<134>punir d'une manière éclatante, afin que toutes leurs actions aient un caractère de grandeur imprimé en elles. Les princes généreux ne manqueront point de réputation, principalement lorsque leur libéralité est une suite de leur grandeur d'âme, et non de leur amour-propre.

La bonté de leurs cœurs peut les rendre plus grands que toutes les autres vertus. Cicérona disait à César : « Vous n'avez rien de plus grand dans votre fortune que le pouvoir de sauver tant de citoyens, ni de plus digne de votre bonté que la volonté de le faire. » Il faudrait donc que les peines qu'un prince inflige fussent toujours au-dessous de l'offense, et que les récompenses qu'il donne fussent toujours au-dessus du service.

Mais voici une contradiction : le docteur de la politique veut, en ce chapitre, que ses princes tiennent leurs alliances, et dans le dix-huitième chapitre il les dégageait formellement de leur parole. Il fait comme ces diseurs de bonne aventure qui disent blanc aux uns et noir aux autres.

Si Machiavel raisonne mal sur tout ce que nous venons de dire, il parle bien sur la prudence que les princes doivent avoir de ne se point engager légèrement avec d'autres princes plus puissants qu'eux, qui, au lieu de les secourir, pourraient les abîmer.

C'est ce que savait un grand prince d'Allemagne, également estimé de ses amis et de ses ennemis. Les Suédois entrèrent dans ses États lorsqu'il en était éloigné avec toutes ses troupes pour secourir l'Empereur au Bas-Rhin, dans la guerre qu'il soutenait contre la France. Les ministres de ce prince lui conseillaient, à la nouvelle de cette irruption soudaine, d'appeler le czar de Russie à son secours. Mais ce prince, plus pénétrant qu'eux, leur répondit que les Moscovites étaient comme des ours qu'il ne fallait point déchaîner, de crainte de ne pouvoir remettre leurs chaînes;a


a Pro Ligario, chap. XII.

a Il y a ici une erreur. Le Grand Électeur mit tout en œuvre pour obtenir l'appui de la cour de Moscou : il écrivit, il fit faire des démarches par ses alliés et par son envoyé Joachim Scultetus. Mais le czar Alexei préféra rester en paix avec la Suède. Voyez Archives royales de l'État; Jean Magirus, p. 215 de son ouvrage (manuscrit) composé en 1682 et intitulé, Die Heldenthaten Friedrich Wilhelms, Kurfürsten von Brandenburg, vom Jahre 1670-1680. (Ms. boruss. in-fol., no 99, de la bibliothèque royale de Berlin) : voyez enfin Pufendorf, De rebus gestis Friderici! Wilhelmi Magni, lib. XIII, §. 61. Ce fut sur l'ordre exprès de son souverain, ordre daté de Clèves, le 3 (13 nouv. st.) avril 1675, que Scultetus se rendit auprès du Czar. Il partit de Cüstrin pour Moscou le 1er (11) juillet, et quitta cette capitale le 17 (27) octobre de la même année. Dans ses Mémoires de Brandebourg, Frédéric ne fait aucune mention de troupes auxiliaires demandées ou refusées par son bisaïeul.