélérat, l'imbécile et le riche.
Dans les bons jours sa fête on chômera .....
Mais revenons enfin à ma harangue.
Mes chers enfants, si je déclame mal,
Prenez-vous-en à ma pesante langue;
Si m'entendez, c'est là le principal.
Or, écoutez : dans ce séjour royal,
Où dès longtemps je fais ma résidence,
J'ai seul versé dessus l'humaine engeance
Également et les biens, et les maux,
Que j'ai puisés de ces deux grands tonneaux.
Si le destin parfois me contrecarre,
Et me prétend asservir sous sa loi,
Je le retiens, mon pouvoir le rembarre,
Et lui fais voir que je suis seul le Roi.
Mais vous, mes saints, mes fils, mes chers apôtres,
Que j'avais crus plus sages que les autres,
<211>Au paradis, devant moi, sous mes yeux,
Vous élevez vos fronts séditieux;
Selon qu'en dit à chacun sa faconde,
Chacun de vous veut gouverner le monde.
Dites, pourquoi suis-je donc dans les cieux?
Hier, regardant par ma longue lunette,
Je vis, dessus la petite planète,
Deux nations, fort s'entre-chicotant,
Un grain de sable entre elles disputant;
Et vous voilà d'abord en mouvement.
Aucun de vous entre soi ne s'accorde,
On prend parti, chacun prétend briguer,
De son côté ne tirant qu'à sa corde,
L'œil égaré, soufflé par la discorde,
Se mêle ici de nuire ou protéger;
A vous ne tient de me faire enrager.
Si l'on m'échauffe, on me fera résoudre
A vous chasser bien loin de mes États,
A vous lancer ma redoutable foudre,
A vous proscrire, à vous réduire en poudre.
Mais, pour le coup, je ne le ferai pas.
Sachez du moins qu'en ces lieux pacifiques
Je ne veux point de vos trames iniques,
Que je puis seul régler comme il me plaît
Le sort humain, sans que l'on en raisonne.
A cet essaim de frelons qui bourdonne
J'enjoins ici, je commande et j'ordonne
D'être tranquille et d'être satisfait. »
Il dit; les saints, les yeux baissés sur terre,
Genoux tremblants, et joignant les deux mains,
<212>Le dos courbé, craignant tous le tonnerre,
Au fond du cœur pestaient sur leurs destins.
Il se fit même un silence si morne,
Qu'on aurait dit que les saints, tant parlants,
Étaient muets, enchantés ou gisants.
Mais, comme à tout le temps met une borne,
Lorsque la peur se fut calmée un brin,
Le vieux babil reprit son ancien train.
Alors lui dit saint maître Borromée :
« Grand roi, souffrez qu'un de vos immortels
Ose parler. L'autrichienne armée,
Mon nom fameux, mon culte, mes autels,
Oui, tout s'en va dans ce jour en fumée,
Si ne voulez punir des criminels
Dont la fureur est contre eux animée.
Exaucez-moi. » - « Certes, il a raison,
Dit l'autre saint (c'était Népomucène);
Vous voulez donc, comme en votre maison,
Au pur hasard laisser notre domaine?
L'Autrichien respecte mes vertus,
Il n'est de saint, dans tout ce nombre extrême,
Qui reçut tant d'images, de tributs,
Qu'en érigea pour moi seul la Bohême.
On sait là-bas ce qu'on doit à mon nom :
Voyagez-y; l'on y voit ma statue
Sur les chemins, même sur chaque pont.
Malheur, passant, à qui ne me salue!
Mais si jamais ces incrédules chiens,
Qui ne croient en vous, grand roi, qu'à peine,
Si, dis-je, un jour on voit les Prussiens,
<213>Victorieux, chasser le bon Lorraine,
Qui diable alors ma fête fêtera?
Et vous, bon roi, vous-même prenez garde,
Car tout de bon la chose vous regarde.
Tout le premier on me ruinera,
Et dans ma niche on m'abandonnera;
Le Prussien, qui sur moi se hasarde,
M'ayant vaincu, sur vous se tournera. »
Il n'avait pas achevé sa harangue,
Lorsqu'en fureur lui dit saint Wenceslas :
« Tais-toi, fripon, déclamateur sans langue,
Vil ravisseur de mes anciens États.
J'étais moi seul patron de ce royaume,
Quand un beau jour, lâche, tu t'avisas
De m'imiter, faisant mon second tome,
Que, nouveau saint, tu t'impatronisas;
Alors mon culte à ton autel passa. »
Le doux Jésus, qui, tout surpris, l'écoute,
Dit : « Wenceslas, vous n'y voyez donc goutte?
Messieurs les saints, rengainez vos exploits;
Vous avez tous empiété sur mes droits.
Vous, des dévots avides parasites,
Avant le temps que miracles vous fîtes,
J'étais moi seul adoré des humains,
J'avais moi seul l'honneur des prosélytes.
Mais à présent on ne voit que des saints
Qui, se servant d'une ruse profonde,
M'ont enlevé le culte de ce monde. »
Le bon papa lui dit tout doucement :
« O mon cher fils! ne soyez colérique.
<214>J'avais jadis, dans le commencement,
De l'univers seul toute la pratique.
Lorsque tu vins, le monde fanatique,
Par son instinct suivant le changement,
Planta pour toi ma seigneurie antique;
Je le souffris, t'aimant fort tendrement.
Mais laissons là l'aigreur et la dispute;
Voyons ici qui nous protégerons
Des combattants de ces deux nations;
C'est ce qu'il faut en deux mots qu'on discute,
Puis je prendrai mes résolutions. »
Calvin, Luther, très-bas se prosternèrent,
Les Prussiens au Roi recommandèrent;
Et Geneviève, et tous les saints français,
Par leurs discours très-fort les appuyèrent.
Alors parut, éclatante d'attraits,
Pleine d'appas, plus touchante et plus belle
Qu'au paradis oncques ne fut pucelle,
Sainte Hédewige; elle approcha du Roi,
D'un air soumis et d'un maintien modeste.
Dans ses beaux yeux brillait l'ardente foi,
Et bref, c'était une beauté céleste.
Sa belle bouche allait donner la loi,
Et décider la querelle funeste
Dont la Bohême était pleine d'effroi.
Elle approcha d'une façon unie,
Aux pieds du Père on la voit accroupie;
D'une des mains lui pressant les genoux,
De l'autre main au menton le caresse,
Lui dit : « Grand roi, mon espoir est en vous.
<215>Jadis, prenant pitié de ma jeunesse,
Me dégageant de l'humaine faiblesse,
Sainte je fus chez mon défunt époux.
Assistez-moi; que dans ces jours prospères
Tous mes parents ressentent vos faveurs;
A tous ces saints ils font peu de prières,
Mais votre amour remplit seul tout leur cœur.
Les Prussiens composent ma famille,
Et leurs rois sont mes plus purs rejetons.
Ne souffrez pas qu'un vil saint les étrille,
Couvrez-les tous dessous vos ailerons;
A vous, seigneur, Hédewige se voue. »
En même temps elle vous l'amadoue;
Onc on ne vit, avec tant de splendeur,
Corps féminin si souple et si flatteur.
Le bon papa sent son âme attendrie :
« Vous le voulez, je dois vous exaucer;
Un léopard de la fière Hyrcanie
N'aurait le cœur d'oser vous refuser, »
Dit-il. De loin, bonne dame Marie,
S'impatientant, pleine de jalousie,
De ce discours eût voulu se mêler.
Chacun le voit; le Roi lui dit : « Ma mie,
Vous aimerais bien plus, si de l'envie,
Lorsqu'il me plaît à saintes de parler,
Vous ne sentiez si souvent la furie;
Il est besoin d'apprendre à vous calmer. »
Alors, parlant à sainte Geneviève,
Il dit : « Prenez mon redoutable glaive,
Dont autrefois, par mes décrets divins,
<216>L'ange vengeur défit les Philistins,
Et secondez l'effort des Prussiens;
Ce sont les fils de ma charmante fille.
Chère Hédewige, ordonnez aux destins,
Et confondant les fiers Autrichiens,
Comblez d'honneur votre heureuse famille. »
Ces derniers mots, qu'il dit à haute voix,
Font tressaillir et les cieux, et la terre;
Et ces accents, plus forts que le tonnerre,
Mettent les saints confus en désarroi.
L'ange leur dit : « Le Roi vous congédie.
Que chaque saint, vaquant à ses emplois,
Aille à présent régir sa monarchie. »
Tous dans l'instant se lèvent pour sortir.
Comme l'on voit la presse s'éclaircir,
Lorsqu'à Grodno la Pologne inquiète
En grand tumulte a rompu sa diète,
Ainsi les saints s'empressent de partir.
Dame Marie, attelant sa mazette,
Fendant les airs, descend droit à Lorette.
Là, dans ce temple, un miracle posa
L'hôtellerie où la dame accoucha
Du doux Jésus jadis en Idumée;
Tout alentour flaire sa renommée.
Saint Pierre à Rome aussitôt s'envola;
Sur un grand coq le bon saint se percha.
C'était ce coq qui par trois fois chanta,
Lorsque l'apôtre, en scélérat, en traître,
Son doux Jésus par trois fois renia.
Aucun des saints autant on ne fêta;
<217>Honneur se fait à Rome le saint-père
De ce qu'il est successeur de saint Pierre.
Légèrement, sur sa meule à moulin,
Saint Nicolas traversa l'hémisphère;
Pour Pétersbourg partit le calotin,
Y ranimer sa cendre, qu'on révère.
Antoine alors part à califourchon :
Piquant des deux, il presse son cochon;
Ce saint des porcs est l'auguste patron.
Ah! vous voilà, le colosse de Rhode?
Ce n'est pas lui, c'est un saint hors de mode,
Le grand Christoph, de l'inconstant clergé,
Dans un recoin, sans culte, négligé.
Un autre part, il veut chômer sa fête.
Vous oubliez, saint Denis, votre tête;
Reprenez-la, car, malgré les dévots,
Sans tête, un saint fait rire les badauds.
Là, saint François, tout criblé de stigmates;
Ce preux martyr, encor couvert de sang
A gros bouillons sortant des quatre pattes,
Et jaillissant de son généreux flanc,
S'en va tout droit dans un riche couvent.
Ce jour, sa châsse en pompe se promène,
Et le gardien et les religieux,
Et les dévots que fournissent tous lieux,
Qu'à pareil jour on trouve à la douzaine,
Suivent le saint d'un air humble et piteux.
A son honneur ils fêtent la neuvaine,
En s'enivrant d'un vin délicieux.
J'ai la berlue, ou je crois, Dieu me damne,
<218>Parmi ces saints que j'aperçois un âne.
Pourtant n'est pas celui-là qui parla,
Quand Balaam autrefois le monta;218-a
Mais c'est celui qui le Sauveur porta,
Lorsque, l'Hébreu célébrant son entrée.
Jérusalem, de palmes décorée,
Jusques au temple un jour l'accompagna.
Cet animal, sur une vapeur bleue,
Va dans Milan pour retrouver sa queue.
Là, tous les ans, de l'animal béat
On donne au jour ce beau membre en spectacle.
Prêtres y sont en grand pontificat,
A deux genoux attendant le miracle,
Et célébrant sa fête avec éclat.
Le bon Janvier, avec son auréole,
Comme un éclair va trouver Don Carlos;
Il fait bouillir son sang dans sa fiole,
Tout pleins de joie en sont ses bons dévots.
Le doux . ., ce mari si modeste,
Pauvre Vulcain de la troupe céleste,
Et les vieux saints, comme Hercule, Samson,
Mars, Machabée, et Gabriel, Mercure,
Tous trop âgés, restent à la maison :
Ils n'étaient plus que des saints en peinture.
Mais, si j'avais une langue d'airain,
Et des poumons comme Éole ou Zéphire,
Ami lecteur, comment pourrais-je enfin
Te tout conter et tous ces saints te dire?
Un an entier ne saurait me suffire.
<219>Mais si voulez de l'immortelle cour
Avoir chez vous la liste générale,
Un almanach tout du long vous étale
Et chaque saint, et sa fête, et son jour.
Mais, après tout, ce ne sont mes affaires;
Venons aux saints qui me sont nécessaires,
Dont nos héros ont tous les deux besoin.
Vers le Lorrain part saint Népomucène :
Sur un rayon il ne se percha point.
Tout confondu, du ciel sortant à peine,
Il gagne enfin sa métropolitaine;
Dans Prague il va se percher sur son pont.
Il veut pourtant soutenir son renom
Et ranimer les soldats de Lorraine;
Pas ne croirez ce qu'il imagina.
Dessus son pont le bon saint se tourna,
Aux Prussiens il montra le derrière,
Aux gens lorrains sa béate visière;
Tout aussitôt au miracle on cria.
Pendant le temps qu'au lieu d'un vrai prodige,
Saint Népomuc étale un vain prestige.
Que fîtes-vous, ô divine Hédewige?
Muse, dis-moi comment ses belles mains,
Qui maîtrisaient l'oracle des destins,
Pour relever la prussienne tige,
Lors préparaient du mal aux fiers Lorrains.
Elle n'admet aucun repos ni trêve;
Toujours parlant, consultant Geneviève,
D'avance ayant ajusté ses accords,
On va bientôt voir jouer ses ressorts.
<220>Alors des cieux la nombreuse assemblée
S'était déjà des portes écoulée,
Et, traversant le vaste champ des airs,
Avait rempli cet immense univers.
Les uns en France, et d'autres en Autriche
Etaient venus sur les ailes des vents;
Et chaque saint, de retour dans sa niche,
Humait déjà l'odeur de son encens.

<221>

CHANT III.

