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ODE VII (VIII). AUX PRUSSIENS.

Peuples que la valeur conduisit à la gloire,
Héros ceints des lauriers que donne la victoire,
Enfants chéris de Mars, comblés de ses faveurs,
Craignez que la paresse,
L'orgueil et la mollesse
Ne corrompent vos mœurs.

Par l'instinct passager d'une vertu commune,
Un État sous ses lois asservit la fortune,
Il brave ses voisins, il brave le trépas;
Mais sa vertu s'efface,
Et son empire passe,
S'il ne le soutient pas.
<40>Tels furent les vainqueurs de la fière Ausonie,
Ennemis des Romains, rivaux de leur génie,
Ils imposaient leur joug à ces peuples guerriers;
Mais Carthage l'avoue,
Le séjour de Capoue
Flétrit tous ses lauriers.

Jadis tout l'Orient tremblait devant l'Attique,
Ses valeureux guerriers, sa sage politique,
De ses puissants voisins arrêtaient les progrès,
Quand la Grèce opprimée
Défit l'immense armée
De l'orgueilleux Xerxès.

A l'ombre des grandeurs elle enfanta les vices,
L'intérêt y trama ses noires injustices,
La lâcheté parut où régnait la valeur,
Et sa force épuisée
La rendit la risée
De son nouveau vainqueur.

Ainsi, lorsque la nuit répand ses voiles sombres,
L'éclair brille un moment au milieu de ces ombres,
Dans son rapide cours un éclat éblouit;
Mais dès qu'on l'a vu naître,
Trop prompt à disparaître,
Son feu s'anéantit.
<41>Le soleil plus puissant du haut de sa carrière
Dans son cours éternel dispense sa lumière,
Il dissout les glaçons des rigoureux hivers;
Son influence pure
Ranime la nature
Et maintient l'univers.

Ce feu si lumineux dans son sein prend sa source,
Il en est le principe, il en est la ressource;
Quand la vermeille aurore éclaire l'orient,
Les astres qui pâlissent
Bientôt s'ensevelissent
Au sein du firmament.

Tel est, ô Prussiens, votre auguste modèle;
Soutenez comme lui votre gloire nouvelle,
Et sans vous arrêter à vos premiers travaux,
Sachez prouver au monde
Qu'une vertu féconde
En produit de nouveaux.

Des empires fameux l'écroulement funeste
N'est point l'effet frappant de la haine céleste,
Rien n'était arrêté par l'ordre des destins;
Où prospère le sage,
L'imprudent fait naufrage;41-a
Le sort est en nos mains.
<42>Héros, vos grands exploits élèvent cet empire,
Soutenez votre ouvrage, ou votre gloire expire;
D'un vol toujours rapide il faut vous élever,
Et monté près du faîte,
Tout mortel qui s'arrête
Est prêt à reculer.

Dans le cours triomphant de vos succès prospères,
Soyez humains et doux, généreux, débonnaires,
Et que tant d'ennemis sous vos coups abattus
Rendent un moindre hommage
A votre ardent courage
Qu'à vos rares vertus.


41-a Où l'imprudent périt, les habiles prospèrent.
Voltaire, Ier

Discours sur l'homme

, leçon de 1738.