<98>heureux la vertu leur est indispensablement nécessaire. Je voudrais que les philosophes, moins appliqués à des recherches aussi curieuses que vaines, exerçassent davantage leurs talents sur la morale, surtout que leur vie servît en tout d'exemple à leurs disciples; alors ils mériteraient avec justice le titre de précepteurs du genre humain. Il faudrait que les théologiens s'occupassent moins à expliquer des dogmes inintelligibles, et que, désabusés de la fureur de vouloir démontrer des choses qui nous sont annoncées comme des mystères d'un ordre supérieur à la raison, ils s'appliquassent davantage à prêcher la morale pratique, et qu'au lieu de prononcer des discours fleuris, ils fissent des discours utiles, simples, clairs et à la portée de leur auditoire. Les hommes s'endorment à la suite d'un raisonnement alambiqué, ils s'éveillent quand il est question de leur intérêt; de sorte que, par des discours adroits et pleins de sagesse, on rendrait l'amour-propre le coryphée de la vertu. Des exemples récents et analogues à ceux qu'on veut persuader peuvent être employés avec succès, comme, s'il s'agissait d'animer un laboureur paresseux à mieux cultiver son champ, on l'encouragerait sans doute en lui montrant son voisin qui s'est enrichi par son activité laborieuse; il ne dépend que de lui de prospérer de même. Mais les modèles doivent être choisis à la portée de ceux qui doivent les imiter, dans leur genre et non pas dans des conditions trop disproportionnées. Les trophées de Miltiade empêchaient Thémistocle de dormir.

Si les grands exemples ont fait de si fortes impressions sur les anciens, pourquoi de nos jours en feraient-ils de moindres? L'amour de la gloire est inné dans les belles âmes; il n'y a qu'à l'animer, il n'y a qu'à l'exciter, et des hommes qui végétaient jusqu'alors, enflammés par cet heureux instinct, vous paraîtront changés en demi-dieux. Il me semble enfin que si la méthode que je propose n'est pas suffisante pour extirper les vices de la terre, du moins pourra-t-elle faire quelques prosélytes aux bonnes mœurs, et féconder des vertus qui sans son secours seraient demeurées dans l'engourdissement. C'est toujours rendre service à la société, et c'est le but de cet ouvrage.