Il n'est pour nous qu'heur et malheur au monde :
J'ai souvent vu dans ce siècle félon
Que la fortune aveugle et vagabonde
A couronné un faquin, un fripon,
Et la vertu, des hommes tant prônée,
Dans l'indigence au sort abandonnée,
Souffrir l'opprobre, et languir en prison.
Quand le destin aigri nous persécute,
Fût-on César, Pompée ou Scipion,
Pendant un temps on se défend, on lutte,
Mais on périt, s'il résout votre chute.
O mes lecteurs! si vous ne m'en croyez,
Le verrez bien quand ceci vous lirez,
Quand de Darget vous apprendrez l'histoire.
Ce fait tragique et ce complot d'horreurs
Sera toujours présent à ma mémoire;
Le souvenir m'en arrache des pleurs.
Or, écoutez : l'autrichienne armée,
En ayant vu ses desseins échouer,
Était encore abattue, alarmée;
Le bon Charlot s'entendait bafouer.
<222>Le mordant Stein à l'ironique mine,
Sur le Lorrain aiguisant ses brocards.
Par ses bons mots sans fin le turlupine :
Et ses propos, lâchés sans nuls égards,
De bouche en bouche allaient de toutes parts.
Dans l'univers bientôt la Renommée
A parsemer ces bruits fut occupée.
Ce monstre affreux paraît d'abord petit;
En moins de rien il s'accroît et grandit;
Jusques aux cieux atteint sa tête énorme,
Et de ses pieds il touche les enfers.
L'étrange oiseau, même en volant, s'informe
De ce qu'on fait et dit dans l'univers;
Sous chaque plume, ô prodige! ô merveille!
Il a des yeux, des bouches, des oreilles.
Il va d'un pas d'orient en occident,
Et, publiant les vérités, les songes,
Et des secrets, et souvent des mensonges,
Divulgue tout d'un babil imprudent.
Dans les deux camps ce monstre malfaisant
Avait tout dit; on n'entendait que rire.
Le bon Charlot en son cœur en soupire :
« Hélas! faut-il que, si dévot aux saints,
J'aie ici-bas d'aussi cruels destins! »
S'écria-t-il. Mais Kolowrat l'approche :
« Prince, dit-il, pourquoi donc ce reproche?
Si vous souffrez dans ce monde maudit,
Dans l'autre aurez l'immortelle couronne :
Ce n'est qu'à ceux que le monde proscrit
A qui le ciel après la mort la donne.
Il faut souffrir les tribulations,
<223>Le fer, le feu, les macérations;
Quand nous avons senti ces maux insignes,
Encor des cieux sommes-nous tous indignes. »
Le preux Rosière entend avec chagrin
Ce discoureur si doux, si débonnaire :
« Vous raisonnez, dit-il, en capucin;
Il faut ici parler en militaire.
Prince, excitez votre feu naturel,
Aiguillonnez votre illustre courage,
Avant la nuit effacez votre outrage,
Courez venger votre honneur et le ciel. »
A ce discours, le Lorrain sent renaître
Nouvel espoir; il dit : « Sans nous commettre,
Ayons raison de notre affront cruel. »
Sitôt au camp on projette, on raisonne;
Au dur Franquin échut l'enlèvement :
Il doit avoir l'honneur du dénoûment.
Pour ce grand coup tout s'apprête et s'ordonne.
Saint Népomuc, huché dessus son pont,
Pensait tenir en ses mains la victoire.
Sainte Hédewige en rit avec raison;
Elle savait ce quelle en devait croire,
Et se moquait de ce projet bouffon.
Elle aborda sa chère Geneviève,
En lui disant d'une façon briève :
« Ma sœur, je n'ai jamais parlé français;
Je ne veux point commettre un barbarisme,
Et, du marquis amusant les laquais,
Me voir huer pour quelque germanisme.
Chargez-vous donc de ce soin important;
Qu'il sache enfin ce qu'un Franquin barbare,
<224>Chez l'ennemi, de malheur lui prépare;
Que dans le camp bien se barricadant,
Il soit surtout circonspect et prudent. »
Lors de Paris la divine patronne
Va par les airs chercher le gros marquis.
Sainte à l'instant travestit sa personne,
Elle prend l'air des gens de son pays,
Elle se met en homme du beau monde;
Imaginez les charmes d'Adonis,
Et d'Apollon taille et crinière blonde.
L'air éventé, l'œil vif, le ris fripon,
Accompagnaient sa tête moutonnée;
Et son grand nœud fermé sous le menton,
Et sa chemise en dentelles ornée,
Ses manchettes à patte de pigeon,
Et ses bas blancs tirés jusqu'à l'échine,
Ses escarpins avec rouges talons,
Et son habit chamarré de galons,
Faisaient valoir surtout sa bonne mine.
Le gros marquis alors se promenait
Aux bords de l'Elbe avec son cher Darget.
Elle lui dit : « Valori, je vous aime,
Quoique couriez de catins en catins.
Si ce n'était votre imprudence extrême,
Qui me fait craindre un jour pour vos destins.
Je ne serais certes venu moi-même,
Pour vous donner quelques avis bénins. »
- « Jeune muguet, vous plaisantez sans doute;
Donneur d'avis à barbe à poil follet,
Savez peut-être écrire un doux poulet, »
Dit le marquis, qui de rien ne se doute.
<225>Elle répond : « Pensez ce qu'il vous plaît.
Si ne prenez bien garde à votre tente,
Dès cette nuit on vous enlèvera;
L'Autrichien depuis longtemps invente
Un tour maudit, et qui vous surprendra. »
Mais Valori sur un tel fait plaisante :
« D'où savez-vous, dit-il, ce qu'on fera?
Me prendre, moi! Je voudrais voir le drôle
Qui de sang-froid jamais m'approchera.
Allez, allez, cette idée est bien folle. »
En même temps paraît une auréole;
La sainte prend un corps tout délié,
Telle qu'on voit une vapeur subtile.
Le bon Darget en est émerveillé;
Le gros marquis reste tout immobile,
Et de frayeur presque pétrifié.
Puis, rassemblant la force qui lui reste,
Il dit, de l'air d'un excommunié :
« Instruisez-nous, beau farfadet céleste;
Étes-vous donc un ange ou le démon?
Et, s'il vous plaît, comment est votre nom? »
La bonne sainte aussitôt lui répond :
« Reconnaissez, gros marquis, Geneviève.
Je viens ici vous sauver, cher élève,
Des noirs complots d'un saint archifripon. »
Se prosternant, il se signe, il se frappe :
Sainte, dit-il, mon espoir est en vous.
Il veut trois fois embrasser ses genoux,
Et par trois fois le fantôme s'échappe.
La sainte part, plus prompte qu'un éclair;
<226>De son éclat cette immense carrière
Semble embrasée; elle trace dans l'air
Un grand sillon tout brillant de lumière.
Comme l'on voit au haut du firmament,
Dans leur ellipse effleurant les planètes,
A longue queue arriver les comètes,
Illuminer des cieux l'immense champ,
Rapidement s'échapper aux lunettes
De l'astronome, au ciel les observant;
Ce phénomène au vulgaire tremblant
Semble annoncer la peste en maux féconde,
La guerre, ou bien la prompte fin du monde,
Que l'astrologue a prévus clairement :
De même, alors que disparut la sainte,
Le gros marquis, étant transi de crainte,
Resta longtemps dans l'étourdissement.
Darget très-bien le soutient, le rassure;
Il releva cette heureuse aventure;
Puis tous les deux consultent prudemment :
« Que faut-il faire? Irons-nous tout à l'heure,
Pour sûreté, changer notre demeure? »
Auprès du camp était un petit bourg;
C'était un lieu très-peu digne d'estime,
Il dut pourtant être fameux un jour.
O Jaromircz! non mal né pour la rime,
Comment pourrai-je, en chevillant mes vers,
Placer ton nom discordant à l'oreille,
Peindre tes murs abattus et déserts,
Et l'aventure, à nulle autre pareille,
Qui pensa mettre un gros marquis aux fers?
C'est dans ce bourg que, pis qu'un Allobroge,
<227>Le gros marquis imprudemment se loge.
On lui donna, par prédilection,
De preux guerriers une forte cohorte,
Qui tous veillaient à l'entour de sa porte,
Pour conserver ce grand palladion.
O profondeur d'esprit et de lumière!
Que pensez-vous? Ce prudent émissaire,
Faisant garder la porte de devant,
Abandonnait la porte de derrière,
Qui procurait facilité plénière
Pour le projet de son enlèvement.
Or, apprenez que dans cette chaumière
Régnait surtout l'infâme trahison;
Suborné fut l'hôte de la maison
Par un Franquin, monstre de crocodile,
Qui va jouer son rôle comme Achille.
Et, sans avoir le talent du Bernin,227-a
Je puis, lecteur, te faire la peinture
De ce palais, de ce taudis vilain,
Où du marquis se passa l'aventure.
Sans ornement et sans architecture,
Figurez-vous un boucan clandestin.
On n'y flairait, ma foi, nulle odeur d'ambre,
On n'y trouvait que deux appartements;
Au bon Darget fut celui de devant,
Et dans le fond le marquis prit sa chambre.
La nuit arrive, et Valori se couche.
Le gros marquis dormait comme une souche,
Et tout auprès, le fidèle Darget,
<228>De ses exploits célèbre coryphée,
Dormait déjà dans les bras de Morphée,
Après avoir fini son chapelet.
Alors des cieux descendit du haut faîte
Patron Étienne au visage vermeil;
Il se plaça justement sur la tête
Du bon badaud dans son premier sommeil :
« Mon fils, dit-il, dormez comme une bête,
Quand alentour, guidé par le malin,
Pour te saisir on voit rôder Franquin. »
Darget s'éveille, et tout son corps frissonne;
Il se rendort, comme il ne voit personne.
Le farfadet tout aussitôt revient,
Et de nouveau lui tient même langage :
Craignez, dit-il, un prochain esclavage.
Il est déjà une heure après minuit.
On carillonne, il se fait un grand bruit;
Et le pandour, avide de pillage,
Entre, en forçant la porte de Darget.
Dans ce péril, pour le bien de la France,
Le badaud tint très-bonne contenance;
Et se sentant pris dans le trébuchet,
Il s'écria d'une voix pathétique :
Qui cherchez-vous? » - « Nous cherchons le marquis;
Nous en voulons à votre politique,
A la vaisselle, à vos meubles de prix. »
- « C'est moi qui suis l'envoyé de Paris,
Leur répondit ce prudent domestique;
Prenez ces sacs, pleins de nouveaux louis. »
En même temps, cette troupe pillarde
Fait table rase en cet appartement;
<229>Soit par bonheur, ou bien soit par mégarde,
Aucun n'entra dans le poêle joignant.
Ce bruit affreux d'abord frappe l'oreille
Du gros marquis, qui soudain se réveille :
Et sans ressource il se serait perdu,
Si, descendant de la voûte céleste,
Le farfadet ne fût d'abord venu,
Pour l'assister dans ce moment funeste.
Hors de son lit, criant, tout éperdu,
Il va sortir et se livrer tout nu,
En attitude au vrai très-immodeste,
Entre les mains de ces cruels brigands.
La bonne sainte au divin pucelage,
De l'éventail cachant son beau visage,
Par les bâtons lorgnait de temps en temps.
Femelles sont coquettes en tout âge.
Dans ce danger, miracles opérant,
Sur ce marquis fougueux et frénétique
Elle répand un sommeil léthargique.
Au même temps, ces félons, ces bandits,
Pensant avoir trouvé la pie au nid,
Ont enlevé Darget, dans la posture
Dont il sortit des mains de la nature,
Pensant tenir, par cet exploit bouffon,
Des Prussiens le grand palladion.
Au corps de garde accourut Hédewige;
Elle cria : « Monsieur le caporal,
Assistez-nous, votre devoir l'exige;
Chassez d'ici le ravisseur brutal! »
Tandis qu'en hâte une troupe cruelle
Traînait Darget au travers du jardin,
<230>Toujours pillant, grossissant son butin,
Le caporal faisait pleuvoir sur elle
Du plomb mortel l'épouvantable grêle.
Onc Russien n'a, dans ses chasses d'ours,
Défait un nombre aussi considérable
Que Jaromircz vit d'âmes de pandours,
Dans cette nuit, descendre droit au diable.
Pauvre Darget, pris par tes ennemis,
Et fusillé par tes meilleurs amis,
Dans ce péril extrême, inévitable,
Ah! qui t'aida de son bras secourable?
Qui te sauva dessous son aileron?
Ami lecteur, ne reste point en peine :
Je vois des cieux descendre maître Étienne,
Du bon Darget ce fidèle patron.
Lorsque la mort de tous les côtés fauche,
L'honnête saint lui tint lieu de plastron,
Et détourna les coups à droite, à gauche.
Le dur Franquin, ignorant son erreur,
Fuyait toujours, le cœur rempli de joie;
Il s'applaudit déjà du vain honneur
Qu'on lui fera lorsqu'on verra sa proie.
Ni plus ni moins, Darget nu-pieds trottait,
Jusqu'aux genoux s'enfonçait dans la boue,
Gelait de froid, faisait étrange moue;
L'épine aussi le pied lui déchirait,
Et le badaud de tout son cœur jurait
Contre le sort, qui des hommes se joue.
Toujours pestant et toujours avançant,
Il a déjà couru plus d'un grand mille,
Lorsque le jour, tout doucement venant,
<231>Surprit la troupe auprès du camp volant
Où le Franquin avait son domicile.
Ce scélérat, feignant l'âme civile,
Dit à Darget : « Monsieur l'ambassadeur,
Je suis fâché de la triste aventure
Dont, il est vrai, je suis l'heureux auteur;
Et si, nu-pieds, sans habit, sans voiture,
Venez ici, c'est un petit malheur.
Pour consoler votre douleur cruelle
Et tempérer votre premier effroi,
Vous mangerez dessus cette vaisselle,
Qui, hier à vous, aujourd'hui n'est qu'à moi. »
Sur ce sujet tous les deux s'éclaircirent,
Comme croirez, très-mal se satisfirent,
Car sans détour le généreux Darget
Lui déclara d'abord ce qu'il était;
Et dans le temps que Darget développe
De son malheur le plaisant quiproquo,
L'Autrichien croit tomber en syncope.
« Serai-je donc compté pour un zéro?
Vengeons l'honneur que le destin maîtrise!
S'écria-t-il; et ce chien de Français
M'enlèvera dans ce jour, pour jamais,
D'une brillante et pénible entreprise
Tout le succès, par ma folle méprise!
Ah! malheureux, fourbe, qui que tu sois,
Ah! ravisseur de mon plus bel exploit,
Tu vas périr, et payer ma bêtise. »
Il dit, et tire un large coutelas,
Et le tournant trois fois dessus sa tête,
Cet inhumain, tout furieux, s'apprête
<232>A lui jeter d'un coup le chef en bas.
Un vieux Hongrois tout doucement l'arrête :
« Je crois, Franquin, que vous n'y pensez pas.
Notre devoir exige qu'on amène
Chaque captif au camp du bon Lorraine;
Ménagez donc celui-ci tout exprès,
Car il nous peut révéler des secrets. »
Il dit; d'abord Franquin, quoique avec peine,
Fait un effort, se modère, et rengaine.
Mon cher lecteur, si tu prétends savoir
Si ce Hongrois n'était pas une sainte
Fort à propos usant de cette feinte,
Comme en avez dans ce livre pu voir,
Ah! pour le coup, il n'est en mon pouvoir
De l'expliquer; car dessus cette affaire
Mon chroniqueur sut prudemment se taire.
En remontant même jusqu'à Turpin,232-a
Sur ce sujet on n'éclaircirait rien :
Pensez-en donc ce qu'il vous plaît d'en croire.
Car ce fait-là ne fait rien à l'histoire.
Le dur Franquin changea d'abord de ton
Vers le badaud; ce féroce lion
Devint traitable et doux comme un mouton;
Même il lui fit des excuses passables.
Chemin faisant, on gagne la forêt
D'arbres touffus, obscurs, impénétrables,
Où le soleil ne put percer jamais
De ses rayons brillants et favorables.
<233>Dans un endroit plus sombre et plus épais,
Un haut rocher tout couvert de cyprès
Forme en son sein une affreuse caverne;
Il semblait voir les portes de l'Averne.
C'était l'endroit où Franquin résidait,
Il avait là son horrible repaire.
De l'antre sort nombre des gens de guerre.
« Ah! vous voilà? bonjour. Qu'avez-vous fait?
A-t-on pillé? la prise est-elle bonne?
N'aurons-nous point notre part au butin? »
L'on s'embrassa, l'on conte, et l'on raisonne
Sur les hauts faits de l'illustre Franquin.
Apercevant Darget sans camisole,
Ils crient tous : « Viens cà, viens cà, le drôle!
Tu fus servi par des valets adroits.
Tu cacherais peut-être une pistole?
Donne toujours; sommes rusés matois. »
Le bon Darget garde un maintien modeste;
Ses pieds étaient meurtris et déchirés,
Ses membres tous presque défigurés.
Les yeux tournés vers la voûte céleste,
D'un suppliant il emprunte le geste.
Franquin leur dit : « Cet homme est mon captif;
Donnez-lui donc un bon confortatif;
Dans ma caverne à l'instant qu'on le soigne. »
Ces gens faisaient diligente besogne,
Car le Franquin était expéditif;
Deux grands pandours, avec un air paterne,
Mènent Darget au fond de la caverne.
Figurez-vous un antre obscur et sourd,
<234>Où ne perça jamais le moindre jour.
Darget non plus en entrant ne vit goutte;
Il vint d'abord dans une immense voûte,
Il n'avança qu'aux tremblantes lueurs
De deux lampions; il suit ses conducteurs;
Sous le rocher une profonde route
L'amène enfin au gîte des voleurs.
On y respire une vapeur impure;
Par un hasard, la bizarre nature
Semble avoir fait ce lieu rempli d'horreurs,
Pour recéler ces cruels détrousseurs.
Là, presque au bout, il entre en une grotte.
Franquin le suit, il dit : Qu'on le décrotte.
En s'empressant, deux rustiques beautés,
Portant un seau chacune à leurs côtés,
Prennent Darget; on le lave, on le panse,
On le parfume, on le frotte d'essence.
Qu'on me l'habille, ajouta le Franquin.
On court, on vient, maîtresse, concubine;
L'on va fouiller dans la cave au butin.
L'une lui donne une chemise fine,
Dont la cravate est de point de maline,
Et qu'on pilla sur quelque Prussien;
L'autre lui chausse un petit escarpin,
Fait pour un pied plus mignon que le sien;
Une autre encor sur ses épaules charge
Un bel habit et trop long, et trop large,
Que Franquin prit dans la guerre du Rhin;
Pour finir l'œuvre, on offusque sa face
En le couvrant d'un feutre à large audace.
Franquin lui dit : « Mangeons, j'ai soif, j'ai faim;
<235>Canailles, que l'on serve le festin. »
Alors on voit des soi-disantes vierges
Dresser la table et la charger de cierges
Que quelque autel avait contribués,
Ou que Franquin s'était attribués.
On étala la vaisselle polie
Que ce pandour au marquis enleva.
Darget lui dit : « Cette vaisselle unie
Fut par Germain235-a à Paris arrondie. »
- Ah! dit Franquin, tant plus elle vaudra.
Quarante plats sur la table on porta,
De mets exquis rassemblés à la ronde,
Des agneaux gras, des poulets qu'on vola,
Car on faisait payer à tout le monde.
Le malheureux paysan bohémien
Était pillé comme le Prussien;
Rien ne coûtait, on faisait bonne chère,
On s'engraissait des malheurs de la guerre.
On fait venir le Champagne moussant,
Qui pétilla bientôt dans chaque verre,
Le Port-à-port, le Tokai jaunissant,
Vin butiné, volé furtivement.
On en sabla coup sur coup des rasades,
Et puis l'on fit grandes fanfaronnades.
Darget, sournois, ne bâfrait qu'à regret
De tant de mets volés qu'on lui servait;
Il ne mangeait qu'autant qu'il faut pour vivre.
Mais sur le tard arrivent les catins.
On les caresse, on baise, on les enivre,
Non pas d'amour, mais de différents vins.
<236>O mes amis! comment puis-je poursuivre,
Et vous conter leurs propos libertins?
Ne pensez pas que la délicatesse
Soit en usage en de pareils amours;
Figurez-vous plutôt ce que l'ivresse
Peut inspirer de féroce aux pandours.
On y voyait des filles effarées,
De la jeunesse et des grâces parées,
Au dur Franquin, à ces fiers ravisseurs,
Et par l'audace, et par mille fureurs,
Dans ces cachots indignement livrées.
Dans les moments qu'ils comblaient leurs plaisirs,
En détournant leur innocente bouche,
Versant des pleurs et poussant des soupirs,
Elles pouvaient par leurs cris adoucir
Et la panthère, et le tigre farouche.
Ces scélérats, qui n'avaient le cœur bon,
Ni plus ni moins remuaient du croupion;
On aurait dit, voyant ces mœurs étranges,
Que les démons y violaient des anges.
A ces plaisirs ces brutaux, ces félons
Font succéder la plus crasse débauche :
Rassasiés des délices connus,
Ils enfilaient la route par la gauche,
Et s'enivraient de plaisirs défendus;
Enfin, lassés de leur sale aventure,
Car on revient trop tôt de ces abus,
Buvaient du vin autant que la nuit dure.
Franquin surtout écumait de luxure,
Et le souper touchait à sa clôture,
Quand des pandours viennent, tout morfondus,
<237>Donner avis d'une belle capture.
Aux champs voisins, ces brigands avaient pris
Un grand troupeau d'agneaux et de brebis,
Poulets, cochons, cierges d'une chapelle,
Et du curé la gentille donzelle,
Et du bailli la fille encor pucelle,
Et maints ducats, dont ils ne dirent mot.
Sur l'intérêt, ce n'est chose nouvelle,
Même un pandour pour voler n'est pas sot.
Il faut d'abord qu'on règle les partages :
« Pour nous seront, amis, les pucelages;
A ces pandours, dit Franquin, nous laissons
Le brandevin, les vaches, les cochons. »
En mugissant, la grotte fait entendre
De leurs clameurs répétées dans l'antre
Les insensés et bourdonnants échos.
Ils crient tous : Renonçons au repos!
Lors les pandours quelques porcs gras tuèrent,
Et par morceaux égaux les partagèrent;
Cherchent du bois; des veines d'un caillou
Ils font sortir, le frappant sur un clou,
En pétillant, de vives étincelles;
Le soufre en feu allume les chandelles;
Le bois s'embrase, on rôtit les morceaux,
En les couvrant tous d'une double graisse;
Et puis, servant les éclanches, les dos,
Couchés sur l'herbe, ils mangent à leur aise.
Ainsi que dit le chantre d'Ilion,
Content chacun fut de sa portion.
Au dur Franquin on amena les belles,
Douces beautés, fringantes demoiselles,
<238>Que le brutal aimait par passion.
Au beau milieu de ces cruels gendarmes,
On voit paraître, éclatante d'appas,
Jeune tendron où brillaient tous les charmes.
Cette beauté qu'on prit à Ménélas,
Dont le rapt mit toute l'Asie en armes,
Au bon Priam causant chaudes alarmes,
De ses attraits, certes, n'approchait pas.
Elle n'était comme vous, les princesses,
Toujours beautés, quand vous êtes altesses,
Et qui perdez vos grâces, vos attraits,
Quand on vous voit sans toutes ces richesses
Et ces bijoux dont offusquez vos traits.
Elle arriva parmi tous ces vacarmes,
Tout éplorée et se fondant en larmes.
Dans le sommeil, hélas! on avait pris
Ce beau tendron, chez ses parents chéris,
Dans des habits dont la simple parure
N'ajoutait rien aux dons de la nature.
Ses vêtements sont propres, mais unis.
Sous son corset, une gorge naissante,
Allant, venant, aux curieux présente
Deux boutonneaux élastiques, gentils,
Moitié couverts d'une boucle flottante;
Un teint, grand Dieu! de roses et de lis;
Deux beaux yeux noirs à prunelle brillante,
Des yeux dont part une flamme éloquente;
En arc dessus se courbent ses sourcils;
Puis à baiser une bouche qui tente;
Quand le corail de sa lèvre charmante
Est séparé par l'amour et les ris,
<239>Trente-deux dents de blancheur ravissante
Rendent les cœurs insensibles épris;
Ajoutez-y taille d'une déesse,
Un pied Cochois,239-a de Vénus la jeunesse;
Et telle fut la touchante beauté
Dont ces bandits s'étaient rendus les maîtres.
Elle parut au milieu de ces traîtres,
Avec un air rempli de majesté;
Et ces brutaux, sans nulle humanité,
Allaient d'abord se jeter sur leur proie,
Lorsque Franquin leur fit ce beau discours :
« Qu'à la douleur succède enfin la joie;
Consolons donc ce captif par l'amour.
Pour moi, d'ailleurs, j'en ai déjà de reste,
Et malgré moi me faut être modeste.
Voyez ce qu'est un honnête pandour.
A vous, Darget, sera cette pucelle;
Allez, cueillez cette rose nouvelle. »
Darget sentit l'aiguillon de la chair;
Mais il entend une voix lamentable :
Ah! juste Dieu! suis-je donc en enfer?
Oui, belle Aurore, en ce séjour coupable,
Franquin peut-être est pis que Lucifer.
« Ayez pitié, bon seigneur charitable,
De ma jeunesse et d'un sort déplorable,
Lui dit la belle, en tombant à genoux.
<240>J'étais promise, et mon futur époux
Ne peut m'aider de son bras secourable :
Ayez, seigneur, pitié de ma vertu. »
Disant ces mots, tout un torrent de larmes
De son visage inondait tous les charmes.
Franquin s'écrie : « Ah! qu'on fasse cocu
Ce prétendu, ce jeune époux en herbe!
Allons, jetez dans ce moule superbe
Jeune Français bien ourdi, bien cossu. »
Dessus l'amour le bon Darget prélude;
Il en sentait toute la plénitude.
Dans le moment qu'il était résolu
De s'enivrer de sa béatitude,
Son bon patron, s'en étant aperçu,
L'arrêta court, et le badaud rengaine,
Entre ses dents pestant sur saint Étienne.
Tel, près d'un lac, souvent un limaçon
De sa maison sort sa tête gentille,
Au grand soleil rampe dans le limon;
Mais s'il entend du bruit ou quelque son,
Se repliant soudain dans sa coquille,
Il se resserre en petit peloton :
Ainsi Darget à l'âme généreuse
Vit dissiper certain malin démon
Que poliment on nomme Cupidon,
Et dont Moïse, en sa Bible causeuse,
Fit un serpent, dont Ève curieuse,
Pour son malheur, essaya tout du long.
Le bon Darget, plus froid qu'aucun glaçon,
Dit à sa belle : « Aimable malheureuse,
<241>De vos vertus je prends compassion;
Je suis, hélas! pour le viol maussade,
Ne craignez point de moi quelque enfilade;
Je payerai plutôt votre rançon. »
Il prend sa main, la rassure et console.
Franquin, qui voit Darget se refroidir,
Dit : « Est-ce en France ainsi que l'on viole?
Eh! quand au fait voudrez-vous donc venir? »
- « Hélas! seigneur, nos tristes destinées
Sont en vos mains, ô Franquin généreux!
Cette beauté de grâces tant ornée,
Et ces appas divins et merveilleux,
Seront-ils donc, dans ce séjour funeste,
Abandonnés au désir immodeste
De l'impudique et du premier venu?
Ah! respectez son âge et sa vertu,
Et rendez-lui sa liberté première. »
- « Pauvre Français, dis plutôt ton bréviaire,
Répond Franquin, en se moquant de lui;
De violer c'est la mode aujourd'hui. »
- « Mais, répliqua d'une façon soumise
L'autre en rêvant, d'un moyen je m'avise;
S'il vous plaisait d'accepter de l'argent,
Je payerais à beaux deniers comptants
La liberté de cet astre adorable. »
Ce marché-là plut fort à ce brigand.
« Oui, lui dit-il, si tu m'en donnes ... tant.
Qu'elle aille alors, pucelle invulnérable,
Dans sa maison rejoindre son amant. »
Pour cette fois, intérêt détestable,
<242>Tu fus du moins aux humains secourable;
Car tu sauvas des mains d'un insolent
La jeune Aurore, aussi belle qu'aimable,
Sans qu'on lui fît d'outrage en ce boucan.

