<240>De ses biens mesurés en ce monde te doue;
Plus élevé qu'un nain, plus petit qu'un géant,
C'est être comme il faut, c'est ton sort, sois content.
Libre des embarras et d'un travail pénible,
Ton âme peut goûter un sort doux et paisible;
Jouissant du présent sans prévoir l'avenir,
Tous tes soins sur toi seul peuvent se réunir.
Ah! trop heureux Darget, qui dans ta vie obscure
Ne crains pour ton honneur l'outrage ni l'injure
Que sur les noms connus des grands et des héros
L'envie en frémissant répandit à grands flots,
Pourvu qu'en ta maison ta femme, douce, honnête,
D'un bruyant carillon ne rompe point ta tête,
Qu'elle daigne du moins, le soir, à ton retour,
T'accueillir, t'embrasser, ranimer ton amour;
Pourvu que du cerveau nulle âcreté fâcheuse
Ne porte sur tes yeux son humeur douloureuse,
Pourvu que Dalichamp23 t'assure ta santé,
Que manque-t-il alors à ta félicité?
Je vois à ta froideur, ton air, ta contenance,
Que tu crois, cher Darget, rempli de méfiance,
Qu'égayant mes crayons par un riant tableau,
Je flatte tes destins, en les peignant en beau.
Eh bien donc, j'y consens, il ne faut plus rien taire.
O le fâcheux métier que d'être secrétaire
Auprès d'un maître auteur, soi-disant bel esprit,
Qui du matin au soir lit, versifie, écrit,
Et croit la renommée avec ses cent trompettes
Occupée à prôner ses frivoles sornettes!
Tous les jours, par cahiers, tu mets ses vers au net,


23 Chirurgien des armées du Roi.