<215>esprit du côté des réflexions; ma gaieté s'est perdue, une triste raison l'a remplacée.

Il m'est échappé de vous parler comme je pense lorsque je suis seul, renfermé dans mon cabinet. J'avais l'esprit occupé des républiques de Sparte et d'Athènes, dont j'avais lu l'histoire, et des devoirs d'un bon citoyen, dont vous voulez que je vous fasse une plus ample explication. Vous me faites trop d'honneur. Vous me prenez pour un Lycurgue, pour un Solon, moi, qui n'ai jamais promulgué de lois, et qui ne me suis mêlé d'autre gouvernement que de celui de mes terres, où je vis depuis bien des années dans la plus profonde retraite. Puis donc que vous voulez que je vous expose en quoi je fais consister les devoirs d'un bon citoyen, soyez persuadé que je m'en acquitterai uniquement dans l'intention de vous obéir, et non dans celle de vous instruire.

La nouvelle philosophie veut avec raison que l'on commence par définir les termes et les choses, pour éviter les mésentendus et pour fixer les idées sur des objets déterminés. Voici donc comme je définis le bon citoyen : c'est un homme qui s'est fait une règle invariable d'être utile, autant qu'il dépend de lui, à la société dont il est membre. Voici les causes qui amènent ces devoirs. L'espèce humaine ne saurait subsister isolée; les nations les plus barbares même forment de petites communautés. Les peuples civilisés que le pacte sociala réunit se doivent mutuellement des secours; leur propre intérêt le veut, le bien général l'exige, et sitôt qu'ils cesseraient de s'entr'aider et de s'assister, il s'ensuivrait d'une façon ou d'une autre une confusion totale, qui entraînerait la perte de chaque individu. Ces maximes ne sont pas nouvelles; elles ont servi de base à toutes les républiques dont l'antiquité nous a transmis la mémoire. Les républiques grecques étaient fondées sur de pareilles lois; celle des Romains avait les mêmes principes. Si nous les avons vues par la suite du temps détruites, c'est que les Grecs, d'un esprit inquiet, et jaloux les uns des autres, s'attirèrent eux-mêmes les malheurs qui les accablèrent, et que quelques citoyens romains, trop puissants pour des républicains, bouleversèrent leur gouvernement par une ambition désordonnée; c'est qu'enfin rien n'est stable dans ce


a Voyez ci-dessus, p. 224.