<243>

CHANT IV.

C'est un grand point que d'être vertueux :
Mais dans ce siècle on est peu raisonnable.
Soyez fripon, scélérat, vicieux,
On passe tout, si vous êtes aimable.
Heureusement pour lui, le bon Darget
Et l'un et l'autre également était.
Pour le Franquin, épuisé de débauche,
(Car ne croyez qu'un brigand, qu'un pandour,
Toujours guerroie et sans cesse chevauche :
Rien ne tarit plus vite que l'amour;)
Le Franquin, dis-je, ayant pris, tout le jour,
Repos qu'il faut pour réparer ses forces,
Ne sentant plus ses passions féroces,
S'en vint trouver le badaud dans son lit.
« Je viens chez vous, dit-il, car je m'ennuie;
Ne veux sortir, car il fait de la pluie.
Mais contez-moi, captif pour mon profit,
Votre destin, vos exploits, votre vie;
Car les Français, dit-on, sont bons conteurs. »
Darget répond à ces propos flatteurs :
« Ce me serait faveur bien singulière
Si je pouvais amuser Franquini.
Seigneur, je n'ai qu'un mauvais conte à faire;
Je le ferai du moins simple et uni.
<244>Le sort fâcheux qui dès longtemps m'oppresse
M'a fait, seigneur, naître d'une duchesse;
Mon père fut, je crois, un inconnu
Qu'un feu secret rendit le bienvenu.
Malheureux fruit d'une illicite flamme,
On m'éleva bien loin de mes parents;
Puis, pour former de bonne heure mon âme,
Me retirant de chez honnêtes gens,
On me pourvut tout jeune d'une place
Dans un couvent, au collége d'Ignace;
Et là, sous l'œil d'habiles professeurs,
Je dus, seigneur, achever mes études.
Mais qu'un démon, auteur de mes malheurs,
M'y fit passer par des épreuves rudes!
On me trouvait quelque peu de beauté,
Et, dans l'esprit, de la vivacité.
Un professeur, écumant de luxure,
Me caressant avec malignité,
En m'amenant chez lui, dans sa clôture,
Me fit, un jour, offerte tant impure,
Que je lui dis avec sévérité :
Va, monstre affreux, tout couvert de souillure,
Dont les désirs révoltent la nature;
Cours dans l'oubli chercher l'impunité
De tes forfaits, de ta brutalité.
Bientôt un autre également m'entraîne;
Je le repousse un peu, je le rengaine.
Mais à la fin tant fondirent sur moi,
Que, n'ayant plus dans le couvent d'asile,
Et dans un âge encor tendre et débile,
Je me sentis intimider d'effroi.
<245>L'un me disait : Ne savez pas l'histoire;
Vous y verrez des héros pleins de gloire,
Tantôt actifs et tantôt patients,
A leurs amis souples et complaisants.
Tel pour Socrate était Alcibiade,
Qui, par ma foi, n'était un Grec maussade;
Et tels étaient Euryale et Nisus.
En citerais, que sais-je? tant et plus,
Jules César, que des langues obscènes
Disaient mari de toutes les Romaines,
Quand il était la femme des maris.245-a
Mais feuilletez un moment Suétone,
Et des Césars voyez comme il raisonne.
Sur ce registre ils étaient tous inscrits;
Ils servaient tous le beau dieu de Lampsaque.
Si le profane enfin ne vous suffit,
Par le sacré dirigeons notre attaque :
Ce bon .. que pensez-vous qu'il fît,
Pour que .. le couchât sur son lit?
Sentez-vous pas qu'il fut son Ganymède?
Pour renchérir sur tout ce qu'on a dit,
J'appellerai dom Sanchez à mon aide;
Lisez-moi bien l'article vingt et neuf
De son divin Traité du mariage;245-b
Vous y verrez que votre esprit tout neuf
Doit de ses mœurs faire l'apprentissage.
Tous les recteurs crient : Il a raison!
<246>Dans le moment, le grand diable sait comme,
Fondent sur moi ces brandons de Sodome;
Et pour avoir la paix dans la maison,
Nécessité fut de n'être sévère.
Je devins donc leur malheureux plastron,
Et lorsqu'en rut se sentait quelque père,
J'étais, hélas! sa monture ordinaire.
Ainsi voyez que mon cœur vertueux
Fut malgré lui plongé dans cet abîme.
Oui, le destin, dans ce monde orageux,
A la vertu nous force, comme au crime.
Je ne pus donc éviter mon destin;
Mais excédé du rôle féminin,
Je désertai de l'école d'Ignace,
Et me sauvai, un jour, de bon matin,
Chez un enfant de la grâce efficace;
Pour me venger de mes ribauds déçus,
Je m'enrôlai dessous Jansénius.
Autres tyrans, autres mœurs, autre école!
Saint Augustin, Pascal, Arnaud, Nicole,
Étaient cités sans fin, sans nul propos;
De ce parti c'étaient les grands héros.
L'enthousiasme, égarant leurs dévots,
Forgea dès lors pour eux nouveaux miracles :
Des fous perclus sautent sur des tombeaux;
Des gens sensés donnèrent ces spectacles.
On exorcise, on rêve des oracles,
Et tant on fit, que le sage Louis
Bien défendit miracles à Paris.246-20
Pour moi, voyant les fourbes de l'Église,
<247>Dévots fripons que l'intérêt divise,
Bien résolu de n'y point m'embarquer,
Et me sentant du goût pour le grand monde,
Dans cette route errante et vagabonde
J'osai pour moi du bien pronostiquer.
Me voilà donc libre des hypocrites,
Et dans Paris, parmi les Sybarites.
On voit ce peuple aimable, doux, charmant,
Qui chante et rit, sans cesse se remue,
Car dans Paris chacun a la berlue.
Comme l'on voit les flots de l'Océan
Amoncelés, lorsque la mer reflue,
Ainsi paraît l'impétueux torrent
D'un peuple entier, d'une immense cohue,
Qui sans raison court, et remplit la rue.
Paris connaît plus d'une déité,
La principale est la galanterie;
A ses côtés placez la nouveauté :
Ce sont, seigneur, les dieux de ma patrie.
Et, si voulez, à la communauté
Joignez encor les fureurs de la mode ;
Lors connaîtrez et culte, et lois, et code.
Qui règlent tout dans leur société.
A ces lois-là toujours je fus fidèle,
Des papillons je devins le modèle,
Et je parvins, et par soins, et par art,
A copier les airs d'un petit-maître. »
Lors dit Franquin : « Cela peut fort bien être;
Mais conte-moi, disgracié bâtard,
Vécus-tu donc à Paris du hasard? »
- « Non, dit Darget; j'y fis des vaudevilles
<248>Et des romans,248-a qu'on vend et qu'on vendra
A nos oisons, aux badauds imbéciles,
Tant qu'à Paris des nigauds on verra.
Je fis d'abord la Princesse sensible,
Et puis après les Bijoux indiscrets,
Et l'Acajou, livre inintelligible,
Et sur les Chats j'osai faire un essai,
Et de Gris-gris j'ébauchai quelques traits;
Le Paysan248-21 m'éleva jusqu'aux nues,
La Paysanne eut presque des statues.
A tout compter je n'aurais jamais fait.
Le bel esprit fournit mal la cuisine,
De Saint-Amand248-22 je craignis la famine;
L'invention, fille de l'intérêt,
Pour cette fois détourna ma ruine :
J'imaginai, et je fis des pantins. »
- « Quel mot barbare! en refrognant sa mine,
Cria Franquin. » - « Ce sont des mannequins,
Lui dit Darget; figure disloquée,
Ses membres sont découpés de carton;
Un fil les joint; dans l'air l'ébranle-t-on,
Son jeu la rend mobile et détraquée.
C'est le dernier effort de la raison
Que le pantin; il vous sert d'interprète,
Auprès du sexe il fait contes d'amour;
<249>Un cœur timide, une flamme discrète
Par le pantin parvient enfin au jour.
Pour honorer dans la ville et la cour
Ma découverte utile et fortunée,
Elle servit d'époque à cette année;
Évalués en bons deniers comptants,
De ces pantins j'eus cent vingt mille francs.
Lors je donnai dans le goût des voyages;
Rien ne peut tant former les jeunes gens.
De nos Français me lassaient les visages,
Je souhaitais voir d'autres habitants.
De mon pays je pars pour la Hollande;
Je vois partout faces de contrebande,
Des gens épais, et grossiers, et lourdauds.
Je ne crus pas être parmi des hommes,
Comme du moins nous autres Français sommes.
Figurez-vous un peuple d'escargots,
Toujours glacés, animaux aquatiques,
Tant que poissons pour le moins flegmatiques,
Qui dans une heure articulent deux mots.
Je me compose, et, d'un air doux et sage,
Je leur demande : Et de quoi vivez-vous?
- De nos troupeaux nous pressons le laitage,
Nous vendons tous du poivre, du fromage;
Comme marchands, sommes un peu filous.
L'Europe entière est notre tributaire,
Et nous savons la plumer et la traire. »
- « Comment, leur dis-je, êtes-vous gouvernés?
- Jadis foulés d'oppresseurs obstinés,
Dans notre sang noyant leur tyrannie,
<250>De leurs débris naquit la liberté;
Quittes des rois et de la monarchie,
Changeant un nom parmi nous redouté,
Trente tyrans ont occupé leur place.
Ainsi voyez, quoi que le Belge fasse,
Qu'il ne saurait jamais rompre ses fers;
Républicains, nous rampons sous des traîtres,
Au lieu d'un roi nous avons mille maîtres,
Quand on nous croit libres dans l'univers. »
« De ces bourgeois le plus cossu m'invite
Dans sa maison à lui rendre visite;
Moi, je l'accepte aussitôt poliment.
Une servante, en me voyant, me prend
Dessus son dos, me charge lourdement,
Et, se traînant, en faisant la tortue,
Me fait passer au travers de la rue;
Puis, sur le seuil de la porte venue,
Me décrottant impitoyablement,
D'un grand seau d'eau me lava brusquement.
Je leur demande : Eh! que prétend-on faire?
- C'est, me dit-on, grande civilité,
Aux étrangers toujours très-nécessaire,
Pour conserver chez nous la propreté.
Puis on me fait entrer dans la cuisine;
Depuis trente ans onc on n'y fit du feu.
Est-ce en ce lieu, leur dis-je, que l'on dîne? »
- « Que dites-vous? quel blasphème, grand Dieu!
Ces lieux ne sont point faits pour notre usage.
Nous n'habitons point ces appartements;
Nous nous fourrons, pour un plus grand ménage,
Dans notre cave, et sommes fort contents.
<251>La propreté, déesse de céans,
Occupe seule ici des logements. »
« Lors il me prit tout d'un coup un fou rire
Dont je ne pus empêcher les éclats;
Mon gros bourgeois, qui n'aimait la satire,
Dit sèchement : Les Français sont des fats.
Je lui réponds : Il vous plaît de le dire.
Dans le moment, mon homme, rempli d'ire,
Me fait jeter des escaliers en bas,
M'accompagnant de valets, de servantes
Jetant en l'air mille cris très-aigus,
Me convoyant d'injures élégantes,
Jusqu'au moment qu'ils ne me virent plus.
Abandonnons pour jamais cette terre,
Partons, disais-je, allons en Angleterre.
Mes compagnons, chacun de son côté,
Qui n'avaient pas de sort plus favorable,
Pour ce pays pleins d'animosité,
Me disaient tous : Allons plutôt au diable.
Un grand vaisseau, bâti pour le transport,
Le même jour nous charge sur son bord.
On lève l'ancre, et la mer blanchissante
Nous soulevait sur son onde écumante;
La voile s'enfle et nous fendons les flots,
Et le pilote, et différents signaux,
Font manœuvrer les bras des matelots.
Un vent de sud, d'un souffle favorable,
Nous fait raser la surface des eaux;
Les passagers boivent, rient à table,
Même aucun d'eux ne présageait des maux.
Mais tout à coup le vent tourne à la ronde,
<252>Le temps noircit, l'air siffle, le ciel gronde;
La nuit survient, et dans l'obscurité,
Notre vaisseau, tantôt précipité
Jusques au fond d'ouverture profonde,
Tantôt au ciel est relancé par l'onde.
La foudre tombe, et les brillants éclairs
Tout alentour embrasèrent les airs.
Soudain le mât, brisé par la tempête,
Tombe, en faisant un fracas furieux;
Le gouvernail heurté se fend en deux;
Aux matelots tremblants tourne la tête.
Enfin, voguant au gré des vents fougueux,
Nous entendons un bruit épouvantable;
Contre un rocher, écueil inévitable,
Notre vaisseau, de toutes parts troué,
Tout fracassé, lors était échoué;
Poussé des flots, il tombe en mille pièces.
Mes compagnons aux cieux font des promesses,
A mon secours j'appelle mon patron;
Et saint Etienne, écoutant ma prière,
Me fait trouver le bout d'un aviron.
Pour cette fois je te tire d'affaire,
Me dit le saint, car tu portes mon nom.
Dessus ce bois pars à califourchon;
Mon vieux manteau te servira de voile,
Mon auréole, ô Darget, mon mignon,
Pour te guider, te servira d'étoile,
Ton cul adroit sera ton gouvernail. »
- « Bon saint, lui dis-je, il n'est pas temps de rire;
Plus de secours, un peu moins de satire.
Je vogue ainsi dans ce bel attirail;
<253>Bientôt mon corps n'y pouvait plus suffire.
Tantôt couvert des vagues de la mer,
Et malgré moi buvant son sel amer,
Près de périr par un nouveau naufrage,
Je fus poussé sur le prochain rivage;
Et n'étant guère éloigné de ce bord,
Me recueillant par un dernier effort,
Je gagne enfin l'Angleterre à la nage.
Qu'on est heureux de retrouver le port! »
Franquin s'écrie : « Oui, c'eût été dommage
De toi, badaud, babillard indiscret!
De te noyer le saint aurait bien fait.
Poursuis toujours. » - « Mes compagnons périrent,
Jamais, ô ciel! mes yeux ne les revirent;
Peut-être ils sont mangés par les harengs;
Ils sont damnés, ils sont morts sans confesse.
Quant à mon saint, je lui tins ma promesse,
Et lui donnai deux cierges des plus grands.
Puis, pénétrant dans ces lieux pacifiques,
Je dis : Hélas! ces dogues britanniques
Habitent donc des lieux aussi charmants!
Mais sur ce bord pourquoi plus me morfondre?
Pour voir l'Anglais, il faut aller à Londre.
J'arrive enfin, et, dans le même jour,
Je vois la ville et parais à la cour.
L'Anglais mordant, trop fier en son domaine,
Nomme son roi le seigneur capitaine.
Il me reçut, et dit au général :
A ce Français montrez mon arsenal.
J'imaginais de le trouver plein d'armes;
Mais point du tout; au lieu d'objets d'alarmes,
<254>J'y vis d'abord des bottes, des chapeaux.
Lors dit mon guide : Objets remplis de charmes,
A Malplaquet vous porta mon héros;
Ces éperons, lorsqu'il menait sa garde,
L'ont bien servi dans les champs d'Oudenarde.
Mais tournez-vous, admirez donc ceci :
C'est du héros la redoutable épée,
Du sang français à Dettingen trempée;
Examinez, remarquez donc, voici .... »
« Je l'interromps, tirant la révérence :
Ah! j'ai trop vu le malheur de la France,
Dis-je d'un air qui plut au courtisan.
Puis, promptement de ce lieu me sauvant,
Je me rendis d'abord au parlement.
Singes y sont de la gente romaine,
Tous harangueurs, tous gens très-bien parlant,
Tant que croyez écouter Démosthène,
Mais pas toujours aussi bien agissant,
Et leur vertu ne flaire pas trop baume;
Très-libres sont dans leurs discours diffus,
Ni plus ni moins ils sont tous corrompus,
L'électorat gouverne le royaume.
Un simple Anglais est un original;
Plus singulière on trouve sa folie,
Et plus il est applaudi du total,
Qui ne se croit, sous le pouvoir royal,
Libre qu'autant qu'on souffre sa manie.
Ce peuple triste a certain spleen fatal;
On se pend là comme ailleurs on va boire,
Et chaque jour fournit pareille histoire.
Féroces sont encor toutes leurs mœurs;
<255>Pas ne voudraient qu'un seul de leurs auteurs
Ne fît jouer pièces sur leurs théâtres
Sans massacrer jusqu'aux moindres acteurs.
Mais plus encore ils sont acariâtres
Dans le combat de leurs gladiateurs;
A demi-nus je les ai vus combattre,
S'entre-frappant, et, de leurs bras nerveux,
Tantôt parant, et s'escrimant tous deux,
Se faire entre eux de mortelles blessures.
Épargnez-moi ces affreuses peintures;
Bien mieux il vaut, Franquin, vous raconter
Comme là-bas j'ai vu de grandes fêtes.
Tout Londre entier y vient presque assister,
Sur un grand pré l'on ne voit que des têtes.
De leurs haras les plus légers chevaux,
Pour disputer de vitesse à la course,
Par trois fois font le tour de cet enclos.
Pour qui croyez que le prix se débourse?
Ne pensez point que c'est pour le cheval
Qui l'a gagné, comme il vous doit paraître;
Mais par arrêt, par un procès-verbal,
On vous l'adjuge au fainéant de maître.
Je fus bientôt connu chez les Bretons;
On me mena dans les bonnes maisons,
Et quelquefois aussi dans les mauvaises,
Pour jeunes gens dangereuses fournaises.
Le tendre amour, qu'on ne peut amortir,
S'y voit suivi d'un triste repentir;
L'on paye cher ces moments de faiblesses.
Il est à Londre un grand nombre d'abbesses,
Entretenant des vestales de nom,
<256>Leur feu sacré bientôt laissant éteindre.
Un jour, Vesta les en punit, dit-on,
En leur faisant cuisant et mauvais don.
N'est que trop vrai; j'ai bien lieu de m'en plaindre,
Ce souvenir me fut cruel et long.
Ces fiers Anglais sont tous millionnaires;
Trésors y sont choses fort ordinaires;
Jusques aux gueux y regorgent de biens. »
- « Ah! s'écria Franquin, ah! quelle terre!
Pourquoi, mordieu! n'y fait-on pas la guerre?
Que mieux vaudrait qu'avec ces Prussiens,
Tristes héros, nation mal huppée,
Qui n'a de biens que la cape et l'épée!
Vaudrait bien mieux piller ces fiers Anglais.
Continuez » - « J'y fis une équipée.
Ils m'appelaient vilain chien de Français.
Bien enragé qu'un faquin, qu'un bélître
Sur mon chemin m'honorât de ce titre,
Je résolus enfin de m'en venger;
Et ne pouvant à cette race entière
Faire sentir mon audace guerrière,
Avec un seul je voulus m'égorger.
A Londre on voit cette gent malhonnête
Pour un schelling se battre à coups de tête;
Et quelquefois parmi tous ces butors
On peut trouver des ducs et des mylords.
Montrons, disais-je, en enfonçant mon feutre,
Que le Français n'est sot, couard, ni pleutre.
Je traversais justement la Cité;
L'on m'honora d'un compliment féroce.
Dans le moment je saute du carrosse;
<257>Et de l'ardeur me sentant emporté,
Sur l'agresseur je me rue avec force.
Bras contre bras, genoux contre genoux,
Je le terrasse et l'abats sous mes coups;
Son sang coulait, il tombe, et le colosse
Devant le front se fait une ample bosse;
Je crus avoir terminé ses destins.
Le peuple accourt, il crie, il bat des mains.
Craignant pour moi dans ce danger extrême,
Je résolus de partir la nuit même.
Sur un vaisseau j'arrive en Portugal;
J'y vis du Roi le palais monacal.
Ce prince obtint de Rome, par souplesse,
Le rare honneur d'oser chanter la messe;
L'esprit porté pour le pontifical,
Il n'a jamais, de mains voluptueuses,
Pu caresser que des religieuses.
Le cacaporc est le sceptre du Roi,
En Portugal lui seul donne la loi;
Rustres, bourgeois, prêtres, noble, ministre,
Tout sent les coups du cacaporc sinistre.
J'allai pour voir un grand couvent qu'il fit;
Des capucins il recherchait l'espèce,
Gens en effet qui méritent crédit,
Et pour lesquels il brûlait de tendresse.
De m'encloîtrer alors quelqu'un m'offrit;
Bien loin de moi je rejetai son offre.
Quoi! voulez-vous, disais-je, qu'on m'encoffre?
Bref, pour peupler ce grand couvent maudit,
Cent grenadiers par force l'on choisit,
<258>Qui, sous le froc nasillant à matines,
A contre-cœur frappent des disciplines.
Pour moi, craignant qu'un jour en ce moutier
Bien malgré moi l'on me fît nasiller,
Je prends le large, et, bien joyeux, je gagne
Dans quelques jours les limites d'Espagne.
Là je me crus à l'abri des malheurs;
Mais le destin contre lequel je lutte
Jusqu'à présent toujours me persécute.
Amour fatal, je sentis ton pouvoir :
Pour mes péchés, une beauté céleste,
Jeune nonnain, dans un couvent, modeste,
Un beau matin m'apparut au parloir;
Et je formai, hélas! le plan funeste
D'y retourner l'admirer, la revoir.
Par le moyen d'un ingénieux prêtre,
Qui (pardonnez) faisait le maquereau,
J'eus le moyen d'approcher, de connaître
Cette nonnain, ce miracle si beau.
Un rendez-vous me donne enfin la belle;
J'entre au couvent à l'aide d'une échelle,
Gardant encore, hélas! pour mon malheur,
Un souvenir de la cruelle Anglaise,
Mais souvenir cuisant et plein d'horreur,
Qui me mettait au plus mal à mon aise.
Jusqu'à quel point, traître et perfide amour,
Tu m'aveuglas dans ce funeste jour!
Raisonne-t-on, pense-t-on, quand on aime?
Les plus prudents en amour sont des fous,
Car la raison cède au pouvoir suprême
De cet instinct qui commande sur nous.
<259>De mon amour la fière tyrannie,
Et de mes sens la flatteuse manie,
Sur la raison mourante, à l'agonie,
L'ont emporté. J'ignore mon état,
Et commettant un affreux attentat,
Je suis aux pieds de ma religieuse :
Rendez enfin ma passion heureuse,
Rare beauté, divine et radieuse,
Osai-je dire, en lui baisant les mains.
Mais sa pudeur alarmait mes desseins,
Quand dans ses yeux je remarquai du trouble;
Son cœur n'était dissimulé ni double;
Je profitai de l'heure du berger.
Plus tendrement de nouveau je la presse :
Il n'est plus temps, belle, de reculer;
Ne fallait pas aussi loin s'engager,
Lui dis-je. Enfin, soit amour, ou faiblesse,
La pudeur passe, et l'aveugle tendresse
Va désormais de l'honneur se venger.
Imaginez l'ardeur voluptueuse
Dont je jouis de ma religieuse.
L'amour brûlant, un plaisir défendu,
Tout conspirait à soutenir ma flamme;
Au sanctuaire, à la fin, parvenu,
Cette nonnain se convertit en femme.
Mais, justes dieux! quels furent mes forfaits!
J'abhorre encor ma noire ingratitude.
Sœur Amidon, que ce léger prélude
Vous a coûté de douloureux regrets!
Je suis confus, seigneur, lorsque j'y pense;
Oui, de Vesta la sévère vengeance
<260>Devint le lot de ses divins attraits.
De cette nuit mon âme satisfaite
Avant le jour méditait la retraite;
Tendres adieux et doux embrassements!
Nous ajustons, comme font les amants,
Pour nous revoir, tous les arrangements.
Je pars enfin; mon échelle se casse,
Je dégringole avec un bruit affreux,
Et tout mon sang dans mes veines se glace.
Lors, du couvent sort un concours nombreux :
Quel est ce bruit? et qu'est-ce qui se passe?
Disaient les sœurs, en jetant de grands cris.
Comme il se fait la nuit un grand vacarme,
Que le berger de bâtons fourchus s'arme,
Quand le loup vient au milieu des brebis;
Colin s'éveille, et, sortant de son gîte,
Dessus le loup, qui promptement s'enfuit,
De grands cailloux fait voler au plus vite,
Avec son chien par le bois le poursuit,
Et, s'il l'atteint, sous ses coups le réduit :
Ainsi, couché, sans voix et sans haleine,
Dans un moment le couvent m'entoura;
Dieu sait comment alors m'apostropha.
Une nonnain disait : Ah! le voilà.
Quel sacrilége! ah! quelle âme vilaine!
Notre moutier il déshonorera. »
« Une autre sœur aigrement ajouta :
Mon doux Jésus, quelle est donc cette scène?
Je suis d'avis, mes sœurs, que mieux vaudra
Le transporter dans la prison prochaine,
Et ce matin on l'interrogera;
<261>Sinon, verrez que le monde, qui cause,
Malignement les sœurs accusera.
Tout le couvent approuva fort la chose,
Dans la prison voisine on m'emporta;
Mon âme était demi-morte, engourdie,
Mais ma douleur la rappelle à la vie.
Quand le couvent tout notre roman sut,
Lors pour nous deux bien pis encor ce fut;
Vous ne savez combien désespérée,
Combien terrible est la haine sacrée.
Chez l'Espagnol il est un tribunal,
Moitié prélat et moitié monacal,
Qui, s'acharnant sur le pauvre profane,
Jamais n'absout, et toujours le condamne,
Qui, par bonté, plein de l'amour de Dieu,
Vous fait brûler pour le bien de votre âme.
Tout à l'entour de ce funeste lieu,
De cent bûchers au ciel monte la flamme.
On me traduit devant ce jugement;
Un juge ayant plumes de chat-huant
Me dégoisa ce discours gravement :
Ne crains-tu point, scélérat, impudent,
Du juste ciel la colère jalouse?
De Jésus-Christ tu violas l'épouse,
Et, non content de l'avoir fait . .,
A la nonnain donnas le mal immonde.
Ah! sacrilége, as-tu donc prétendu,
Dans ta fureur à nulle autre seconde,
D'empoisonner le benoît paradis?
Pourquoi, félon, avec cérémonie,
Pour effrayer les mécréants esprits,
<262>Ta peau demain sera dûment rôtie.
Il dit; d'abord les sbires en prison
Me font rentrer après ce beau sermon.
Bien mal me prit de ma triste aventure;
J'ai de tout temps fort haï la brûlure,
Et ne voyant nul besoin de mourir,
A mon patron me fallut recourir.
Ah! bon patron, lui dis-je, ah! saint Étienne,
Me verras-tu cruellement périr?
Si chez l'Anglais j'abordai, non sans peine,
Si ton pouvoir daigna me secourir,
Si ton autel fut orné de mes cierges,
Dans ce péril ne m'abandonne pas.
Le paradis est tout rempli de vierges,
Nous n'en voyons presque point ici-bas;
J'en ai voulu, pour ma part, tâter d'une,
Et ce phénix, difficile à trouver,
Dans ce couvent, lieu de mon infortune,
Heureusement s'est laissé déterrer.
Ah! mon bon saint, faut-il tant de tapage,
Pour plus ou moins que soit un pucelage?
J'ai même ouï des gens de grand renom,
Au pucelage ayant quelque scrupule,
Qui, le traitant de fou, de ridicule,
Ne le croyaient qu'un être de raison.
Si cependant j'en eus un en partage,
Ne m'enviez, bon saint, cet avantage;
Je n'ai jamais cueilli que cette fleur;
Si m'en croyez, détournez mon malheur.
Je me prosterne, et les cieux m'exaucèrent,
De la prison les fondements tremblèrent;
<263>Tout radieux, le saint, fendant le mur,
Me dit : Mon fils, je lis dans le futur.
Oui, les destins qui sur tes jours veillèrent
Bien des revers encor te préparèrent,
Et des honneurs aussi te destinèrent.
Un jour, ton nom, dans un poëme obscur,
Sera chanté dans le goût marotique.
Méprise donc ce sénat fanatique;
De mon appui sois dès à présent sûr,
Si tu promets porter à mes chapelles
Aux Quatre-Temps des offrandes nouvelles.
Je promis tout; le marché s'accomplit.
Il n'est fripon, il n'est âme si noire,
Qui droit au ciel n'aille sans purgatoire,
Pourvu qu'un saint y trouve son profit. »
- « Ah! c'est bien fait; il faut que chacun vive,
Je veux qu'un saint reçoive un don gratuit;
La sainteté, sans profit, est chétive, »
Cria Franquin. Et Darget poursuivit :
« De tous mes fers le bon saint me défit,
Et le geôlier, dans cette alternative,
Profondément à l'instant s'endormit.
Le saint m'endosse un habit de jésuite;
Le verrou tourne, et la porte s'ouvrit :
Va, cours, dit-il, précipite ta fuite,
Par les cheveux saisis l'occasion.
Puis me donna sa bénédiction.
De me sauver, cher Franquin, j'eus grand' hâte;
Fou qui deux fois de ces chats-huants tâte.
Ainsi qu'un cerf que des chasseurs adroits
Ont entouré dans le fond des forêts,
<264>Quand de sa mort il voit quelque présage,
Il part, s'élance, excitant son courage,
En bondissant, il franchit les filets :
De même alors je sortis de l'Espagne,
Tout étourdi de ce terrible choc,
Toujours pleurant ma funeste campagne,
Toujours trottant sur la haire et le froc.
J'arrive enfin d'Espagne en Italie.
Bien différent est ce pays latin
De ce que fut l'ancienne Ausonie :
Profond savoir, beaux-arts, esprit humain,
Tout y paraît pencher vers le déclin.
L'Italien, entouré de ruines,
Enorgueilli d'illustres origines,
Se croit encore un citoyen romain;
Et les prélats, abbés, moines et prêtres
Y vivent tous sur la gloire et le nom
De ces héros, leurs illustres ancêtres.
Parlez un jour à quelque Pantalon,
Il citera le temps de Cicéron,
Celui d'Auguste, et Côme de Florence,
Qui des beaux-arts hâta la renaissance;
Mais de citer ces temps modernes, non.
Les descendants d'Emile et de Caton,
Se dévouant au dieu de l'harmonie,
Se font couper les sources de la vie,
Pour fredonner des airs de violon.
Tout barbouillés et de rouge, et de plâtre,
Ces bons chapons sont héros de théâtre,
La nymphe Écho les adopta pour fils;
Tant les Romains se sont abâtardis!
<265>Mais je l'avoue, oui, j'ai trouvé dans Rome
Un souverain, un pontife, grand homme,
Puissant génie, esprit dont la beauté
Peut égaler l'auguste antiquité;
Prélat sans fourbe et prince sans faiblesse,
Il recueillit un encens mérité,
Et de l'Église, et même du Permesse.
J'aurais voulu plus longtemps l'admirer;
La guerre, alors venant à s'allumer,
Me rappela bientôt dans ma patrie.
Je reparus chez mes Sybaritains,
Qui, par faveur ou par bizarrerie,
Récompensant l'inventeur des pantins,
Chez Valori fixèrent mes destins.
Depuis, seigneur, vous savez l'aventure
Qui, par malheur, pendant la nuit obscure,
M'a fait tomber, hélas! entre vos mains. »
- « Pour cet hélas, n'était pas nécessaire,
Répond Franquin : un jour prisonnier,
L'autre vainqueur, c'est un sort ordinaire,
Depuis longtemps, pour chaque guerrier.
Ne savez pas comme François premier
Par Charles-Quint fut happé dans la guerre,
Et que Tallard, dompté par les exploits
De Marlborough, languit en Angleterre?
N'avez pas vu ce grand faiseur de rois,
Ce maréchal à trente secrétaires,265-a
Tout à la fois faisant cinquante affaires,
Pris à Hanovre et réduit aux abois?265-a
Je pourrais bien citer en compagnie
<266>Un certain roi, Don Quichotte du Nord,
Que le grand Turc retint, sans grand effort,
Son prisonnier dans la Bessarabie. »
- « Mais, cher Franquin, je ne suis né soldat,
Lui dit Darget; que me fait votre guerre,
Et ces fléaux qui ravagent la terre?
Je n'aspirai point au généralat. »
- « Allons, suis-moi, le vin console l'homme,
Lui dit Franquin; tu verras bientôt comme
L'on fait chez nous pour noyer le chagrin. »
Ami lecteur, laissons boire Franquin.
Pendant le temps que ma muse respire,
Et d'Hippocrène un peu s'abreuvera,
Ah! puisses-tu trouver sous ton empire
Le beau bijou que Darget posséda!

