<159>Nous ont peint Julien sous les traits des Tibères;
Tout l'univers reçut ces mensonges pieux,
Et Julien passa pour un monstre odieux;
Un sage,14 après mille ans, débrouilla son histoire,
La vérité parut et lui rendit sa gloire.
Tout Paris condamna l'auteur laborieux15
Qui, dans un parallèle exact, ingénieux,
D'Homère et de Zeuxis compara la science;
Des lettrés étrangers forcèrent ceux de France
A priser cet ouvrage approuvé d'Apollon.
Londres ne connut point la muse de Milton;
Longtemps après sa mort, l'Anglais mélancolique
Aperçut les beautés de son poëme épique;
Si l'ouvrage était bon, il le fut de tout temps,
Mais il faut de bons yeux pour juger des talents.
Je vois que ces écrits et ces pièces nouvelles
Vous semblent dans le fond d'aimables bagatelles;
Vous pensez qu'en payant l'ouvrage à l'éditeur,
Le droit de le juger appartient au lecteur,
Que l'un aime le simple et l'autre le sublime,
Que soutenir son choix n'est pas un si grand crime,
Mais que tous les humains pensent profondément
Lorsqu'il faut décider d'un sujet important,
D'un sujet dont dépend leur fortune et leur vie.
Ah! c'est là, cher Bredow, que paraît leur folie.
Erreur, sur notre esprit jusqu'où va ton pouvoir!
Dans ce siècle éclairé, plein d'un profond savoir,
De nos bons Berlinois la cervelle insensée


14 L'abbé de la Bletterie. [Voyez t. VII, p. 120, et ci-dessus, p. 10.]

15 L'abbé Du Bos. [Auteur des Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture. 1719.]