<93>Le lien des mortels le plus saint et sacré?
La bonne foi serait sujette à son caprice?
On verrait succomber la vertu sous le vice,
Et le fourbe à ses pieds fouler la probité?
Le monde périrait sans la sincérité.
Toi-même, le premier, que l'erreur environne,
Et qui, sans réfléchir, au crime t'abandonne,
Qu'un scélérat plus fin, pratiquant tes leçons,
Te tende un piége adroit, et, par ses trahisons,
De sa fausse amitié te rende la victime :
Que tu déclamerais alors contre le crime,
Contre la fausseté qui prête à l'ennemi
Les couleurs, les dehors qu'a le sincère ami!
Ah! que tu maudirais ces vaines accolades,
Et ces convulsions de fausses embrassades,
Ces compliments menteurs, ces protestations,
Des sentiments du cœur froides allusions!
Crains d'un perfide ami la douceur affectée :
Dans ses déguisements, c'est un autre Protée,
Sa peau d'agneau te cache un dangereux lion,
Il change de couleurs comme un caméléon.
A quoi connaîtras-tu le motif qui l'inspire,
S'il t'aime, s'il te hait, s'il trame, s'il conspire?
Nous devinons au moins à l'air des animaux
S'ils sont amis de l'homme, ou bien méchants et faux :
Le paisible mouton en bêlant broute l'herbe,
Le lion rugissant paraît fier et superbe,
Le sanglier farouche écume de fureur,
Le lièvre doit surtout sa vitesse à la peur,
Le tigre au regard faux est sanguinaire et traître,
Le chien, qui nous caresse, est fidèle à son maître.