<267>

CHANT V.

Je ne veux point être un bavard en vers,
Je hais beaucoup tout langage inutile;
Un mot bien dit vaut souvent mieux que mille.
Apprenez donc, sans grands propos diserts,
Que dans ces lieux plus d'un saint personnage,
Se tracassant, faisait remue-ménage,
Embrouillait tout sur ce faible univers.
Un jour, le roi de la huaille noire,
Prince cornu, souverain des enfers,
Ayant reçu la gazette ou l'histoire
De ce qu'au monde alors il se passait,
Comme à son gré chaque saint gouvernait,
Le vieux Satan sentit piquer sa gloire,
Et de fureur le diable en écuma.
Il va d'abord dessous le mont Etna;
C'est de l'enfer le soupirail difforme.
Il y passa soudain sa tête énorme;
Le mont prudent de flammes l'entoura,
D'un tourbillon épais de sa fumée
Son chef hideux entier enveloppa.
Le diable y vit voler la Renommée,
Et le malin doucement l'appela.
<268>Dans un moment la jaseuse conta
Plus que l'esprit ne prit plaisir d'apprendre;
Et s'aigrissant de ce qu'il vient d'entendre,
Dans les enfers vite il se replongea.
Bientôt ses pairs en un lieu rassembla;
Chaque démon son malheur déplora;
En enrageant on les entendait dire :
« D'éternité, la superstition,
Qui nous créa, nous a donné l'empire,
Dans l'univers, sur chaque nation.
Depuis un temps elle veut nous réduire
Dans ce séjour d'abomination;
Nous n'y voyons que des âmes maudites,
De qui les cris nous transpercent les os;
De ces douillets, de ces vrais Sybarites,
Nous sommes donc les puérils bourreaux.
L'on dit déjà qu'une secte incrédule
De ces cachots ose même douter,
Que les démons sont mis en ridicule,
Que tout à fait on prétend les rayer.
Ah! vengeons-nous, et montrons à la terre
Que si le ciel est armé du tonnerre,
Que si l'Olympe est tout peuplé de saints,
Dedans l'enfer se trouve plus d'un diable
Qui, se mêlant des arrêts des destins,
Peut-être en peu se rendra formidable. »
Ainsi parlaient tous ces esprits malins;
Mais Lucifer leur imposa silence.
Chacun se tut, et l'infernale engeance
Baisa l'ergot de messire Satan.
Il assembla d'abord son grand divan;
<269>De vieux démons c'était la gent inique,
Rusés matois dans leur art diabolique,
Qui, de l'enfer sachant la politique,
Avaient au crime endurci leur tyran.
A l'entour d'eux, des monstres effroyables,
Au noir brasier toujours invulnérables,
Y paraissaient les fiers exécuteurs
De leurs complots, de leurs sombres fureurs.
On y voyait l'Avarice sordide,
Qui recélait des trésors sans desseins;
La Cruauté, le sanglant Homicide,
Faisant brandir un poignard dans ses mains;
Le fol Orgueil, qui sottement s'admire,
En se parant dans ses plumes de paon;
La pâle Envie, aiguisant la satire;
Contre la Gloire elle trame et conspire,
Elle hait tout ce qu'il y a de grand,
Bonheur d'autrui compose son martyre,
C'est des humains le plus cruel tyran;
Le noir Soupçon, guidant la Jalousie,
Et les Regrets, et l'affreux Désespoir;
La Trahison, l'infâme Calomnie,
Qui de Protée emprunta le savoir;
L'Ambition, massacrant ses victimes,
Et la Discorde, entr'ouvrant des abîmes;
L'Induction, offrant un monceau d'or,
La Politique, étalant ses maximes,
Et l'Intérêt, père de tous les crimes;
La Nuit, l'Horreur, les Douleurs et la Mort.
Ces monstres sont plongés dans les désordres;
Par un seul mot, le maître des enfers
<270>Les fait partir, exécuter ses ordres,
Et leur fureur trouble tout l'univers.
Tout le sénat de cette race immonde
Dressa son plan pour gouverner le monde;
Même Umbriel,270-a Astaroth, Belzébuth,
Tenaient propos que très-bien on reçut.
Chaque démon de son esprit fit montre;
On balança le pour avec le contre.
Le grand conseil à la fin résolut
Qu'on emploierait la Discorde inhumaine
Pour agiter là-haut l'espèce humaine,
Et la Discorde aussitôt s'approcha.
Le vieux Satan sa fille endoctrina,
De ses atours sitôt la décora.
Il ajusta dessus sa tête impure
D'affreux serpents la hideuse coiffure;
Il la couvrit d'un manteau teint de sang,
Arma son bras de son tison brûlant,
Mit dans ses yeux, de sa fournaise ardente,
De gros charbons la flamme étincelante;
Dedans sa gueule il versa ses poisons;
Il la doua d'horreur et d'épouvante,
D'acharnement, de haine violente,
De ses fureurs et de mortels frissons.
Sous cet auspice aux humains redoutable,
L'enfer vomit ce monstre abominable;
Dans l'univers vint la fille du diable,
En secouant dans ses mains ses tisons.
Alors Satan avec tous ses démons
<271>S'en retourna; l'un dans de grands chaudrons
Faisait bouillir maudits à cœurs de roche,
L'autre, en un coin, en rôtit à la broche;
Là, par les pieds pendent des moribonds,
Ici, plus loin, à d'infernaux brandons,
On en voyait brûler comme une torche;
Là, tout vivants, des damnés l'on écorche;
Là, Belzébuth, au supplice animé,
Battait maudits de son fouet enflammé;
Et sans leurs corps, ces singulières âmes
Souffraient pourtant des tourments corporels,
Comme bois sec se brûlaient dans les flammes,
Et gémissaient sous leurs bourreaux cruels.
Mais la Discorde ardente et sanguinaire,
Qui parcourait notre triste hémisphère,
Sur son chemin, de son souffle empesté,
Otait aux champs leur heureuse abondance,
Dedans son germe étouffait la semence,
Dans les troupeaux met la mortalité.
Ce monstre semble ébranler la nature;
Le firmament pâlit de cette injure.
Ce monstre affreux, en courant le pays,
Arrive enfin auprès du gros marquis.
Tout doucement la diabolique fée
S'en approcha, pour lui donner conseil;
Le gros marquis, dans les bras de Morphée,
Dormait encor d'un tranquille sommeil.
Le monstre alors dessus son chef s'élève;
Il apparaît sous la forme d'un rêve :
« Souffrirez-vous, Valori, de sang-froid,
Que de chez vous on enlève Darget?
<272>Qu'un vil pandour, hardi, plein d'insolence,
Outrage et vous, et Darget, et la France?
Aux Prussiens, sans nul autre détour,
Courez, volez, et demandez vengeance;
Que tous leurs bras vous donnent leurs secours.
Que Darget soit au ciel ou chez le diable.
Faites ici vacarme épouvantable,
Et conservez l'inaltérable espoir
Qu'on saura bien vous le faire ravoir. »
Le monstre dit; et de sa chevelure
Il arracha l'un des plus grands serpents,
Le fait glisser sans bruit, sans sifflement,
Sur Valori; bientôt la bête impure,
En repliant ses anneaux tortueux,
S'entortillant à l'entour de sa proie,
Remplit son cœur de ses poisons affreux.
Le monstre en sent une cruelle joie,
Et satisfait de ses heureux succès,
Il s'envola pour de nouveaux projets.
Tout en sueur, le marquis se réveille,
Et le poison excitant ses fureurs,
L'emportement l'oppresse et le conseille;
Il ne respire et que sang, et qu'horreurs.
Comme en Afrique une lionne en rage,
Ayant perdu ses jeunes lionceaux,
De hurlements fait retentir la plage,
Et, déchirant les nègres par lambeaux,
Sur son chemin fait un affreux carnage :
Tel arriva, piqué de son outrage,
Plus furieux encore en ce moment,
Le gros marquis auprès du chef du camp.
<273>« Ah! sacredieu! serai-je donc en butte,
S'écria-t-il, aux fiers Autrichiens?
Dans votre camp Charlot me persécute,
Il m'enleva, tout au milieu des miens,
Le bon Darget. Hélas! lorsque j'y pense,
Je vais mourir de cette affreuse offense;
Mais c'est sur vous que retombe l'affront :
Ne suis-je pas votre palladion?
O Prussiens! lavez l'opprobre infâme
Qu'à Jaromircz un Franquin vous a fait;
Que l'on reprenne, ou bien que l'on réclame,
Chez l'ennemi, mon pauvre ami Darget;
Mais non, plutôt allez combattre en foule,
Et que le sang de ces perfides coule. »
Le gros marquis très-fort se démenait,
Frappant son front, contre Franquin jurait :
« De le saisir si Dieu me fait la grâce,
Son mufle affreux je lui déchirerai,
Et ses deux yeux certes j'arracherai. »
On lui répond : « Que voulez-vous qu'on fasse?
Pour terminer, marquis, vos embarras,
Tous nos héros vous offriront leurs bras. »
Mais le marquis, s'échauffant de colère,
Allait au camp embrouiller son affaire,
Lorsqu'au conseil, où la chose se sut,
Tout d'une voix la Prusse résolut
De satisfaire au plus vite à la plainte
Qu'en blasphémant avait fait le marquis,
Et d'obliger, par douceur ou contrainte,
Et le Franquin, et tous les ennemis,
A renvoyer Darget sans nulle atteinte.
<274>Les plus prudents et les plus avisés
Opinent tous à faire une ambassade.
On choisit donc héros fins et rusés,
Ce qu'on avait au camp de moins maussade,
Longs harangueurs, toujours argumentant,
D'un air flatteur eux-mêmes s'écoutant.
On griffonna une créance honnête,
On en chargea les trois ambassadeurs;
Camas274-a parut tout brillant à leur tête.
Il part, comblé de ces nouveaux honneurs,
En se flattant qu'un très-court intervalle
Lui suffirait pour ramener au camp,
Comme il croyait du moins selon son plan,
Le bon Darget en pompe triomphale.
Mais la Discorde, observant ses desseins,
Et de fureur se sentant animée,
Vole soudain par devers l'autre armée.
Proche du camp, dans un bosquet, dehors,
Elle quitta d'abord ses noires ailes,
Se dépouillant de son difforme corps,
De ses tisons, de ses serpents fidèles,
Et de ses yeux cruels, étincelants,
Et de ses bras encor tout dégouttants
De cent forfaits et de cent parricides.
Dessus son chef croissent des cheveux blancs,
Et sillonnant son visage de rides,
Elle prend l'air et le ton de Wallis;
Devant Charlot aussitôt se présente,
<275>Qui, bagnaudant, s'amusait dans sa tente
A chatouiller de jeunes étourdis.
« Prince, dit-elle, est-ce là notre attente?
Quand vos projets prennent un train de chien,
Que vous voyez tromper votre espérance,
Dans des sujets de pareille importance
Vous badinez, et ne pensez à rien?
On n'a point pris de l'armée ennemie
Le talisman, le grand palladion.
Votre valeur serait-elle endormie?
N'aimez-vous plus la réputation?
Des ennemis bientôt verrez l'audace,
Ces insolents vous viendront face à face
Redemander votre captif Darget;
Si leur donnez, de Charlot c'en est fait.
Ranimez donc l'ardeur ambitieuse
Qui vous porta naguère aux grands exploits;
De vous dépend la destinée heureuse
Et de l'Autriche, et des plus puissants rois. »
Le monstre dit; par une sourde flamme,
Du bon Charlot il sut embraser l'âme.
Ce prince était confus de ses erreurs;
Comme l'on voit des enfants, à l'école,
En s'effrayant, quitter un jeu frivole
Quand tout à coup paraissent leurs recteurs,
En pâlissant, baisser les yeux sur terre,
Tout interdits, rester sans mouvement :
Ainsi Charlot, ce grand foudre de guerre,
Resta muet dans le premier moment.
Mais dans son cœur tout animé de rage
<276>Il s'éleva des sentiments confus
D'ambition, d'orgueil et de courage.
« Les ennemis, dit-il, seront battus.
Daignez, Wallis, encor me reconnaître;
Je suis, soit dit sans vouloir me louer,
Le bouclier, l'appui de votre maître;
Des Prussiens je saurai me jouer. »
Le monstre alors, sans se faire connaître,
Et sans tirer Charlot de son abus,
En tapinois retourna chez le diable,
Content d'avoir, par des coups imprévus,
Mis dans ces camps un désordre effroyable.
En même temps on entend des clameurs;
Et Rosière, arrivant hors d'haleine,
Annonce au prince, articulant à peine,
Des Prussiens les trois ambassadeurs.
Tu sais, lecteur, ce qu'ils avaient à faire,
Qu'ils vont tout haut redemander Darget.
Me garderai, comme le bon Homère,
De répéter ce que déjà l'on sait;
Bref, le Lorrain les refusa tout net.
Ce jour, Camas en fut pour sa harangue;
Après avoir bien exercé sa langue,
Il se trouva que rien il n'avait fait.
Le bon Charlot, qu'animait la Discorde,
Brutalement répond aux Prussiens;
Et, sans toucher Darget ni cette corde,
Les appelait des hérétiques chiens.
Camas à peine achève son exorde,
Qu'on l'interrompt, et lui dit poliment,
<277>A mots couverts, mais pourtant clairement,
D'une façon qu'un sot l'eût pu comprendre,
Que mieux fera dans son camp de se rendre
Que de jaser tant inutilement.
Camas leur dit sur un ton ironique :
« Vous n'aimez point, héros, la rhétorique?
Pour vous punir, jamais vous n'entendrez
Un beau discours que je vous préparais,
Si bien tourné, d'un goût académique,
Semé d'éclairs, obscur, néologique. »
Ni plus ni moins, le compliment finit,
Et vers son camp l'ambassade partit.
Chez le Lorrain entra Népomucène,
Sans compliment, tout familièrement.
Point ne parla comme ce Démosthène,
Mais il lui dit tout à fait uniment :
« Si ne voulez vous en mêler vous-même,
Le Prussien Franquini combattra,
Et son Darget du camp enlèvera;
De cet affront craignez la honte extrême.
Rappelez donc tout au plutôt Franquin;
Qu'avec Darget il vienne avant demain. »
Le bon Charlot à l'instant expédie,
Sur un cheval fringant de Circassie,
Un courrier des plus expéditifs,
Qui part d'abord sans grands préparatifs.
Si bien courut, tant fit de diligence,
Qu'en moins de temps que ces vers-ci j'agence,
Il fut déjà dans le camp de Franquin.
On l'y reçut froidement, d'un air gauche,
<278>Car les pandours, ce jour, faisaient débauche.
Hors des grands brocs coulaient des flots de vin;
Chacun avait près de lui sa catin.
Au maudit son d'un violon qui jure,
Et durement criait dessous l'archet,
Le petit camp, ayant bien bu, dansait,
Même au grand jour l'impudique aventure
Cyniquement devant chacun faisait,
A rafle, aux dés, de bons ducats jouait,
Et du pillage et de mainte capture
En moins de rien tout le profit perdait.
Fallut partir; Franquin, quoique à regret,
De ces plaisirs interrompant les charmes,
Leur dit : « Amis, que l'on prenne les armes;
Chez le Lorrain nous mènerons Darget. »
Tout aussitôt, sur leurs pourpoints cinabres,
Tous les pandours ceignent leurs courbes sabres;
Dessus l'épaule ils roulent leurs manteaux,
De longs fusils s'étant chargé le dos;
Et puis, dessus plus de cent Charlots,
Par les goujats tout le butin se charge;
De gros ballots pesants on les surcharge.
Les essieux gémissent sous le poids,
Et dix grands bœufs, tous animaux de choix,
Traînent à peine au travers de l'ordure,
D'un pas tardif, la tremblante voiture.
On part ainsi, prenant quelques détours,
Au preux Lacy l'on donne l'avant-garde;
Et par les flancs détachant des pandours,
De tous côtés l'on guette et l'on regarde.
<279>Au milieu d'eux Darget est à cheval;
Par le chemin Franquin lui sert de guide,
A ses côtés le mène par la bride.
Le bon Darget se trouvait assez mal,
Allant toujours, sautillant sur la selle,
Sous le pouvoir d'un conducteur brutal;
Ni plus ni moins, piquait sa haridelle.
Le fort Dumont,279-a actif et vigilant,
Dans un gros bois dressant une embuscade,
Au dur Franquin, détrousseur arrogant,
Y préparait grêle de mousquetade.
Lors, tout à coup il lui donne l'aubade,
Le plomb mortel fend les airs en sifflant;
En assaillant, on charge; on se défend.
L'un tombe à terre, et rend l'âme en hurlant,
L'autre, blessé, s'enfuit hors de lui-même,
Un autre meurt, sur l'herbe se roulant.
