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AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.

Nous groupons en trois sections, de deux volumes chacune, toutes les poésies du Roi : la première section contient les poésies que l'Auteur a publiées en un recueil; la seconde, celles qu'il a laissées entièrement prêtes pour l'impression; la troisième enfin, les Poésies éparses et les Mélanges littéraires, collections de pièces que le Roi a publiées séparément, ou dont il a fait présent à des amis, ou qu'il a laissées en manuscrit sans leur assigner de destination.

La première section comprend les poésies composées de 1734 à 1751; elles parurent pour la première fois en 1750, en trois volumes in-4, sous le titre de : Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Au donjon du château. Avec privilége d'Apollon. Nous ne pouvons rien dire du premier volume de cette édition, parce que nous n'en connaissons aucun exemplaire. Il ne contenait probablement que les deux poëmes assez étendus de l'Art de la guerre et du Palladion. Le t. II, deux cent quarante-six pages, se composait d'une Préface en vers, sorte de dédicace aux amis du poëte, de huit Odes et de seize Épîtres; le t. III, trois cent douze pages, renfermait dix Epîtres familières, dix-neuf Pièces diverses, onze Lettres en vers et prose, et trois Pièces académiques.

Lorsque Voltaire arriva à Potsdam, le 10 juillet 1750, le Roi lui présenta ses<II> poésies, et mit à profit les critiques du poëte pour une nouvelle édition de l'Art de la guerre et du volume qui jusqu'alors avait formé le t. II des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Cette nouvelle édition parut sous le titre de Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, t. I, 1752, quatre cent seize pages in-4. Elle ne porte pas sur le titre, comme l'édition précédente, les mots : Au donjon du château. Avec privilége d'Apollon. Elle contient, outre la Préface en vers, dix Odes, dont deux nouvelles, savoir, celles qui sont adressées à Brühl et à Voltaire; vingt Épîtres (celles qui portent les noms de Gotter, de Maupertuis, de Bredow et de Keith sont nouvelles); enfin, l'Art de la guerre. Ainsi l'ancien tome I fut oublié, et avec lui le Palladion. Quant au t. III, il n'y en eut pas de nouvelle édition.

Toute cette collection publiée par l'Auteur, ornée de vignettes de George-Frédéric Schmidt, et destinée uniquement aux amis du Roi, avait été tirée à peu d'exemplaires et devait demeurer secrète, parce que Frédéric s'y était exprimé sans scrupule et sans réserve sur les personnes et les choses; Darget, Algarotti, Voltaire et Maupertuis rendirent chacun leur exemplaire à leur départ.

Malgré ces précautions, une contrefaçon fut imprimée à Paris au mois de janvier 1760, sous la rubrique de Potsdam et le titre de Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, un volume in-12. Elle contient les Odes, les Épîtres et l'Art de la guerre, avec tous les passages satiriques qui se rapportent à de grands personnages politiques, sans en excepter même les traits dirigés contre George II, roi d'Angleterre, dont Frédéric, alors dans une situation critique, se trouvait être l'allié. Cette édition fut mise à l'index par le pape Clément XIII, le 12 mars 1760.

Le Roi se vit donc forcé de désavouer la contrefaçon française comme falsifiée, et il le fit au moyen de son Avis du libraire. L'édition qu'il prépara sur-le-champ pour le public parut le 9 avril de la même année, sous le titre de Poésies diverses. A Berlin, chez Chrétien-Frédéric Voss, 1760, trois cent quarante-six pages grand in-8. Quelques mois plus tard, il en publia, sous le même titre et chez le même libraire, une réimpression plus correcte en quatre cent quarante-quatre pages in-4. Les passages satiriques y sont omis ou changés, et pour prévenir, autant que possible, toute interprétation fâcheuse, le Roi y a ajouté l'Ode à la Calomnie et les<III> Stances, paraphrase de l'Ecclésiaste; de sorte que ces Poésies diverses, outre l'Avant-propos de l'Éditeur, en prose, et l'ancienne Préface en vers, contiennent onze Odes, les Stances, paraphrase de l'Ecclésiaste, vingt Épîtres, et l'Art de la guerre.

