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STANCES CONTRE UN MÉDECIN QUI PENSA TUER UN PAUVRE GOUTTEUX A FORCE DE LE FAIRE SUER.

Je chante la palinodie,
Il faut publier en tout lieu,
En admirant la pharmacie,
Qu'Hippocrate est un puissant dieu.

De ce dieu le pouvoir énorme
A fait un prodige nouveau :
Voyez mon corps qui se transforme,
Et s'écoule comme un ruisseau.

Déjà je deviens une source,
Et serpentant sur ce limon,
Je veux atteindre, dans ma course,
Ce beau fleuve dans ce vallon.

Oui, là mes ondes amoureuses
Iront se mêler pour toujours
Aux ondes pures et fameuses
Du fleuve, objet de mes amours.

<115>Là, soit qu'il passe une prairie,
Ou qu'il parcoure des climats
Plus arides que la Libye,
Je ne l'abandonnerai pas;

Soit enfin qu'il se précipite
Du haut des monts en écumant,
Ou bien qu'il dirige sa fuite
Vers l'insatiable Océan;

Soit qu'en sa course vagabonde,
Un monarque, enchaînant ses eaux,
A force d'art gêne son onde
De jaillir en divers jets d'eaux :

Ce me sera la même chose,
Et je bénirai les destins
De ce que ma métamorphose
Me garantit des médecins.

(Envoyées à Voltaire le 10 juin 1749.)