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ÉPITRE VII. A MAUPERTUIS.45-a

Dans ce climat stérile et naguère sauvage,
De nos grossiers aïeux, des antiques Germains
On suivait bonnement l'ignorance et l'usage;
La subtilité des plus fins
Était la force et le courage,
Nous étions tous peu délicats,
Et la nature peu féconde
Produisait, pour tout bien, du fer et des soldats.45-b
Dans ce pays, voisin d'un des pôles du monde,
Les Muses, de leurs pas divins,
Ne firent qu'un très-court passage,
Quand Cypris, un beau jour, y guida vos destins;
Porter le jour au Nord, instruire les humains,
Ce fut votre divin ouvrage,
Et la nature avait besoin d'un sage
Pour nous interpréter ses sublimes desseins.
Le laurier d'Apollon, transplanté par vos mains,
Et cultivé sur ce rivage,
<46>Nous fit naître l'espoir de revoir en cet âge
Ressusciter les arts des Grecs et des Romains.
Le luth d'Anacréon, le compas d'Uranie,
Les sombres profondeurs de la philosophie,
Toutes les fleurs et tous les fruits
Chez vous se trouvent réunis.
Pardon à votre modestie :
Tant de sortes d'esprit, tant de talents divers
Réveillent ma muse endormie;
Je ne puis plus m'en taire, il faut que je vous die,
Et par ma prose et par mes vers,
Que vous valez tout seul toute une académie.
Mais quoi! dans le transport dont mon esprit est plein,
Amant de tous les arts, ma timide paupière
Verra-t-elle en un jour achever leur carrière?
Quoi! leur brillante aurore et leur fatal déclin
N'auront duré qu'un seul matin!
La mort sèche et livide arme sa main tremblante,
Je vois sa faux étincelante
Menacer fièrement la trame de vos jours.
Ah! de ta fureur dévorante,
Barbare, au moins suspends le cours.
Des enfants d'Hippocrate un funèbre cortége
Vous tient au lit et vous assiége
Par ses drogues et ses onguents,
Se perd en ses raisonnements,
Abuse ses dévots, et ne vous trompe guère :
Aux superstitieux Lucrèce fit la guerre,
Vous la faites aux charlatans.
Eh quoi! l'homme d'esprit, comme l'homme vulgaire,
Est donc assujetti sous l'empire des sens?
<47>Hélas! il est trop vrai, l'homme est bien peu de chose,
Et s'il s'épanouit comme une fraîche rose,
Il se fane au souffle des vents :
Un fragile tissu de fibres diaphanes,
De subtiles ressorts, de débiles organes
De nos jours fugitifs sont les faibles garants;
L'artiste arrangement de ce frivole ouvrage
Est l'œuvre d'un auteur plein d'ostentation,
Et s'il nous fit à son image,
Il ne pensa point à l'usage
Que dans ce monde nous ferions
De ce corps fait en filigramme,
Étui ridicule où notre âme
Loge avec mille passions.
Quand des Amours badins la compagne riante,
En séduisant nos cœurs, enflamme nos désirs,
D'un prestige enchanteur la force décevante
Persuade à d'Argens d'une voix complaisante
Qu'il est aigle en amour, Hercule en ses plaisirs.
Dès que l'Amour volage une fois nous affecte,
Il se fait un miracle, un changement soudain;
Le débile et rampant insecte
Pense que son corps est d'airain.
Partez, plaisirs, partez, à jamais je vous quitte,
De vos brillants dehors mon âme fut séduite;
Tumulte, astuce, vanité,
Douce erreur, flatteuse chimère,
De votre peu de savoir-faire
Mon esprit n'est plus entêté;
Revenu de ma folle ivresse,
<48>Le rêve disparaît et l'enchantement cesse,
Tout fait place à la vérité.
Le palais enchanteur où m'attirait Armide
Est par l'expérience au juste apprécié :
Plaisirs, vous ne pouvez ni remplacer le vide,
Ni tranquilliser l'amitié.

(Décembre 1746.)


45-a Voyez t. X, p. 43, 75, 125 et 255.

45-b Voyez t. II, p. 22.