Cette édition officielle fit grande sensation. Le poëte seul en était mécontent; il était fâché d'avoir été obligé de supprimer ce qu'il appelait ses « pensées légitimes; » aussi, dans une lettre encore inédite, adressée au marquis d'Argens, le 20 février 1760, il qualifie de « bâtardes » ses Poésies diverses, et leur refuse « le titre de philosophie. »

Tels sont les motifs qui nous ont engagé à prendre pour base de notre édition, non les Poésies diverses, mais le tome 1 des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, de l'an 1752, et le tome III des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, de l'an 1750. C'est donc avec raison que nous avons donné à notre première section le titre de la rédaction primitive du Roi.

Nous avons fait entrer dans notre t. I l'Avant-propos de l'Éditeur, l'Ode à la Calomnie et les Stances, paraphrase de l'Ecclésiaste; nous avons placé sous le texte toutes les variantes des Poésies diverses, recueillies dans l'édition in-4 de 1760 et dans l'édition petit in-8 de 1762, qui sont entièrement conformes. L'édition in-8 de 1760 est beaucoup moins correcte, parce que le Roi en avait trop hâté l'impression.

Dans ce premier volume, les Odes portent chacune deux numéros, dont l'un est celui des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, édition de 1702, et l'autre, entre parenthèses, celui des Poésies diverses, publiées en 1760. Les Stances, paraphrase de l'Ecclésiaste, sont ajoutées aux Odes, mais elles n'ont pas de numéro.

La plupart des poésies de ce volume et du volume suivant sont accompagnées de la date de la composition ou de la correction. Nous avons puisé ces dates dans des autographes d'une rédaction antérieure. Les dates mises entre parenthèses ont été empruntées de la correspondance du Roi avec Gresset et Voltaire, et, pour les Stances, paraphrase de l'Ecclésiaste, des Mémoires (manuscrits) de Henri de Catt.

<IV>On sera peut-être étonné de trouver, dans plusieurs passages des poésies du Roi, l'orthographe des noms propres altérée; par exemple, Mariveau mis pour Marivaux; Ténières pour Téniers; Lock pour Locke, etc. La raison en est que l'Auteur ayant écrit ces noms ainsi pour la mesure ou pour la rime, nous n'avons pas cru devoir nous écarter d'un mode de procéder qui d'ailleurs est, jusqu'à un certain point, consacré par l'usage. Mais toutes les fois que ces motifs n'existaient pas, nous avons rétabli la vraie orthographe des noms propres, conformément aux principes énoncés dans la Préface de l'Éditeur.

L'Art de la guerre, poëme didactique en six chants, fut imprimé pour la première fois au mois de mai 1749 (Voyez la Correspondance avec Darget, première lettre du Roi, en date du mois de mai 1749), et probablement il faisait partie du t. I des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, de 1750, comme nous l'avons dit plus haut.

Lorsque Voltaire vint habiter Potsdam, le Roi lui donna son ouvrage pour qu'il l'examinât. Voltaire en avait reçu le Ve chant le 11 mars 1751 (Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. LV, p. 584); il demanda au Roi le chant VIe et dernier à plusieurs reprises, entre autres, au mois de juillet, comme il venait de lire la vie du Grand Électeur dans les Mémoires de Brandebourg (l. c, p. 610 et 623). Lorsqu'il en eut achevé la lecture, il écrivit à l'Auteur ce billet peu connu : « Je rends à Votre Majesté ses six chants, et je lui laisse carte blanche sur la victoire. Tout l'ouvrage est digne de vous, et quand je n'aurais fait le voyage que pour voir quelque chose d'aussi singulier, je ne devrais pas regretter ma patrie. » (Der Freymüthige. Berlin, 1804, in-4, p. 6.)