Le dur Franquin, ayant l'esprit présent,
Remarqua bien, dans ce péril extrême,
Que l'ennemi n'en voulait qu'à Darget.
Il fuit Dumont, il l'esquive, il l'évite,
De ses pandours il assemble l'élite;
Par un vallon, ce partisan adroit
Mène Darget, et, fuyant au plus vite,
Devant Dumont dans l'instant disparaît.
Le bon badaud, disant son patenôtre,
Bien malgré lui fuyait, en suivant l'autre.
Le dur Franquin, content d'être échappé
Au fort Dumont, qui l'avait attrapé,
<280>Dit à Darget : « Ne faites l'imbécile,
Point ne pleurez, soyez content, tranquille;
Aucun malheur ne vous arrivera,
Et le Lorrain bien vous accueillera.
Pour dissiper votre fâcheux déboire,
Chemin faisant, vous ferai mon histoire.
Je suis le fils cadet du Juif errant;
Mon père était savant dans le grimoire,
Et des démons il fut l'ami prudent.
Je suis natif d'un bourg en Dalmatie;
De là, mon père, avec lui me menant,
Me transporta, jeune encore, en Russie.
Bien me gardai de débuter en juif;
Je pris le nom de quelque baronnie,
Je m'affichai, je fis le décisif,
Et des barons j'affectai la manie.
A mes propos facilement on crut,
Et d'un emploi bientôt on me pourvut;
Je remplissais la cour de la Czarine,
Et n'étais point haï de Catherine.
Du temps passé, tout ce peuple brutal
Sentait à peine un instinct bestial;
Stupidement rampant dans sa patrie,
En respectait l'antique barbarie.
Pierre le Grand, sachant les redresser,
Sur les deux pieds leur apprit à marcher;
Il fit couper les barbes à ces bêtes,
A la française habilla ses boyards,
Les enrôla dessous ses étendards.
Mais il ne put jamais changer leurs têtes :
<281>Jusqu'à présent très-mal apprivoisés,
A gouverner ils sont très-malaisés.
C'est chez ces gens que le dieu du mystère
Paraît avoir fondé son séminaire.
Pour s'expliquer, nul signe ne fait-on,
Rien ne s'y dit, et chacun sait s'y taire;
On n'y marcha jamais sur le talon;
Les courtisans, ô race sans pareille!
Jusqu'à bonjour se disent à l'oreille.
Mais cependant ce que j'ai vu de bon,
C'est qu'on y boit de la bonne façon,
Qu'également la roture commune,
Comme un boyard, parvient à la fortune.
Si mon destin, dans un moment fatal,
Ne m'eût planté, j'y serais général.
Une princesse, enfin, que je ne nomme,
S'amouracha de Franquin, Dieu sait comme.
Je fis le fier, quoique très-bien venu,
Appréhendant de me rendre connu;
Car bien savez, je pense, l'étiquette
De nos rabbins, et comme l'on nous traite
D'une façon que, de nuit ou de jour,
Le pauvre juif se décèle en amour.
Ce seul penser m'empêcha de me rendre;
Et ma princesse, en entrant en fureur,
Dès ce moment résolut, sans m'entendre,
De préparer ou hâter mon malheur.
Alors mourut la bonne Catherine,
Tout augmenta les troubles intestins;
L'État dès lors pencha vers sa ruine,
<282>Trois fois je vis changer les souverains.
Pour mon malheur, la nouvelle czarine,
L'œil enflammé, me fit mauvaise mine;
Le lendemain un courtisan discret,
A son discours clouant une préface,
Me dit : Franquin, voyez la belle grâce
Que la Czarine en ce moment vous fait :
Vous devenez son bouffon par brevet.
A ce discours, perdant la tramontane,
Sur le boyard je fonds avec ma canne;
Et le brevet en pièces déchirant,
Je lui jetai les morceaux au visage,
Hors du logis le conduisant battant,
Tant qu'en rumeur en vint le voisinage.
L'on me saisit, et me met en prison,
Des coups de knout je reçus à foison;
Puis l'on me dit, je crois par moquerie :
De la Czarine admire la bonté;
L'on t'enverra tout droit en Sibérie,
Où Sa clémente et douce Majesté
Te permet même, ô grâces sans pareilles!
D'oser porter nez, langue, et deux oreilles.
Ce compliment m'animait de fureur,
Mais il fallut retenir mon grand cœur.
L'un, m'approchant, me dit : C'est bagatelle
D'aller là-bas; ce n'est chose nouvelle.
Tu n'es, Franquin, du nombre des premiers,
Ni ne seras sûrement des derniers.
Vois-tu ces gens que Pétersbourg fait naître?
Pendant un temps ils restent parmi nous;
<283>Mais tôt ou tard on les voit disparaître,
En Sibérie ils s'engloutissent tous.
Ce Menschikoff, favori de son maître,
Lors de sa chute eut des destins moins doux;
Un Ostermann languit en Sibérie,
Le grand Münnich y finira sa vie,
Le fier Biron ne reverra le jour,
Y périra bientôt la jeune cour;
Et tu pourras, Franquin, trouver étrange
Que dans ce nombre avec eux l'on te range!
Enfin, Darget, dans ce pressant danger,
Le seul parti qui me restait à prendre
Fut de souffrir d'un cœur ferme, et d'attendre
Ce que pourtant je n'aurais pu changer.
L'on m'emmena vers ces froides contrées
Où les glaçons des mers hyperborées,
Même en été, dans les jours les plus clairs,
Vous font trouver des éternels hivers.
Le doux soleil en vain prétend y luire,
C'est dans ces lieux que la nature expire;
Tout semble mort, tout semble inanimé.
La terre en vain s'efforce de produire,
Et si l'on voit quelque grain clair-semé,
Le froid d'abord se presse à le détruire.
On trouve là vingt sortes d'exilés.
Les uns, courant les bois et les collines,
Pour se nourrir prennent des zibelines,
Et très-souvent par le froid sont gelés;
D'autres, qu'on fait travailler dans les mines,
Sont par la mort promptement enlevés;
<284>D'autres encor, pour des péchés atroces,
Sont exposés dans le fond des déserts;
Ils sont mangés par les bêtes féroces,
Ou bien la faim termine leurs revers.
Pour moi, je fus, sans en savoir la cause,
A deux cents milles au delà d'Archangel,
Mis dans le fond d'un cul de basse-fosse,
Sans plus revoir le vif éclat du ciel.
J'y fus un an presque tout imbécile,
Enseveli dans cet exil servile.
Mais de mon père alors me souvenant,
Et certains mots barbares du grimoire,
Évaporés presque de ma mémoire,
Fort à propos alors me rappelant,
Je hasardai, par un effort terrible,
D'escalader ce mur inaccessible.
Soit que mon bras me sauvât de prison,
Soit que ce fût l'ouvrage du démon,
Par un bonheur bien extraordinaire,
Pour cette fois je me tirai d'affaire.
Je courus vite à travers des forêts,
Tantôt barré par d'immenses marais,
Tantôt suivant une route arbitraire,
Et combattant pendant tout le chemin
Contre le froid, la longueur du voyage,
L'épuisement, l'ardente soif, la faim,
Le désespoir, et le climat sauvage.
En opposant un cœur ferme au destin,
Des loups, des ours je fis un grand carnage,
Passant toujours à travers les déserts.
<285>Un jour, je crus voir terminer ma vie :
Des hurlements font retentir les airs;
En même temps, trente loups en furie
De tous côtés viennent pour m'attaquer.
Sur un sapin j'allai vite grimper,
Et de là-haut les accablant de branches,
A deux vieux loups je démis les deux hanches;
De gros cailloux que j'avais conservés,
A d'autres loups les yeux furent crevés :
Hors de combat j'en mis une douzaine.
Pressé de faim, j'étais en grande peine,
Quand un lion, venant par des détours,
Dessus les loups qui m'entouraient se jette.
L'extrémité me fournit des secours;
Je taille un bois comme une baïonnette,
Puis du sapin je descendis à bas,
Et m'élançant au milieu des combats,
Dans peu, les loups mordirent la poussière.
Je crus alors, ainsi que Godefroi,285-a
De m'attacher ce lion débonnaire,
De m'en servir comme d'auxiliaire;
Mais promptement il regagna les bois.
Je vis enfin, après plus de trois mois,
Ayant couru des fortunes bizarres,
Des bestiaux; non loin de là des toits :
C'étaient des lieux qu'habitent des Tartares.
Je vins chez l'un, qui, rempli de bonté,
<286>Fidèle aux lois de l'hospitalité,
Me recueillit au sein de sa famille;
Il m'amena sa femme avec sa fille :
Choisis, dit-il, en toute liberté.
De ses troupeaux il prend une génisse,
A ses faux dieux il fait un sacrifice;
Il me servit les morceaux délicats,
Et me fit boire un verre d'eau-de-vie.
Ma paupière était appesantie,
Mon hôte vit à quel point j'étais las.
Ces bonnes gens m'aimaient à la folie;
Au vestibule aussitôt ils se rendent,
Sur le plancher des peaux de bœuf s'étendent;
L'hôte me prend, il me mena coucher.
A mes côtés vint se mettre sa fille;
Elle était jeune, elle sut me toucher,
J'étais friand, la belle était gentille;
Si bien pour nous se passa cette nuit,
Que nos plaisirs le jour interrompit.
Dès le moment que l'aube du jour perce,
Chez mon Tartare allant de bon matin,
Je lui demande où passe le chemin
Qui de chez lui mène tout droit en Perse.
Il me répond : Généreux étranger,
Si votre plan ne voulez pas changer,
Sans vous tenir un trop long dialogue,
Je vais d'abord vous seller ce grand dogue.
Sur ce chemin il me porta cent fois;
C'est, croyez-moi, la fleur des palefrois.
Nommez à Froux simplement à l'oreille
<287>Quel est l'endroit où vous voulez aller,
Montez dessus, il vous mène à merveille,
N'avez de rien besoin de vous mêler.
Il dit; d'abord, ce bon hôte j'embrasse,
Et puis, prenant un sabre, une besace,
Sur le grand Froux je monte hardiment,
Et pour Agra je partis promptement.
Chemin faisant, aux limites de Perse,
Je rencontrai, monté sur un grand chien,
Un vieux Tartare allant faire commerce,
Qui me parut porter beaucoup de bien.
Sur lui je gagne adroitement la gauche,
En badinant, la tête je lui fauche.
Assez longtemps il se soutint encor,
Bien asserré, tout droit, dessus la selle;
Mais remarquant enfin qu'il était mort,
Sa chute alors n'en devint que plus belle.
Je me prépare à prendre son argent;
Mais son grand chien, bien s'en apercevant,
Se fâche, aboie, et me saute au visage.
Froux me défend; ce chien, plein de courage,
Sur l'autre chien s'élance promptement.
Je le soutiens, et tirant ma flamberge,
A l'autre dogue en donnant du fendant,
Autour du cou je lui fais un exergue. »
- « Ah! juste Dieu! cria le bon Darget,
Votre âme est-elle à ce point dure et rude?
Peut-on pousser si loin l'ingratitude?
De ce pays où tout bien vous échet,
Vous avez pu massacrer un Tartare!
<288>Ah! bien plus qu'eux votre cœur est barbare. »
- « Tais-toi, benêt, lui répondit Franquin;
De son argent j'avais alors besoin.
Il me servit à faire mon voyage,
Et j'arrivai trois jours après au camp,
Où, produisant mon rare personnage,
Je fus reçu de Thamas-Chouli-Kan.
Chez le Mogol il faisait lors la guerre,
Et j'eus l'honneur de le suivre aux combats;
Son camp semblait couvrir toute la terre,
On y comptait un million de soldats.
De Zoroastre on y suivait le culte,
Et j'embrassai sa foi sombre et occulte,
Car j'ai connu qu'un homme bien prudent,
Dans quelques lieux qu'il se fasse connaître,
Doit recevoir, sans en faire semblant,
Avec la foi, le culte de son maître.
Assez souvent cela m'est arrivé;
Toutes les fois je m'en suis bien trouvé.
Bientôt Thamas fait marcher son armée;
Vers le Mogol vola sa renommée,
Et de ses tours la craintive Delhi
Vit tous ses champs de nos Persans remplis.
De tous côtés nos soldats l'environnent;
Dès que Thamas eut donné le signal,
Nous combattons, et les assauts se donnent.
Les Persans font un effort général;
Les habitants, à nos efforts revêches,
Font de leur mur sur nous pleuvoir des flèches.
Nous méprisons et leurs traits, et le sort;
<289>Contre le mur on posa mille échelles,
On assaillit, on chassa ces rebelles,
Leur apportant le feu, le fer, la mort.
Aux noirs enfers leurs âmes je consacre,
Dit en fureur l'inflexible Thamas;
Ce mot servit de signal au massacre,
Toute la ville est livrée au trépas.
Le schah, nageant dans le sang des parjures,
Tranquillement mangeait des confitures.
Pour moi, pillant, brûlant, assassinant,
Jeunes minois sans nombre violant,
J'expédiai de ma main plus de mille
Femmes, enfants et vieillards de la ville.
Ce jour heureux corrigea mon destin;
Ma foi, j'y fis un énorme butin.
Du sang versé regorgèrent les rues,
Les cris aigus sont portés jusqu'aux nues;
Quelle moisson ce fut pour Atropos!
Morts et mourants s'entassent en monceaux;
Imaginez la fureur et la rage,
L'horreur, la peur et la confusion,
L'embrasement, le meurtre, le carnage,
Le désespoir, la désolation.
Tous ces fléaux sur cette ville prise
Se font sentir sans trêve et sans remise :
Ce jour, nos fers en furent émoussés,
Et de tuer nos bras furent lassés.
Des Mogolais cinq cent mille périrent,
Chez Belzébuth leurs âmes descendirent,
Quand de Thamas la magnanimité
<290>Finit le meurtre et la calamité.
De mon butin ne voulus rendre compte,
Pour le garder je devins déserteur;
Et me sauvant par une fuite prompte,
Bientôt je fus auprès du Grand Seigneur;
Il a le nom des Persans en horreur.
Dans les sérails j'eus l'art de m'introduire.
Des faits pareils souvent avez pu lire
Dans les récits, contes des voyageurs,
Sur leurs amours impertinents menteurs.
Lors s'embrasa du côté de l'Hongrie
Tout de nouveau la guerre avec furie.
De guet-apens l'empereur Charles six
Vint attaquer mes maîtres circoncis.
J'aimais le bruit, le péril, les alarmes,
Pour Mahomet j'osai porter les armes;
J'ai signalé plus d'une fois mon bras,
Et j'ai brillé dans l'horreur des combats.
En attaquant parmi les janissaires,
J'eus des succès devant Mehadia;
Puis, éprouvant des destins tout contraires,
L'Autrichien me prit à Cornia.
Fallut encor devenir apostat;
Je recourus à la Vierge Marie.
Signe de croix et quelque momerie,
Et me voilà devenu bon chrétien,
Mais pis encor, très-bon Autrichien. »
Il n'eut pas dit, que son cheval, qui bronche,
Dans une ornière, en tombant, vous le jonche,
Et dans sa chute il entraîna Darget.
<291>Les plus voisins par-dessus lui tombèrent,
Tous pêle-mêle en pile s'entassèrent;
Hommes, chevaux, l'un l'autre se froissèrent;
Et, dessous eux, Franquin presque étouffait,
Se débattait, pestait et blasphémait.
Il était tard, aucun plus ne voyait.
Déjà la nuit a de ses voiles sombres
Couvert les cieux; ramenant aux mortels
Le doux sommeil, le silence et les ombres,
Elle en suspend tous les travaux cruels.
Proche du camp Franquin et sa séquelle
Étaient tombés, quand tout ce bruit affreux
Fit réveiller la lourde sentinelle,
Qui, tressaillant, lâcha son coup sur eux.
Ce bruit s'entend, et cause des alarmes;
Le camp lorrain, troublé, courait aux armes,
Quand on cria, Qui vive? - C'est Franquin.
Du corps de garde un exempt se détache;
Il vient, il voit, ciel! c'est notre bravache :
« Seigneur Franquin, quel malheureux destin
Vous met ici? » Tout était l'un sur l'autre,
Hommes, chevaux, dans la fange se vautre;
On les retire, et, pour cette fois-là,
Chacun d'iceux ses membres retrouva.
Puis, dans le camp lorsqu'on apprit l'affaire,
Le bon Charlot d'abord se recoucha;
Mais, fort ému, la nuit ne dormit guère,
A ses projets profondément rêva.
Franquin, Darget, doucement s'en allèrent,
Et dans des lits tous les deux se couchèrent.
<292>Si tu prétends savoir ce qu'on fera,
Si tu n'es las, lecteur, de mes sornettes,
Et s'il te faut combats, clairons, trompettes,
Lis l'autre chant, le reste il te dira.

