<72>Lorsque Bayle entendit qu'un démon scolastique,3
Animé contre lui d'un zèle fanatique,
Avait à Rotterdam fait rayer les tributs
Que le Batave épris payait à ses vertus,
Tout pauvre qu'il était, se mettant à sourire,
Il plaignit son rival, et poursuivit d'écrire.
Malgré la noire envie et les grands en courroux,
Les trésors de l'esprit restent toujours à nous;
Ils sont ... mais je vous vois sombre, distrait et tiède,
Je lis sur votre front l'ennui qui vous excède.
« Observez, dites-vous, soixante bons quartiers
Qui distinguent mon nom de ceux des roturiers;
On connaît mes aïeux; mon antique noblesse
M'allia dans l'empire à mainte fière altesse;
Je possède des biens, des talents, de l'esprit,
Et je plais, si j'en crois ce que le monde en dit :
La nature, agissant comme une tendre mère,
A si bien fait pour moi, que l'art n'a rien à faire. »
J'en conviens, la nature eut des égards pour vous;
Mais, sans vous courroucer, qu'il soit dit entre nous,
Elle eut autant de soins de cette pierre brute,
De ce cocon de soie au ver servant de hutte,
De la vigne qui croît sauvage dans les champs.
C'est l'art qui les raffine, il taille les brillants,
Et ce cocon filé, passant sousa des roulettes,
Artistement tissu par mille mains adraites,
Eblouit dans l'étoffe, et ses riches couleurs
L'égalent à l'iris et surpassent les fleurs.
La vigne produirait, sans jardiniers habiles.


3 Jurieu.

a Sur. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 98.)