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CHAPITRE Ier.

Lorsqu'on veut raisonner juste, il faut commencer par approfondir la nature du sujet dont on veut parler, il faut remonter jusqu'à l'origine des choses pour en connaître, autant que l'on peut, les premiers principes; il est facile alors d'en déduire les progrès et toutes les conséquences qui peuvent s'ensuivre. Avant de marquer les différences des États, Machiavel aurait dû, ce me semble, examiner l'origine des princes, et discuter les raisons qui ont pu engager des hommes libres à se donner des maîtres.

Peut-être qu'il n'aurait pas convenu, dans un livre où l'on se proposait de dogmatiser le crime et la tyrannie, de faire mention de ce qui devrait la détruire; il y aurait eu mauvaise grâce à Machiavel de dire que les peuples ont trouvé nécessaire, pour leur repos et leur conservation, d'avoir des juges pour régler leurs différends, des protecteurs pour les maintenir contre leurs ennemis dans la possession de leurs biens, des souverains pour réunir tous leurs différents intérêts en un seul intérêt commun; qu'ils ont d'abord choisi, d'entre eux, ceux qu'ils ont crus les plus sages, les plus équitables, les plus désintéressés, les plus humains, les plus vaillants, pour les gouverner.

C'est donc la justice, aurait-on dit, qui doit faire le principal objet d'un souverain; c'est donc le bien des peuples qu'il gouverne qu'il doit préférer à tout autre intérêt. Que deviennent alors ces idées d'intérêt, de grandeur, d'ambition et de despotisme? Il se trouve que le souverain, bien loin d'être le maître absolu des