<293>

CHANT VI.

Déjà le jour commençait sa carrière.
De son éclat la brillante lumière
Fait éclipser les astres de la nuit;
En répandant son influence pure,
Il ranimait de nouveau la nature;
L'épais brouillard se dissipe et s'enfuit,
Et ses rayons, par-dessus les montagnes,
Doraient déjà les prés et les campagnes,
Quand le Lorrain, qui n'avait pu dormir,
Toute la nuit consultant sa pendule,
S'inquiétant, ne faisant que gémir,
Ne soupirant qu'après le crépuscule,
Apprit enfin l'heureux retour du jour.
Il assembla ses amis, ses intimes :
« Pour nous, dit-il, le ciel cruel et sourd
N'exauce plus nos vœux si légitimes.
Ah! mes amis, ah! quel cruel affront!
On a manqué le grand palladion;
Le Prussien soigneusement le garde.
Pour le saisir, qu'on tente et qu'on hasarde;
J'attends de lui la fin de nos malheurs. »
<294>« Prince, lui dit l'homicide Rosière,
Toujours suivez de vos vieux radoteurs
L'oracle obscur touchant le militaire,
Qui contes font à s'endormir debout.
L'âge pesant ne rend point téméraire;
Vos maréchaux disent bien le rosaire,
Mais d'être saint, ce n'est ma foi le tout.
Ne pouvez-vous, bon seigneur, à votre âge,
Sans consulter, suivre votre courage?
Et si pourtant demandez mon avis,
Je vous dirai que des saints je me moque,
Qu'ils ne sont bons qu'au benoît paradis,
Que leur secours était fort équivoque,
Et que par eux, au gré de nos souhaits,
Jusqu'à présent nous n'avons tous rien fait.
De Belzébuth j'éprouverais l'empire,
Aux Prussiens il donnerait du pire.
Vous voyez là le généreux Franquin,
Il sait assez de la sorcellerie
Pour évoquer ..... » - « Sainte Vierge Marie!
Cria Charlot, quel est votre dessein?
Laissons, laissons toute la diablerie.
Ne savez pas comme un jour Richelieu,
Chez Bonneval294-a tout haut reniant Dieu,
Et commettant certaine idolâtrie,
Pensa sentir les griffes du malin?
Qu'aurait-on dit, si cet esprit immonde
Eût enlevé brusquement de ce monde
Cet amoureux et coquet paladin?
<295>Si je vous suis, je crois, Dieu me confonde,
D'avoir peut-être un plus cruel destin. »
Le fier Rosière insiste qu'il consulte
Les noirs démons, les ombres, les enfers.
Franquin lui dit : « Par ma science occulte
Je crois pouvoir ébranler l'univers. »
Le bon Charlot ne s'y résout qu'à peine,
Et, bégayant, il consent; on l'entraîne.
Proche du camp était un petit bois,
Lieu pacifique, asile solitaire;
Aux yeux du monde on pouvait s'y soustraire.
Vers ce bosquet ils cheminent tous trois.
Le bon Charlot, qui trottait dans la bande,
Chemin faisant, aux saints se recommande.
Dévotement, avant que de partir,
Il s'aspergea d'un vase d'eau bénite;
Très-sage était; ce fut pour prévenir
Les mauvais tours de l'engeance maudite.
Au bois marqué l'on arrive, et Franquin
De son habit sortit un vieux bouquin.
Dans la forêt cherchant, il trouve à peine
Sous l'herbe épaisse un bouquet de verveine,
Et puis d'un coudre il se taille un bâton,
Devient hideux, change d'air et de ton.
Telle qu'on peint d'Apollon la prêtresse,
Quand son démon la possède et l'oppresse,
Qu'un feu divin s'empare de ses sens;
En se tenant sur un trépied qui fume,
L'œil égaré, s'agitant, elle écume,
Tout en fureur profère ses accents :
Bien plus affreux Franquin parut au prince;
<296>Il gesticule, et de ses dents qu'il grince
Le sifflement inspirait de l'horreur.
Il proféra nombre de mots barbares,
Il se transporte, il est plein de fureur;
Il fait en l'air mille signes bizarres,
En invoquant Astaroth, Lucifer,
La Nuit, l'Érèbe et les monstres d'enfer.
Au bois se fait une rumeur bruyante;
Franquin l'entend sans changer de couleur.
Le bon Charlot en tressaillit de peur;
En se signant, il fuit, plein d'épouvante.
Le bruit s'accroît, il approche, il augmente,
Et du taillis sort un grand sanglier,
Tel que celui des forêts d'Érymanthe;
Il court, et passe à côté du sorcier.
« N'est-ce que ça? reprit le fier Rosière;
Besoin n'était de faire le lutin,
A Lucifer d'adresser ta prière,
Pour relancer dehors de sa tanière
Un sanglier, dès l'aube du matin. »
Le bon Charlot, fuyant, tournait la tête;
Il aperçut de loin courir la bête.
Comme il ne voit d'ailleurs aucun danger,
Tout doucement il marche, et puis s'arrête;
Rosière vient aussitôt le chercher.
Pour le Franquin, que l'aventure irrite,
Ne savait plus à quel saint se vouer;
Il s'acharna sur le pot d'eau bénite,
Que le Lorrain ne put désavouer.
Le fin Rosière à l'instant leur propose
Que, pour juger à fond de cette chose,
<297>Encore un coup il la faut éprouver;
D'enchantements il veut doubler la dose.
A nouveaux frais le féroce Franquin
Recommença tout son rit de magie,
A Lucifer chanta sa litanie,
Et provoqua cent fois l'esprit malin;
Pour augmenter la force des mystères,
Doublait, triplait signes et caractères.
Dans le moment que l'on croit voir venir
Messer Satan et sa noire séquelle,
Des officiers, se hâtant de courir,
Au bon Charlot apportent la nouvelle
Que l'ennemi, tout droit à lui marchant,
Très-fièrement s'approchait de son camp.
Charlot leur dit : « Avez tous la berlue;
C'est des moutons, de paisibles troupeaux,
Dont la poussière, imposant à la vue,
Paraît de loin des hommes, des chevaux. »
Mais par serment on l'assure au plus vite,
Et de partir on le presse, on l'invite.
Bien aise en fut le féroce Franquin :
A travailler dessus l'engeance noire
Il a perdu son temps et son latin;
Fort à propos pour lui finit l'histoire.
Enfin l'on part, et, d'un pas diligent,
En moins de rien l'on regagna le camp.
Mais quelle fut, bon Charlot, ta surprise
Lorsque tu vis clairement, de tes yeux,
Tes ennemis nombreux, audacieux,
Sur ton camp fort tenter une entreprise!
<298>Il semblait voir quatre immenses serpents
Ramper de front, couvrir ces vastes champs;
Dessus leurs dos, leurs écailles brillantes,
De cent couleurs au jour étincelantes,
Réfléchissaient des rayons éclatants.
Sur l'ennemi lentement ils s'avancent,
En cent replis se courbent et s'agencent,
S'élargissant par leurs énormes flancs.
Le bruit affreux des chevaux et des armes,
Des bataillons, des épais escadrons,
Le son guerrier des tambours, des clairons,
Et mille voix, appelant les alarmes,
Font retentir les airs aux environs.
Des tourbillons qu'épaissit la poussière
En s'élevant éclipsent la lumière.
Près d'eux marchaient, accompagnant leurs pas,
La Fermeté, l'Audace, le Courage;
L'affreuse Mort, la Terreur, le Carnage,
Les devançaient, en semant le trépas.
Tels que l'on voit du sommet des montagnes
Rapidement fondre dans les campagnes,
En mugissant, des orageux torrents;
Rien ne retient leurs efforts violents,
Ils font rouler de gros quartiers de pierre,
Leurs flots fougueux détachent des rochers;
S'amoncelant, débordent les rivières,
Engloutissant les malheureux bergers;
Et tels encor les vents et les tempêtes
Qui, s'échappant des cavernes du Nord,
Des hauts clochers font écrouler les faîtes,
Déracinant le chêne le plus fort,
<299>Et rassemblant sur l'aile des nuages
L'éclair brillant, la foudre, les orages,
Lancent sur nous la terreur et la mort :
Tels, et cent fois encor plus redoutables,
Parurent lors aux chefs autrichiens
La contenance et l'ordre formidables
Où s'avançaient les braves Prussiens.
Ciel! qui pourrait dépeindre les alarmes,
Le trouble affreux, la consternation,
Et le tumulte, et la confusion
Qui règne au camp? Chacun courait aux armes;
Chacun se botte, on selle les chevaux,
On se cuirasse, on se couvre du casque.
L'homme de cœur, le fanfaron, le flasque,
Différemment observaient leurs rivaux,
Et conservaient encor ce faible masque
Qui rend égaux les couards, les héros.
Les ennemis, sentant leur avantage,
Faisaient ronfler deux cents foudres d'airain;
Les gros boulets causent si grand carnage,
Que le plongeon en firent les Lorrains.
Ni plus ni moins, dans ce désordre étrange,
L'Autrichien sous son drapeau se range.
Les premiers sont les pesants cuirassiers,
On assigna leur poste sur la droite;
Tout auprès d'eux sont les fiers grenadiers,
En bonnet d'ours paraît leur troupe adroite;
Viennent après les forts Lycaniens,
Les Gomorois, et puis les Bethlémistes,
Les Insurgents, Croates, Béotiens,
Les Transylvains, les cruels Portalistes,
<300>Ceux du Timoc, les féroces Raziens,
Vaillants soldats et gens de grand mérite.
Tout à la gauche on voyait les dragons,
Plus bas montés, fermes dans les arçons.
De tous côtés faisant des escarmouches,
S'éparpillant, voltigeant comme mouches,
Caracolaient des milliers de hussards;
Ils paraissaient les bouffons du dieu Mars.
Le dur Franquin prit un parti plus sage,
Il ne songea qu'à piller le bagage;
Il ne crut point y courir de hasards.
Le bon Charlot à chaque chef assigne
Le corps qu'il doit commander dans la ligne.
Tout sur la gauche on plaça les Saxons,
Qui, l'air pincé, promettaient des merveilles,
Mais pâlissaient quand des coups de canons
Parfois de près leur frisaient les oreilles.
A la réserve on assigna Wallis;
Aux cuirassiers commanda Lobkowitz.
Mais celui-ci, tout bouillant de courage,
Le sang soudain lui montant au visage,
Dit à Charlot d'un ton chagrin et sec :
« J'ai réservé mon bras et ma personne
Pour les grands coups, en quelque lieu qu'on donne;
Tout poste fixe à mon cœur est suspect. »
Ce jour, Charlot, tout rempli de prudence,
Resplendissant et sage comme un dieu,
Ce compliment lui passa sous silence.
Sans lui répondre, il le quitte en ce lieu;
De d'Aremberg il va joindre la troupe :
<301>« Aux ennemis faites montrer la croupe,
Dit-il; amis, signalez vos exploits. »
Le duc répond : « Prince, savons nous battre;
Plus d'une fois j'en ai terrassé quatre.
Mais vous, l'appui ou la terreur des rois,
Auriez bien pu ménager l'accolade;
Si hier, chez vous, un peu plus poliment
Eussiez reçu la célèbre ambassade,
Le Prussien, ce jour, assurément
Ne vous serait venu donner l'aubade. »
Ah! saint Joseph! je crois que vous tremblez,
Lui dit Charlot. - Plutôt vous qui parlez,
Répond le duc. Ils disaient des sottises,
Se reprochaient leurs vieilles couardises,
Quand à propos le vieux Wallis vint là,
Accompagné du bouffon de Spada.
« Héros, dit-il, suspendez vos querelles;
Sur l'ennemi si voulez réussir,
Point ne perdez le temps en bagatelles,
Il faut marcher, tout disposer, agir.
Ah! si j'avais comme dans ma jeunesse
Cette vigueur, hélas! que je n'ai plus,
Même en dépit de vous, de ma vieillesse,
Ces ennemis par moi seraient battus.
Que j'étais leste, agile, en Italie!
Par cent exploits j'y signalai mon bras;
De mes grands faits la terre était remplie.
Le sexe alors ne me haïssait pas,
Les verts galants me portaient tous envie. »
Le fou Spada, que ce discours ennuie,
<302>Dit : « Haranguez en dépit du bon sens;
Tous vos propos, seigneur, ne valent guère;
Je crois ouïr les grands héros d'Homère,
Tous radoteurs et longuement parlants. »
Lors justement, pour leur malheur, arrive
Le fier Waldeck, ce grand blasphémateur,
Et la dispute en devint bien plus vive;
De ce combat il prétend seul l'honneur.
A ses côtés, un fantôme illusoire,
Tenant en main palmes de la victoire,
Excite encor sa guerrière ardeur;
Le vain Orgueil, le Mépris, la Fureur,
L'accompagnaient, et lui faisaient accroire
Qu'il pourra seul moissonner, en ce jour,
Ces champs fameux consacrés à la gloire,
En imitant Eugène ou Luxembourg.
Pendant le temps que ces chefs se disputent,
Très-aigrement sur leurs hauts faits discutent,
Les Prussiens, d'abord se déployant,
Tous en bataille arrivent fièrement.
Leur droite avance, et, d'un essor rapide,
Fond promptement sur la troupe timide
De ces sucrés et doucereux Saxons.
Ces bonnes gens un moment se défendent,
Mais l'ennemi de trop près ils n'attendent,
Et de la peur ressentant les frissons,
Très-poliment ils quittèrent la place,
Aux ennemis ils tournèrent la face,
Montrant le cul à leurs cruels rivaux,
Et leur criant : Nous ne sommes brutaux!
<303>On leur répond : « Fuyez de cette plaine,
Courez, courez en Saxe, grands héros;
Allez pétrir, vernir de porcelaine,
Pour vos desserts, pagodes et magots. »
En même temps, de ce champ de bataille
On poursuivit vivement ces fuyards,
Et sur leur dos l'on sabre, l'on ferraille,
Jusqu'à l'instant qu'ils furent tous épars.
Le dur Franquin vola sur le bagage,
En moins de rien il y fait grand ravage;
Il se saisit de quatre grands fourgons,
Tous bien remplis de bon vin de Champagne.
Il ouvre, il dit : « Mes chers amis, buvons;
Que le bonheur nos armes accompagne. »
Tous ses pandours étaient éparpillés,
Les Charlots par eux étaient pillés.
Lorsque Dumont aperçoit ce pillage,
De ces pandours il fait un grand carnage.
Le dur Franquin, sans monde et sans secours,
Ne défendait que faiblement ses jours;
Au preux Dumont il jetait aux oreilles
De ce vin bu quelques vides bouteilles;
Mais le combat devenant sérieux,
Il s'escrimait, et, comme un Polyphême,
Se défendait à grands coups de moyeux.
Même il était dans un péril extrême.
Quand Dumont dit : « Quoi! je suis à cheval,
Et vous à pied! Rendons le tout égal. »
Il vole à bas de sa leste monture,
Et sur Franquin s'élance sans mesure.
<304>Mais ce jour-là, le débauché Franquin
Fut bien puni d'avoir trop bu de vin.
Fort galamment il tira son épée;
Plus d'une artère en moins de rien coupée
Fait ruisseler de toute part le sang.
Tout furieux, il veut pousser la quinte;
Dumont la pare, et, cavant cette feinte,
Plongea le fer dans son malheureux flanc.
Franquin chancelle, il tombe hors d'haleine,
En s'abattant il fait un bruit affreux,
Tel qu'en tombant fait un énorme chêne
Que dans les bois abat un vent fougueux.
En frémissant, il gratte la poussière,
Son sang s'écoule, il frissonne, il pâlit;
L'affreuse mort lui ferme la paupière,
Franquin blasphème, et son âme s'enfuit.
Encouragés par leur première ébauche,
Les Prussiens, avides de lauriers,
Vont attaquer ces braves cuirassiers;
En disposant un effort par leur gauche,
Ils suivent tous le valeureux Nassau,304-a
Et Rottembourg,304-b et Camas, et Chasot.
Trente escadrons de leur cavalerie
S'ébranlent tous avec même furie;
Et tels que sont ces affreux tremblements,
Quand un volcan vomit son noir tonnerre,
Telle tremblait dessous leurs pas la terre
Quand tout serrés, courant comme les vents,
<305>Sur l'ennemi ces fiers guerriers vont fondre;
Il semblait voir le monde se confondre.
Ce corps épais de braves Prussiens
Vole accabler de sa masse pesante
Et de sa course agile et violente
Ces cuirassiers des fiers Autrichiens.
Dans un clin d'œil leurs coursiers les atteignent,
Et de leur fer dans l'instant ils les joignent;
Pour un moment l'on entend un bruit sourd,
Un choc affreux, le cliquetis des armes,
Des cris confus de fureurs et d'alarmes,
Et la poussière en obscurcit le jour.
Comme l'on fait crouler une muraille
En l'abattant par d'énormes béliers,