Les héritiers de feu Mme la comtesse d'Itzenplitz-Friedland possèdent le manuscrit complet de l'Art de la guerre, en six chants, in-4, de la main d'un secrétaire du Roi. En regard de chaque page, Voltaire a écrit lui-même des remarques critiques nombreuses et étendues, qui occupent souvent toute une page; quelquefois même il a refait des vers entiers. Le Roi pouvait ainsi, comme il en avait plusieurs fois témoigné le vif désir dans ses lettres à Voltaire (du 16 mai, du 10 juin et du 4 septembre 1749), faire de précieuses études de style sur ce travail, qui em<V>brassait la totalité des six chants. Conformément au vœu du Roi, Voltaire mit le plus grand soin à cette critique : il loue les vers heureux, et improuve une foule de détails, ainsi que le manque d'ensemble qui se faisait sentir dans le poëme. Le Roi ne se lassa pas d'étudier ces remarques; il mit à profit les observations de son maître, changeant des mots, effaçant des passages, et substituant à d'autres des rédactions améliorées, écrites sur des morceaux de papier collés ensuite au texte; il y a même intercalé des vers entiers composés et cités en exemple par le spirituel critique.

Lorsque le Roi eut mis ainsi la dernière main à ce poëme, il en fit faire une copie pour l'impression. Les deux éditions originales de l'Art de la guerre (Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, 1752, t. I; et Poésies diverses. A Berlin, chez Voss, 1760) ne diffèrent l'une de l'autre qu'en quelques points insignifiants. Notre édition reproduit exactement le texte du t. I des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, 1752, et nous ajoutons sous ce texte les variantes de l'édition des Poésies diverses, 1760, in-4.

Nous donnons comme appendice de ce premier volume des poésies l'Ode VII, Aux Prussiens, et le commencement de l'Art de la guerre, tels qu'ils existent dans les rédactions primitives, et avec les remarques de Voltaire. L'autographe de l'Ode aux Prussiens est la propriété de M. Benoni Friedländer.

En ce qui concerne le titre de Philosophe de Sans-Souci, il faut remarquer que le Roi avait fait inscrire, en 1746, le nom de Sans-Souci en lettres dorées sur la façade de son château de plaisance, qu'il avait commencé par nommer tantôt Vigne, tantôt Lusthaus (Manger, Baugeschichte von Potsdam, p. 36 et 46). Bientôt après, il se mit à dater ses lettres de ce château, par exemple, en écrivant à Voltaire le 15 juillet 1749, et il se plut, dès lors à prendre le titre de Philosophe de Sans-Souci. Voici comme il s'exprime dans une lettre au comte Algarotti, écrite selon toute apparence le 22 janvier 1750 : « Madame Du Boccage me fait bien de l'honneur d'augmenter mes titres. On est généralement de l'opinion que les princes allemands n'en sauraient jamais assez avoir. Je me contente de celui de Philosophe de Sans-Souci, et de votre ami. » Dans la lettre d'Algarotti à Frédéric, du<VI> 27 août 1749, on trouve ces mots : « La philosophie aimable de Sans-Souci que Votre Majesté sait prêcher, etc. » Voltaire écrivit à Darget, à Sans-Souci, le 9 ou le 10 août 1750 : « J'ai apporté avec moi le troisième tome du Philosophe de la Vigne; » et plus bas : « Le Philosophe de Sans-Souci n'aura pas quinze jours à employer à mettre ce volume dans sa perfection. » Frédéric lui-même dit, en finissant sa lettre à Voltaire, du 17 mai 1773 : « Le Philosophe de Sans-Souci salue le Patriarche de Ferney. » Enfin, ce titre est devenu une dénomination généralement appliquée à Frédéric.

Berlin, le 29 février 1848.

J.-D.-E. PREUSS,
Historiographe de Brandebourg.