Ainsi Nassau contre ces cuirassiers
Choque de front, frappe dans la bataille,
Perce, pourfend, sabre, taille, ferraille,
Et les culbute, ainsi que leurs coursiers.
Devant ses coups tout tombe ou prend la fuite,
Il les abat, son bras les précipite;
Ils sont foulés sous les pieds des chevaux,
Leur sang s'écoule, et serpente en ruisseaux.
Là, d'un côté fuit un cheval qui traîne
Par l'étrier son maître sur l'arène,
Dans les arçons; d'autres, tout chancelants,
Tombent, percés des coups des poursuivants.
En l'air volaient et des bras, et des têtes;
Du bon Lorrain les troupes sont défaites.
L'heureux Nassau chasse tous ces fuyards,
Dans les combats sa main était experte;
<306>Hommes, chevaux sont tués sans égards,
La terre fut de cadavres couverte.
Saint Népomuc apprend ce grand combat,
Il vient, il voit sa troupe mutilée;
Il prend tout l'air du dévot Kolowrat;
Même il s'avance au sein de la mêlée,
Il fait sonner de tous côtés l'appel.
Le cavalier qui fuyait se rassemble,
Au soldat blême, intimidé, qui tremble,
Le saint adresse un discours paternel.
Contre la peur le bon saint le rassure,
De ce combat déplore l'aventure,
Et lui promet le sûr appui du ciel.
En même temps, dans ce danger mortel,
A son secours, au centre de l'armée,
Il fait venir saint Charles Borromée.
Le saint arrive, et travestit son air;
Dessous son nez il dresse sa moustache,
Couvre son chef d'un fort armet de fer,
Et sur son bras il charge sa rondache.
Ce saint montait la fleur des palefrois;
Bien mieux valait que Rabican306-a cent fois,
Et devant lui le Podarge306-a s'éclipse.
Il avait eu ce cheval de saint Jean,
Qui, le tirant hors de l'Apocalypse,306-b
Le lui vendit à certain prix d'argent.
Lorsque le saint dans ce fol équipage
<307>Se présenta devant le saint des ponts,
L'on éclata sur ses atours bouffons;
Ce corps battu prit un riant visage,
On ne vit plus des marques de terreur.
Ce tour rusé part de Népomucène,
Et dans l'instant on vit changer la scène.
Il savait bien que, pour chasser la peur,
Remède sûr, c'est d'apprêter à rire;
Il réussit, il leur rendit le cœur,
Bannit la crainte, et réveilla leur ire.
De ce tour-là, quoique subtil et fin,
Luther, Calvin, Geneviève, Hédewige,
Sentent d'abord quel est le but malin;
Ils courent tous où le danger l'exige,
Dans les horreurs de ces funèbres champs,
Parmi les morts, les blessés, les mourants.
De Kalckestein307-a Luther prend la figure;
Comme Dessau307-a se travestit Calvin.
La sainteté du genre féminin,
Ne voulant pas hasarder l'aventure,
Sur un grand chêne aussi haut qu'un clocher
Modestement alla pour se percher,
Et, sans répit, dessus la troupe aimée,
Du haut en bas bénissait son armée.
On ralliait les corps des deux côtés;
Mais les Lorrains sont presque démontés.
Népomucène, en voyant leur faiblesse,
Pour les sauver invente une finesse;
Il sentait bien qu'un combat général
<308>A son parti serait bientôt fatal.
Pour l'éviter, il anima de rage
Le fier Waldeck, dont le bouillant courage
Ne respirait qu'après les grands dangers,
Et qui, suivant son naturel féroce,
Ne demandait pas mieux que plaie et bosse.
Il lui cria : Venez pour nous venger!
Waldeck l'entend, il pique, part, s'élance;
Entre ces corps le prince seul s'avance,
Et fièrement il provoque au combat
Des Prussiens qui se croit la vaillance
De l'attaquer. Truchs308-a sort avec éclat.
Waldeck l'approche, et la fureur le guide.
Truchs à ce prince en deux coupa la bride;
Le fier Waldeck, écumant de courroux,
Atteignant Truchs de son fer homicide,
Et le frappant, lui fend le deltoïde.
Le sang jaillit, Truchs veut se soutenir,
Il tombe enfin comme un coup de tonnerre,
Bien étonné de se trouver par terre;
La voix lui manque, il commence à frémir
En tressaillant; ses yeux sont troublés, sombres,
Et la mort vient le couvrir de ses ombres.
Waldeck en fut bien plus présomptueux :
« Qui de vous tous, dit-il, je le propose,
Après ce coup est assez courageux
Pour m'attaquer? Qu'il se montre, s'il ose;
Tout comme Truchs je saurai le punir. »
<309>Lors Rottembourg entra dans la carrière :
« Prince, dit-il, pourrez vous repentir.
De ce discours l'arrogance si fière
Va dans ce jour causer votre malheur;
Si Truchs est mort, je vis, et j'ai du cœur. »
Waldeck, outré, rougit de sa menace :
Venez, dit-il, courons-en le hasard.
Tout ce qu'a pu la force avec l'audace,
Le cœur, l'adresse, et l'escrime, et son art,
Fut employé, ce jour, de chaque part.
Tel, dans un cirque, en célébrant des fêtes,
Rome donnait de grands combats de bêtes,
Où les taureaux, les tigres, les lions,
Griffes et dents teintes de leur furie,
Se déchirant, se privaient de la vie :
Et tels étaient ces deux preux champions.
L'œil enflammé, tous les deux ils s'excitent,
Pleins de courroux, s'approchent et s'évitent,
Flamberge au vent, en rond caracolant,
Subitement l'un sur l'autre fondant,
En furieux mille coups se portèrent,
Et lestement en l'air ces coups parèrent.
Plus animés, tous les deux s'assaillant,
Ils se frappaient et d'estoc, et de taille;
Mais leur cuirasse est comme une muraille;
Le fer gémit sous leur effort puissant,
Du dur acier partent des étincelles,
Il pare encor les atteintes mortelles.
Mais Rottembourg, plus frais, plus vigilant,
Plus de sang-froid, fondit sur Son Altesse,
<310>Et d'un grand coup acéré du fendant,
Dans le biceps profondément le blesse.
Waldeck, voulant de ce bras le frapper,
Le lève; il tombe, en laissant échapper
Ce fer sanglant; son âme fut frappée
Lorsqu'il perdit sa redoutable épée;
Tout sombre et morne, en son cœur enrageant,
Devers les siens il marche lentement.
Comme un lion, quand le nègre le chasse,
Blessé du trait, se retire à pas lents,
Et, de sa queue en battant ses deux flancs,
Tourne la tête, et rugit plein d'audace :
Ainsi Waldeck part sans confusion;
L'air menaçant, il se tourne et murmure.
Chacun le plaint, on panse sa blessure,
Et de son sang tarit l'effusion.
Pendant ce temps s'avançait Saint-Ignon;
De Rottembourg Chasot suivit l'exemple.
L'Autrichien faisait le rodomont;
Chasot l'approche, un moment le contemple,
Et, dégainant, s'assure dans l'arçon.
Saint-Ignon dit : « Je vais t'ôter la vie;
Fais vitement ta prière à Calvin. »
- « Remets ton âme à la Vierge Marie,
Répond Chasot; tu touches à ta fin. »
En même temps, tous les deux s'atteignirent;
Différemment ces héros s'assaillirent,
Car Saint-Ignon, qui n'est qu'un fanfaron,
Fuit le danger. Chasot, se pâmant d'aise,
Le poursuivant, lui perce le trapèze;
<311>La pointe sort au-dessous du menton.
Saint-Ignon jette un cri très-déplorable
Qui, se heurtant par bricole au rocher,
Fait répéter un écho lamentable;
On aurait dit qu'on l'allait écorcher.
Sur son cheval on le voyait pencher,
Sa chute fait un bruit épouvantable;
Évanoui, râlant, battant du flanc,
Il rend son âme avec des flots de sang.
Luther alors de sa cavalerie
Et des héros ranima la furie;
Il marche droit sur les Autrichiens,
Qui, s'enfuyant, leur cèdent la bataille;
Tout l'honneur reste aux braves Prussiens.
Mais Lobkowitz, autant qu'il peut, ferraille,
Il veut encor rappeler les destins;
Stein, d'Aremberg, avec lui combattirent;
Ils font tomber sous leurs cruelles mains
Schwerin,311-a Camas, qui vaillamment périrent.
Saint Népomuc veut faire des exploits;
Luther le vit, et lui perça la joue.
Le saint blessé, se tournant, fit la moue,
Car il perdit pour la seconde fois
Un grand morceau de sa divine langue;
Depuis ce jour, plus ce saint ne harangue.
Pour se venger, il court blesser Luther
Dans certain lieu que lui dit Lucifer,
Où la culotte est jointe à la cuirasse,
<312>Fâcheux endroit pour moine qui fait race;
Il en jeta des cris perçants en l'air.
Si tu prétends savoir, lecteur folâtre,
Quel est le sang d'un saint de grand renom,
En feuilletant, je trouve dans Milton
Que c'est, dit-il, une liqueur blanchâtre.
Les saints blessés disparaissent d'abord.
Pour Rottembourg, il marche vers la troupe
De Lobkowitz, qui combattait encor;
En la tournant, la retraite il lui coupe.
Mais celui-ci, par un dernier effort,
Suivant son cœur, que nul danger n'effraye,
Perce ce corps, et le chemin se fraye
Vers les Lorrains, en affrontant la mort.
Les Prussiens fondent comme la foudre
Sur l'ennemi, pour le réduire en poudre;
Et Lobkowitz, et ses fiers défenseurs,
A fuir aussi bien durent se résoudre.
Les Prussiens étaient déjà vainqueurs,
Et Rottembourg fait, dans cette déroute,
Sur les fuyards, suivant plus d'une route,
Des prisonniers des plus huppés seigneurs.
Alors commence avec plus de furie
Un périlleux combat d'infanterie.
Les Prussiens ont leur palladion
Environné d'un épais escadron.
Le bon Charlot, craignant cette tuerie,
Se fait donner son absolution.
De tous côtés se fit la boucherie;
Le bataillon contre le bataillon
<313>Fait à grand bruit sa décharge terrible;
Le jour s'éclipse, et la fumée horrible
Augmente encor l'horreur de l'action.
L'éclair des coups brille en ce noir nuage,
Les fusils font un bruit tel que l'orage;
Le plomb volant, tiré par peloton,
Siffle, fend l'air, et, sans distinction,
Princes, sujets également il frappe,
Portant la mort à tous ceux qu'il attrape.
Vous expirez,313-a généreux fils d'Albert,
Princes issus de tige souveraine;
Et vous, Guillaume, aux Prussiens si cher,
Et vous, de Rége,313-b et vous, brave Varenne;313-b
Que de héros moissonnés dans ces champs!
Telles ces fleurs de cent couleurs ornées
Qui, sans passer l'espace d'un printemps,
D'un souffle ardent sont pour jamais fanées.
Les Prussiens, dans ce combat fougueux,
Font redoubler leur cruelle décharge;
Dans un moment le fantassin recharge.
Le noir Etna dans ses brasiers affreux,
Non, tout l'enfer n'a point de pareils feux.
Des ennemis un grand nombre périrent,
Et de leurs rangs les files s'éclaircirent;
<314>Sur leur visage est peinte la terreur.
L'Autrichien en l'air tirait de peur.
Décrivant l'arc, une balle s'élève;
Dessus son chêne atteignant Geneviève,
Dans son talon fait blessure griève;
La sainte en l'air en jette quelques cris,
Et va se plaindre au benoît paradis.
Des coups tirés l'air gémit et bourdonne.
Tout à l'entour de ses traînants drapeaux
L'Autrichien confondu tourbillonne;
Il a perdu la fleur de ses héros.
Le Prussien voit ce trouble, et se jette
Sur l'ennemi, fraisant la baïonnette;
Le trouble augmente, il s'accroît, et qui put
A toutes jambes ainsi qu'un daim courut.
Figurez-vous un troupeau dans la plaine,
Éparpillé, courant tout hors d'haleine
Devant un loup affamé qui le suit :
Ainsi, devant Dessau, qui la poursuit,
Se débandant, du péril alarmée,
Du bon Charlot fuyait alors l'armée,
Et le massacre en fut prodigieux.
Quand la bataille, à la fin, fut finie,
Le Prussien doucement se rallie.
On entendait, chez les victorieux,
De tous les rangs partir des cris joyeux,
Faisant en l'air un affreux tintamarre,
En se mêlant au son de la fanfare.
Lors, d'un échange on forma le projet;
Contre un Lorrain on veut troquer Darget.
<315>Au bon Charlot on proposa l'affaire,
Il y consent en prince débonnaire.
Ainsi Darget, aux Prussiens rendu,
Fut dans le camp en triomphe reçu;
Le bon Charlot ajoute à sa réponse
Que pour jamais dès ce jour il renonce
A ses desseins sur le palladion.
Ce mot des chefs éteignit la rancune;
Faisant cesser toute désunion,
Des Prussiens il combla la fortune.
Déjà la Mort, fille affreuse du Temps,
Réunissait, de tous les combattants
Que leur valeur fit périr sur ces rives,
Des deux partis les âmes fugitives.
Elle conduit ce peuple vers le ciel;
Chemin faisant, des morts le nombre augmente;
Il s'accroissait d'un tribut casuel
De l'univers, qui passait son attente.
Tous les états s'y trouvent confondus,
Maîtres, sujets, soldats, dévots, ministres,
Sages et rois, qui voyageaient tout nus;
En raisonnant de leurs destins sinistres,
Ils suivaient tous leur conducteur cruel,
Qui les mena vers le trône éternel.
Alors les morts passèrent en revue;
On y trouva mainte face inconnue,
Et maint visage encor tout effaré,
En hiéroglyphe alentour balafré.
Le Père alors se fait donner la liste
De tous ces morts à l'œil hagard et triste.
<316>Là d'un chacun est la condition,
Le caractère et la profession;
Et, se suivant l'un et l'autre à la piste,
On les appelle un chacun par son nom.
Un tel fut roi; le Seigneur le condamne.
Un tel fut moine; aussitôt il le damne.
Son fils lui dit : « Ah! mon papa mignon,
Pourquoi damner ces honnêtes personnes? »
Il lui répond : « Pour nous ne sont pas bonnes.
Les rois sont gens parfois ambitieux,
Ils pourraient bien nous ravir nos couronnes;
Ils sont vauriens et toujours vicieux.
Moines aux cieux en grand nombre fourmillent,
Vois ces fripons, comme chez nous ils brillent;
Et quelque pape, endiablé de nos saints,
Y placerait de ces nouveaux faquins »
On lui présente alors des gens de guerre
Qui sont péris dans ces combats sur terre;
Le Roi leur dit : « Approchez, mes amis;
Pourrez souvent vous rappeler l'histoire
De vos combats et conter votre gloire
Dans un recoin du benoît paradis.
Je veux sauver tous ces gens-là, mon fils,
Car ils n'ont point l'âme méchante et noire;
Qu'on les nourrisse et qu'on leur donne à boire,
Et, pour calmer dans ces lieux leurs soucis,
Une catin de sainte à leur usage. »
(La Madeleine eut ce lot en partage.)
« Bien mieux ces gens valent que nos dévots;
Tout doucement y vivront ces héros.
<317>Qui suit là-bas? quel est ce personnage? »
- C'est Lock,317-a grand roi, qui vient vous rendre hommage.
- Quel est ce Lock? et quel est son métier?
Lock lui répond : « J'ai consacré ma vie
Aux vérités de la philosophie,
Et j'ai marché par un nouveau sentier.
L'analogie avec l'expérience
Sur la nature ont fondé ma science;
J'ai décrié la superstition,
Et de vos saints j'ai dénigré l'empire.
Mon cœur est pur, et ma religion
N'approcha point de celle de Porphyre.317-b
Dessous mes pieds si j'écrasai l'erreur,
N'en fus pas moins le partisan fidèle
D'un culte pur, qu'on doit au Créateur;
Je l'adorai toujours, rempli de zèle. »
- « Ah! par l'enfer, ce sage a grand'raison,
Leur dit le Roi; finissons la cabale,
Chassons ces saints, qui donnent tous scandale;
Je veux, ce jour, réformer ma maison.
Allez, maudits, qui prétendez sur terre
Ravir les droits du maître du tonnerre;
Allez là-bas, grands saints de l'univers,
Griller tout vifs aux charbons des enfers.
Lock, demeurez, vivez en assurance,
Pour admirer mon immense puissance. »
Ainsi, dans peu, le bon Père éternel
<318>De scélérats purifia le ciel;
Il en chassa les saints et les sophistes,
Il y plaça les honnêtes déistes.
Du roi céleste ils voient le profil,
Car ils sont tous assis près de sa droite.
O mes amis! c'est ce que je souhaite
A vous, à moi de même. Ainsi soit-il!

Ce 30 de janvier 1749.

Federic.


180-a Voyez t. LX, p. 74, et t. X, p. 158 et 196.

182-a Voyez ci-dessus, p. 18 et 34.

183-a Voyez l'Art de la guerre, t. X, p. 316, où Frédéric donne les éloges les plus flatteurs au prince Charles de Lorraine pour son passage du Rhin. Voyez aussi t. III, p. 50-54.

186-18 La fille sans langue, qui parle, selon ce qu'en rapporte la Société royale de Londres.

188-a Un des chevaux de Ménélas. Iliade, chant XXIII, v. 293-295.

189-19 Le chevalier de Saxe.

189-a

Et jusqu'à Je vous hais, tout s'y dit tendrement.

Boileau,

Satire III

, v. 188.

192-a Le 20 avril 1707. Voyez t. III, p. 111, et t. X, p. 314.

193-a Le Roi veut parler du feld-maréchal saxon Jean-Adolphe II, duc de Saxe-Weissenfels, né en 1685, mort en 1746. Voyez t. III, p. 124 et 189.

196-a Iliade, chant XIX, vers 160-170. Voyez t. III, p. 85; t. VII, p. 18 : et t. X, p. 301.

197-a Voyez t. III, p. 129 et 160 : t. X, p. 217 : et ci-dessus, p. 27.

199-a Voyez t. III, p. 69 et 173.

218-a Nombres 22, 28.

227-a Jean-Laurent Bernini, architecte italien, appelé par les Français le chevalier Bernin, mourut à Rome, le 29 novembre 1680, dans sa quatre-vingt-deuxième année.

232-a Turpin, archevêque de Reims vers la fin du huitième siècle. On lui attribue la Vie de Charlemagne et de Roland, sans toutefois pouvoir appuyer cette conjecture sur aucun renseignement positif.

235-a Thomas Germain, fameux orfèvre de Paris, mort en 1748.

239-a Dans son Épître à Sweerts (t. X, p. 195), le Roi parle de Marianne Cochois comme d'une des premières danseuses de l'opéra de Berlin : « Marianne, égale à Terpsichore. » Dans une lettre à Voltaire, du 18 décembre 1746, il la place à côté de la Barberina (t. I, p. XIV) et de la Haute-ville.

245-a Voyez t. II, p. 3, et t. X, p. 5.

245-b R. Patris Thomae Sanchez Cordubensis, e societate Jesu, De sancto matrimonii sacramento disputationum tomi tres. T. I. Genuae, 1602, in-fol.; t. II et III. Venet., 1606, in-fol. C'est la première édition.

246-20 L'abbé Paris. [Voyez t. I, p. 241.]

248-21 Le Paysan parvenu, de Marivaux.

248-22 Poëte qui mourut presque de faim [en 1660].

248-a C'est par plaisanterie (voyez ci-dessus, p. 65) que le Roi attribue à Darget, outre le Paysan parvenu, de Marivaux, les ouvrages suivants : La princesse Sensible et le prince Typhon, par mademoiselle de Lubert, les Bijoux indiscrets, par Diderot, Acajou et Zirphile, par Duclos, l'Histoire des Chats, par Moncrif, Gris-gris, par Cahusac, et la Paysanne parvenue, par Mouhi.
     Frédéric se moque déjà t. X, p. 97, des écrits de Mouhi, Moncrif et Marivaux.

265-a Belle-Isle. Voyez t. II, p. 143, et t. III, p. 90.

270-a Nom d'un vieux gnome rechigné, personnage de la Boucle de cheveux enlevée (The Rape of the Lock) de Pope.

274-a Le colonel de Camas, que le Roi met ici en scène, ne vivait plus; il était mort à Breslau le 14 avril 1741. Voyez, ci-dessus, p. 23, l'Épître IV, adressée à sa veuve.

279-a Le Roi veut probablement parler du lieutenant-général Du Moulin. Voyez t. III, p. 145.

285-a Dans la première croisade, en 1098, le chevalier français Geoffroi de la Tour tua d'un coup d'épée un serpent acharné contre un lion. Le lion reconnaissant s'attacha à son libérateur, et ne le quitta plus.

294-a Il s'agit ici du comte de Bonneval qui prit le turban à Constantinople en 1720, et y mourut pacha, en 1747. Voyez t. II, p. 37.

304-a Voyez t. III, p. 128.

304-b Voyez t. II, p. 137 et 166; t. III, p. 44; et t. X, p. 91.

306-a Cheval de bataille de différents héros du Roland amoureux du Bojardo, ainsi que du Roland furieux de l'Arioste. Pour Podarge, voyez ci-dessus, p. 188.

306-b Chap. VI, v. 2, et chap. XIX, v. 11.

307-a Voyez t. II, p. 163, et t. III, p. 176-189.

308-a Le lieutenant-général comte de Truchsess, que le Roi met ici en scène, avait été tué à la bataille de Hohenfriedeberg. Voyez t. III, p. 130.

311-a Voyez t. III. p. 130.

313-a Le Roi parle aussi de la mort héroïque des deux petits-fils du Grand Electeur dans son Épître à Stille (t. X, p. 149). Le margrave Frédéric fut tué à la bataille de Mollwitz, et son frère le margrave Guillaume, au siége de Prague, le 12 septembre 1744.

313-b Le major du génie Gabriel-Gédéon d'Azemar de Rége fut blessé mortellement à Ottmachau le 9 janvier 1741, et mourut le 12.
     Le marquis Frédéric-Guillaume de Varenne, colonel et chef du régiment d'infanterie no 31, mourut à Prague, d'une fièvre aiguë, le 11 février 1744.

317-a Frédéric était grand admirateur de Locke, et parle souvent de lui dans ses ouvrages, p. e. t. VII, p. 128; t. IX, p. 93, 137 et 138; et t. XII, p. 142.

317-b Porphyre de Tyr, philosophe néo-platonicien du troisième siècle.